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mercredi 4 décembre 2013

Susan Rice provoque la zizanie entre Paris et Washington

Réponse cynique de Rice : "N'y comptez pas ! Ce n'est que le Congo. Si ça n'avait pas été le M23, ça aurait été un autre mouvement insurrectionnel." Et dans la foulée, Susan Rice s'est employée à ce que le Conseil de sécurité ne fasse aucun lien dans ses résolutions entre le Rwanda et le M23.






Le Point.fr - Publié le  

Pressentie pour être à la tête de la diplomatie américaine, elle sème le trouble sur les dossiers du Congo et du Mali.


Susan Rice a provoqué une escarmouche diplomatique avec Paris.
Susan Rice a provoqué une escarmouche diplomatique avec Paris. © Chris Hondros HRIS / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

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Si l'on en croit Foreign Affairs, la meilleure revue américaine de politique étrangère, la réunion qui s'est déroulée il y a deux mois au siège de la mission française aux Nations unies a été considérée comme extrêmement agitée au regard de l'échelle de Richter des rencontres diplomatiques. Les mots, parfois accompagnés d'adjectifs peu amènes, ont volé comme autant de missiles entre les trois participants à cette réunion : le représentant de la France à l'ONU, Gérard Araud, son homologue britannique et l'ambassadrice américaine aux Nations unies, Susan Rice. En cause, les massacres et les atrocités en tout genre, commis dans le nord-est de la République démocratique du Congo, l'ancien Congo belge, par un groupe d'insurrection qui s'est baptisé M23. Un mouvement soutenu et armé par le Rwanda, voisin et ennemi du président congolais Kabila.
Ce n'est pas la première fois qu'une rébellion armée menace le pouvoir central de Kinshasa, la capitale. C'est même devenu une sorte de rituel qui revient périodiquement pour mettre en cause l'unité de ce pays constitué d'une incroyable mosaïque ethnique, depuis que dans les années 60 un leader nommé Moïse Tshombe avait proclamé la sécession du riche Katanga du pouvoir central alors dirigé par Patrice Lumumba, le Che Guevara de l'Afrique.

Conflit d'intérêts ?

Mais ce qui agace les pays occidentaux ayant un passé avec l'Afrique, c'est que, plutôt que de chercher à calmer le jeu en brandissant quelques menaces de sanctions contre les protagonistes de l'actuelle insurrection et ceux qui les soutiennent, les États-Unis se refusent à condamner publiquement l'intervention des Rwandais aux côtés des rebelles. Hillary Clinton a bien critiqué le M23 quand le mois dernier il s'est aventuré jusqu'à la ville de Goma, jetant sur les routes près de 300 000 civils qui fuyaient les combats et les massacres qui les accompagnaient. Mais pas un mot pour mettre en garde Paul Kagame, le président rwandais. Alors que les États-Unis ont tous les moyens de pression possibles, puisqu'ils aident militairement le Rwanda et que ce sont leurs armes qui sont utilisées par le M23.
Une partie de l'explication, mais pas la seule, vient du sentiment de culpabilité ressenti par Washington pour avoir laissé commettre en 1996 un épouvantable génocide contre la population tutsi du Rwanda. Celle qui est au pouvoir aujourd'hui. Une affaire dans laquelle la France avait d'ailleurs été accusée d'avoir favorisé les massacres en ne retenant pas le bras des Hutu qui les commettaient. L'autre raison tient à la personnalité de Susan Rice, la représentante des États-Unis à l'ONU. Cette femme est aujourd'hui pressentie pour remplacer Hillary Clinton à la tête de la diplomatie américaine. Or, pendant les années Bush, Rice, qui était la spécialiste des affaires africaines du président Clinton, a travaillé pour une société d'analyse stratégique, un think tank opérationnel basé à Washington du nom d'"Intellibridge". Or, qui retrouve-t-on dans les clients de la société d'analyse : Paul Kagame, président du Rwanda !

Escarmouche diplomatique

On comprend mieux dès lors pourquoi les noms d'oiseaux ont volé bas lors de la réunion à la mission française à l'ONU lorsque Gérard Araud a demandé fermement à Susan Rice "de qualifier de honteuse" l'attitude du Rwanda dans l'actuelle insurrection au Congo. Réponse cynique de Rice : "N'y comptez pas ! Ce n'est que le Congo. Si ça n'avait pas été le M23, ça aurait été un autre mouvement insurrectionnel." Et dans la foulée, Susan Rice s'est employée à ce que le Conseil de sécurité ne fasse aucun lien dans ses résolutions entre le Rwanda et le M23.
Cette escarmouche diplomatique ne mériterait pas beaucoup de commentaires si l'intéressée n'était pas sur le point d'être nommée secrétaire d'État par Obama. Et si son action qui commence à apparaître comme hostile aux positions classiques de la France en Afrique ne l'amenait pas maintenant à critiquer l'attitude de Paris sur une affaire encore plus sensible que celle du Congo. Il s'agit du Mali, où les États-Unis ont fait savoir qu'il n'était pas urgent d'intervenir militairement via une force interafricaine pour s'opposer à la poussée et aux exactions en tout genre de djihadistes proches d'al-Qaida qui occupent déjà plus de la moitié de ce pays, ami de la France. Étrangement, le Premier ministre malien, Cheick Modibo Diarra, qui était d'accord avec la position de Laurent Fabius appelant à "un déploiement rapide d'une force de stabilisation", a été démis de ses fonctions et mis en résidence surveillée il y a deux jours.

RD Congo – Kampala : Kabila fidèle à lui-même

La trahison, c’est maintenant ! et par la grande porte

On n’y est pas encore, mais, pour le moment, et comme d’habitude, Joseph Kabila essaie de trouver un moyen de ramener ces « dangereux » personnages au Congo où, selon plusieurs sources, ils auront le choix entre intégrer les rangs de l’armée et retourner à la vie civile. Mais comment feraient-ils pour retourner à la vie civile puisqu’en tant que soldats rwandais et ougandais, ils ne viennent au Congo que pour y faire la guerre. Ils ne sont originaires d’aucun village et d’aucune ville du Congo. Il faut bien voir les choses comme elles sont.
Boniface MUSAVULI



RD Congo – Kampala : Kabila fidèle à lui-même

« Il faut sauver le soldat M23 ! » C’est en tout cas le message qu’on peut retenir de la dernière visite, insoupçonnable, de Joseph Kabila en Ouganda, dans le cadre des pourparlers de Kampala, que son propre gouvernement avait pourtant considérés comme sans intérêt, le M23 étant militairement vaincu et politiquement disloqué.

 Ainsi la démarche du Président congolais fait-elle penser à une tentative consistant à ressusciter, à tout prix, un « ennemi » déjà mort. Démarche aberrante, en apparence, mais tout à fait explicable s’agissant de l’homme, Kabila, son parcours et le « système » auquel il doit son arrivée et son maintien au pouvoir.

Les Congolais se sont sûrement trop emballés et trop vite autour de la victoire, bien réelle, de leurs soldats, oubliant, le temps d’une liesse, dans quelles mains se trouvait leur pays. « Leur » propre Président entretient toujours des liens étroits avec les parrains du M23 (Museveni et Kagamé) et une certaine communauté internationale déterminés à sauver le noyau dur des combattants du M23 (Mary Robinson, Russ Feingold).

Les combattants du M23 sont pourtant bel et bien rentrés « chez eux » !

Ces combattants sont pourtant notoirement reconnus comme étant des soldats rwandais et ougandais et qu’ils n’ont pas à être mis à la charge du Congo, bien au contraire. Le général rwandais en exil, Faustin Kayumba[1] l’a dernièrement réaffirmé en qualifiant le M23 de « soldats de Kagame », ce mouvement, à ses yeux, n’ayant jamais existé. Et il n’est pas le seul, puisque les experts de l’ONU, les ONG et des chercheurs sérieux ont, depuis longtemps, déjà abouti à peu près à la même conclusion.

Mais pourquoi Joseph Kabila, Yoweri Museveni, et des personnalités comme Mary Robinson et Russ Feingold (représentant de Barack Obama), tiennent-elles à ce point à faire aboutir les pourparlers de Kampala ? Pourquoi tiennent-elles à ce qu’un Etat souverain (RDC) se soumette jusqu’au bout à des négociations avec un mouvement que la Communauté internationale a, elle-même, considéré comme une organisation criminelle ? Pourquoi insiste-t-on pour que les autorités congolaises apposent leurs signatures sur un même document que les membres d’une telle organisation, de surcroit, en débandade ?

On a oublié la balkanisation du Congo

C’est qu’en réalité, la guerre du M23, débutée par l’AFDL (1996), poursuivie par le RCD (1998) et le CNDP (2004), en vue de démanteler le Congo (balkanisation) est loin d’être finie. Il faut continuer à préserver le « noyau dur » des combattants, devant, le moment venu, relancer cette mission[2]. Les propos du représentant du Président américain, Russ Feingold, pour qui le Congo ne serait pas un Etat souverain[3], de même que ceux de Madame Robinson pour qui les membres du M23 (des soldats rwandais, selon Kayumba) ne se sentiraient pas « chez eux »[4] au Congo ( ?) expliquent à peu près ce qui se passe à Kampala. Et le Président Kabila doit être tout à fait en accord avec cette vision, sinon il aurait, depuis longtemps, renoncé à ces humiliantes négociations de Kampala.

Officiellement, le voyage de Joseph Kabila en Ouganda vise à trouver une solution à l’avenir des combattants du M23 retranchés au Rwanda et en Ouganda. Une démarche qui sent le piège les autorités ougandaises ayant artificiellement fait gonfler les effectifs des derniers combattants passant d’une centaine à 1.600. On apprend que le Rwanda, de son côté, abrite 600[5] membres du M23. Des chiffres fantaisistes mais qui semblent annoncer que des forces se reconstituent et que le moment venu, il suffira de dire, comme d’habitude, que des « Tutsis congolais, « réfugiés dans les pays voisins », ont repris les armes pour rentrer chez eux.

La trahison, c’est maintenant ! et par la grande porte

On n’y est pas encore, mais, pour le moment, et comme d’habitude, Joseph Kabila essaie de trouver un moyen de ramener ces « dangereux » personnages au Congo où, selon plusieurs sources, ils auront le choix entre intégrer les rangs de l’armée et retourner à la vie civile. Mais comment feraient-ils pour retourner à la vie civile puisqu’en tant que soldats rwandais et ougandais, ils ne viennent au Congo que pour y faire la guerre. Ils ne sont originaires d’aucun village et d’aucune ville du Congo. Il faut bien voir les choses comme elles sont.

Les membres du M23, revenus au Congo, finiront dans les rangs des forces armées, le « seul Congo » qu’ils connaissent depuis la première agression du Congo/Zaïre en 1996. Les « soldats congolais » commençaient pourtant à croire qu’ils avaient réglé la question des infiltrations et des trahisons qui ont tellement fait mal à l’armée et au moral du peuple congolais… Eh bien non, visiblement. Les trahisons risquent d’être de retour, et elles rentreront par la grande porte.

Le Président dans tout ça ?

A la décharge du Président Kabila, on entend dire que si ces combattants étaient laissés dans la nature, ils risqueraient de reprendre les armes. Mais pourquoi parle-t-on de les « laisser dans la nature » ? Et les crimes qu’ils ont commis ? Et leurs victimes ? A quoi servent les prisons, les cours et les tribunaux à travers le monde si c’est pour entendre dire que les auteurs de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, voire de génocide, seraient « laissés dans la nature » ?

Sous d’autres cieux, le Président congolais serait en première ligne pour réclamer inlassablement l’extradition des membres du M23. Des procès seraient déjà en cours dans l’Est du Congo où ces individus ont endeuillé des centaines de familles, violés autant de femmes, pillé la population et provoqué de gigantesques catastrophes humanitaires en répétition.

Mais il faut, hélas, voir les choses en face. Ce n’est que le Congo, disait Susan Rice[6]. Le « Congo de Kabila » à qui on impose n’importe quoi et qui, fidèle à lui-même, est toujours prêt à signer n’importe quoi. Signer, même lorsqu’il s’agit de signer un véritable « arrêt de mort » du peuple congolais, comme ces cauchemardesques accords du 23 mars 2009[7]

Et il va encore signer à Kampala.

Vivement 2016 !

Boniface MUSAVULI 
[2] Le texte proposé par le facilitateur ougandais stipule que le M23 (avec ou sans sa dénomination actuelle) devrait se transformer en parti politique (article 4). Une mutation qui lui permettrait de revendiquer une présence ostentatoire, sur la scène politique et sur le terrain, notamment dans les territoires qu’il occupait militairement, peu importe l’opposition de ses victimes. Ses membres auront obtenu la garantie d’impunité, l’amnistie figurant à l’article 1.

[3] Dans une interview à RFI, le Représentant de Barack Obama, Russ Feingold, a laissé entendre, au sujet des négociations avec les groupes armés, que le Congo ne serait pas une nation souveraine, contrairement au Rwanda. Lien http://www.rfi.fr/afrique/20131028-russell-feingold-rfi-effort-militaire-pousse-rdc-risque-mettre-peril-pourparlers-kampala-m23-kabila-grands-lacs

[6] Selon lepoint.fr, citant la revue américaine Foreign Affairs, une réunion s’était tenue, en octobre 2012, au siège de la mission française à l’ONU entre les représentants de la France, du Royaume-Uni et des Etats-Unis. Il était question de condamner le Rwanda pour son soutien au M23 qui commettait des massacres et des viols. Réponse de Susan Rice : « N'y comptez pas ! Ce n'est que le Congo. »

[7] http://radiookapi.net/files/Accord-CNDP-Gvt-23-mars-2009-pdf.pdf. Ces accords avaient été signés par le gouvernement représenté par le Ministre actuel des affaires étrangères, Raymond Tshibanda.
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° http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/rd-congo-kampala-kabila-fidele-a-144555