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samedi 1 novembre 2014

Détournements des bourses militaires au sein des FARDC

Enquête DESC


























Lorsque DESC publiait ce 28 octobre l’affaire de l’abandon des dizaines de jeunes officiers congolais sortis de l’Académie militaire de Kananga, on n’imaginait pas que cette affaire était l’arbre qui cachait la forêt d’une mafia qui sévit dans les forces armées congolaises.
Soucieux du sort des jeunes officiers congolais dont la situation d’abandon nous a été mise au courant par une source diplomatique, les enquêteurs de DESC ont poursuivi durant toute la soirée d’hier, les investigations pour qu’une solution soit trouvée à ces jeunes, future élite de l’armée congolaise que d’aucuns souhaitent performante.
Nous avons sonné à plusieurs sources discrètes de DESC au niveau de la Maison militaire du chef de l’Etat, du ministère de la Défense, de l’Etat-major général des FARDC, du commandement des groupements d’Ecoles militaires et même parlementaires.
La réponse officielle qui nous est venue d’une de ces sources ci-haut énumérées est la suivante :
« Monsieur Wondo, vos allégations sont fausses. Une partie de ces jeunes officiers est déjà partie à l’étranger en formation. Le reste du groupe va suivre à l’école d’application, presque tous à Kitona. Non ce n’est pas exact ce que vous affirmez. Notez aussi que ces jeunes officiers avaient également des problèmes administratifs à régler à Kinshasa. »
Ce qui nous étonne au niveau de DESC est que les jeunes officiers qui doivent voyager à l’étranger ont vu leurs démarches administratives être traitées plus rapidement que ceux qui doivent se rendre à quelques centaines de kilomètres de Kinshasa, à Kitona, par route. Alors que d’habitude, c’est le contraire qui se fait en RDC pour voyager ou aller en mission à l’étranger.
C’est ainsi qu’une autre source anonyme, parmi les sources précitées, nous fournira l’éclairage suivant là :
« M. Wondo, ce que les officiels vous ont rapporté relève soit de l’ignorance du dossier ou du pur mensonge. Il semble que les officiels qui vous ont répondu reçoivent des faux rapport leur faisant croire que ces jeunes officiers sont à la charge de l’armée (Etat-major général et ministère de la Défense nationale). C’est complètement faux et ces officiels semblent déconnectés du terrain ou soit ils ont reçu l’ordre de leur hiérarchie de réfuter les informations qui vous ont été fournies par la source diplomatique. C’est faux et archifaux la justification des officiels de l’armée car jusqu’à présent, plusieurs jeunes officiers venus de l’intérieur ne sont pas pris en charge et continuent à être hébergés et pris en charge par leurs connaissances à Kinshasa après leur arrivée à Kinshasa pour le défilé du 30 juin où ils étaient d’abord logés à Maluku puis on leur a demandé de quitter les lieux. »
« Par contre, une partie des 412 officiers qui viennent de terminer leur formation de 9 mois à la Tanzania Military Academy (TMA) à Arusha, sont arrivés à Kinshasa la semaine passée et logés et encadrés à l’ELog (Ecole Logistique) à Binza Mont Fleury. Les officiels peuvent en sont très bien informés et tout monde peut le vérifier. »
Des faux boursiers militaires : une révélation qui fait froid au dos
Une autre source du ministère de la Défense est même allée nous révéler ces pratiques qu’on croyait bannies au sein de l’administration congolaise.
« En ce qui concerne la formation à l’étranger à laquelle fait allusion la source officielle, certes, neuf officiers de la 26ème promotion sont déjà partis au Maroc. Pour une autre partie, leurs bourses pour aller poursuivre leur spécialisation en Chine ont été vendues. Cela concerne environ une vingtaine de jeunes officiers arrivés de Kananga vers Kinshasa en vue d’aller poursuivre leur école d’armées en Chine. Leurs bourses ont été déjà données à d’autres personnes. Nous avons vu passer entre nos yeux de faux rapports établis à l’attention du MDNAC (Ministre de la Défense et des Anciens combattants) lui faisant croire que ces jeunes officiers se trouvaient soit en Chine ou Kitona. Comme, il n’y a pas de culture de contrôle dans nos administrations, le dossier de ces jeunes est considéré comme étant traité. En réalité, de ce groupe, neuf sont partis au Maroc, huit jeunes officiers sont retournés à Kananga et 54 jeunes officiers sont restés à Kinshasa. Seuls 10 d’entre eux sont logés au mess de la Force terrestre au camp Kokolo et le reste éparpillés dans toute la ville, survivant comme ils peuvent. Voilà M. Wondo la réalité de la situation. Et tout ce que je vous dis est vérifiable, même contre-vérifiable. Ce n’est pas normal ce qui se passe ici dans notre armée. Vous devez dénoncer ça au niveau de votre structure car vous vous souciez au-moins du sort de nos militaires.».
La misère au camp Tshatshi où les militaires sont mécontents de leur vécu

DESC a recueilli les témoignages pathétiques de quelques personnes résidant fréquentant le camp Tshatshi où sont casernés les soldats de la Garde républicaine (GR) chargés de la protection présidentielle.
« Les katangais du camp Tshatshi sont méchants. Il y a quelques années ils applaudissaient le président mais ils commencent progressivement à se rendre compte de la réalité et sont maintenant contre Kabila en disant qu’il est rwandais. Les épouses des militaires de camp Tshatshi se prostituent pour nourrir leurs enfants. D’ailleurs, un militaire a tué sa femme lorsqu’il a appris qu’elle s’adonnait à ce genre d’activités à Binza pompage, dans la commune de Ngaliema à Kinshasa. Ces femmes des militaires se prostituent, généralement derrière l’ITC (institut Technique Commercial) Ngaliema à partir de 18h00. La misère pousse ces familles des militaires à se nourrir des os de poulet. Mal payés, ces militaires n’ont pas le moyen d’acheter un poulet et elles se contentent de cela. Ces carcasses proviennent des usines de l’entreprise Congo Tuture (NDLR : qui appartiendrait  Jaynet Kabila), car elle utilise la chair de poule pour fabriquer des saucisses que les kinois appellent ‘kanga journée’. Ces os de poulets , mélangés à la sauce des légumes appelés « Matembele » donnent le goût des poulets. Cela leur permet d’avoir l’impression de manger du poulet. »
Pendant que les troupes d’élite de la GR et le reste de l’armée broient du noir, certaines sources nous avaient appris récemment que quelques généraux nommés en septembre dernier aux postes de commandement ont commandé de la Belgique et par avion des dizaines de caisses de champagnes et liqueurs pour fêter leur promotion. Voilà l’état d’une armée à deux vitesses, qui délaisse ses troupes dans la rue, dont on vante la montée en puissance.
Les représentants de la nation à nouveau  interpellés
Même si DESC ne se fait nullement aucune illusion sur la suite qu’ils vont réserver à ces révélations face à cette situation de clochardisation des militaires, DESC tient tout de même à rappeler à les représentants de la Nation au parlement leurs prérogatives parlementaires. Pendant qu’ils touchent des émoluments de 9.000 $ US mensuels, ils oublient que ceux qui sont censés défendre la souveraineté de la nation et l’intégrité territoriale croulent dans une misère abjecte. Les commissions de la défense et sécurité de deux chambres du parlement ont à leur disposition des éléments pouvant leur permettre de s’informer ce qui se passe réellement au sein de l’armée. Cela relève de la fonction de contrôle dévolu aux députés et aux sénateurs.
Il y a pratiquement deux ans, le 15 décembre 2012, dans son traditionnel discours annuel sur l’état de la Nation devant l’Assemblée nationale et le Sénat réunis en congrès , le président Kabila vous a promis de faire de la défense nationale la priorité des priorités : « Désormais, au-delà de toutes nos actions pour le développement, notre priorité sera la défense de la patrie avec une armée dissuasive, apolitique et professionnelle qui rassure notre peuple ». Dans ses vœux de Nouvel An 2013 adressés à la Nation le 31 décembre 2012, le chef de l’Etat congolais a réitéré le même vœu : « la réforme de l’armée est une des priorités du Gouvernement ».
Cependant, une armée ne peut se dire professionnelle lorsqu’elle n’est pas motivée ni prise en charge. Cette prise en charge relève de la responsabilité de l’ensemble de la nation congolaise dans le cadre d’un pacte moral. La profession des armes implique en effet l’existence d’un contrat moral entre le soldat et la société qu’il sert et dont il fait partie. Ce pacte doit être un gage de confiance mutuelle, d’assurance, de soutien et de réciprocité. Cela doit exiger que les membres des Forces Armées Congolaises se voient fournir les outils et les ressources nécessaires pour accomplir le travail qu’on attend d’eux. (…) En récompense de loyaux services qu’ils accomplissent en faveur de la nation, ils doivent s’attendre à recevoir de l’approbation et de la reconnaissance positive de leurs concitoyens, en commençant d’abord par leurs autorités militaires et surtout politiques. Ce professionnalisme qu’on attend d’eux exige d’abord que les militaires congolais aient impérativement droit à une solde militaire et à une pension dignes et commensurables à leurs valeurs, services et risques professionnels, à un logement décent, à un bon régime de soins de santé, à des possibilités d’apprentissage et de perfectionnement professionnels (In Les Armées au Congo-Kinshasa).
La montée en puissance et le professionnalisme de l’armée ne se limitent pas par l’achat de quelques ferrailles en Russie ou en Ukraine. Le professionnalisme de l’armée passe surtout dans la promulgation de la loi de programmation militaire attendue depuis deux ans. Cette loi budgétaire pluriannuelle est essentielle à la réforme des FARDC dans la mesure où elle va déterminer les ressources budgétaires et encadrer la gestion du personnel et du matériel de l’armée (salaires, dépenses d’équipement, de formation, etc.) dans le but d’atteindre les objectifs réels précis de développement, de modernisation et de montée en puissance des FARDC.
Comme nous ne le cessons de le rappeler, la loi de programmation militaire permettra de déterminer le budget de l’armée sur une période déterminée. Or un budget a une portée politique particulière dans ce sens qu’ au-delà d’une simple estimation (prévision), en tant qu’élément du programme d’action du Gouvernement, la loi de programmation militaire constituera le reflet chiffré de la politique que le gouvernement congolais entend mener dans le domaine militaire et permet de mesurer l’importance que le Gouvernement accorde au secteur de la Défense nationale en l’occurrence. Un secteur décrété priorité des priorités depuis 2006 en RDC et rappelé à plusieurs fois par Kabila mais qui reste encore à la traine, comme en témoignent les faits ci-dessous.
Messieurs les sénateurs et les députés, vous serez individuellement comptables et redevables (le terme « accountability » en anglais convient mieux que responsability) devant la Nation congolaise de l’exercice de votre mandat. L‘article 101 de la Constitution précise que « (…) Le député national représente la nation. Tout mandat impératif est nul. »  L’article 104 de la Constitution dit aussi que  «  (…) Le sénateur représente sa province, mais son mandat est national. Tout mandat impératif est nul. » En effet, la Constitution congolaise a opté pour le principe républicain de souveraineté nationale dans l’exercice de vos mandats qu’elle reconnait non impératifs. Cela veut dire que les députés ou les sénateurs élus sur un mandat non-impératif ne représentent plus leurs électeurs locaux, ni leurs camps politiques respectifs mais bien l’ensemble de la nation.
Exclusivité DESC
Jean-Jacques Wondo Omanyundu est un analyste des questions sociopolitiques, sécuritaires et militaires de la République démocratique du Congo. Il est l'auteur de l’ouvrage-référence ‘Les armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force publique aux FARDC’ (2013). Jean-Jacques Wondo est diplômé de l’Ecole Royale Militaire de Belgique.


Burkina Faso – RD Congo : Le Congo est un cas à part







Burkina Faso – RD Congo : Le Congo est un cas à part

par MUSAVULI 
samedi 1er novembre 2014


Ecoutez
La chute du président Blaise Compaoré du Burkina Faso s’est invitée dans le débat en cours en République Démocratique du Congo, où les partisans du président Joseph Kabila tentent d’assurer son maintien au pouvoir en s’affranchissant des limites de la Constitution actuelle. A Ouagadougou, la population a tout simplement mis fin au débat en chassant le président Compaoré alors que son mandat courait jusqu’à fin 2015. A Kinshasa, la majorité présidentielle a eu de quoi s’angoisser d’autant plus qu’elle avait dépêché au Burkina Faso une délégation qui devait assister au vote des parlementaires burkinabè convoqués pour modifier la Constitution. Pour l’anecdote, les délégués congolais sont restés bloqués dans le pays, les nouvelles autorités ayant décrété la fermeture des frontières aériennes. Le message burkinabè ne pouvait pas être plus clair.





























Il serait pourtant hasardeux d’envisager un scenario à la burkinabè sur le sol congolais. Même si l’hostilité au maintien de Kabila au pouvoir est bien réelle, le Congo est dans une situation beaucoup plus complexe. Elle tient essentiellement au rapport à la violence et à l’importance des enjeux géopolitiques, avec en toile de fond, le contrôle des immenses ressources stratégiques du Congo, et dont les Congolais font les frais.
 
1. Le rapport à la violence
                                                                                                                                                                           Contrairement au Burkina Faso, la République Démocratique du Congo est un pays dévoré par des violences armées et une interminable guerre déclenchée en 1996, avec un bilan astronomique de six millions de morts. Les autorités ont moins de scrupule à recourir à la violence contre la population. Une manifestation pacifique finit facilement dans un bain de sang, une constante confortée par l’impunité chronique dont bénéficient les auteurs de répressions politiques. Les images de Ouagadougou où on voit les manifestants avancer droit sur les forces de l’ordre qui reculent, sont difficiles à ramener des rues de Kinshasa. Ici, on tire dans le tas et on passe à autre chose.
Il est donc possible que Kabila entreprenne de modifier la Constitution. Il est aussi possible que les Congolais protestent contre une telle décision. Mais ce qui est certain est que, là où les hommes de Compaoré se sont abstenus de tirer sur leur population, au point de perdre le pouvoir, les hommes de Kabila n’hésiteront pas un seul instant. Kabila est d’ailleurs au pouvoir à l’issue des élections chaotiques de 2011 au cours desquels l’armée et la police avaient massacré les opposants, sans état d’âme, dans les rues de Kinshasa. Cinq ans auparavant, la répression s’était soldée par un bilan de plus de mille morts. A côté des dirigeants congolais, les dirigeants burkinabè peuvent être considérés comme d’admirables « gentlemen ». Rien à voir avec leurs homologues de Kinshasa. Les morgues de Ouagadougou auraient été pleines et les urgences médicales débordées. Et Compaoré serait toujours maintenu au pouvoir.
 
2. Les enjeux
                                                                                                                                                                         Le Burkina Faso est un pays de 274.200 km² et 18.365.123 habitants. Le Congo est huit fois plus grand, quatre fois plus peuplé et plus difficile à mobiliser. Par ailleurs, l’immensité de ses ressources minières a condamné le Congo, depuis plus d’un siècle, à être la chasse gardée des puissances occidentales qui, tantôt nouent des alliances dans le dos des Congolais, tantôt s’affrontent par Africains interposés pour le contrôle des ressources du pays. Ainsi, là où Blaise Compaoré n’a besoin que de l’aval des Français pour prendre et consolider son pouvoir, Joseph Kabila a besoin d’une demi-douzaine de puissances étrangères pour accéder au pouvoir et commencer à régner sur le pays[1], les Américains ayant le dernier mot.
Un président au Congo est ainsi au cœur de trop d’enjeux économiques et géopolitiques pour être renversé par des manifestants, et les Congolais en ont pris conscience. Ils savent que si les partisans de Joseph Kabila entreprennent sérieusement de modifier la Constitution, c’est qu’ils auront obtenu l’aval des Américains et des Européens, et que toute forme de résistance sera écrasée dans le sang, les capitales occidentales se limitant aux condamnations du bout des lèvres. Il est donc possible qu’on ne puisse jamais voir des manifestants congolais aussi nombreux et déterminés que les Burkinabè. L’histoire particulière du Congo, qui devrait se répéter, est que ses trois derniers présidents (Mobutu Sese Seko, Laurent-Désiré Kabila et Joseph Kabila) ont tous été imposés de l’extérieur, à chaque fois dans des scénarios où le rapport de force tournait systématiquement en défaveur du peuple congolais[2]. L’assassinat de Patrice Lumumba est resté comme le symbole de la défaite des masses populaires congolaises face à la puissance des oligarchies occidentales qui siphonnent les richesses du pays et décident de qui doit gouverner et pour combien de temps.
 
3. Les pouvoirs du président

Le président Compaoré, comme quasiment tous les autres présidents africains, était, pour ainsi dire, le seul maître à bord. Il était, dans son pays, la seule autorité suprême, le seul chef des armées, le seul chef des administrations. Rien à voir avec le Congo où le président Kabila n’exerce, en réalité, qu’un pouvoir limité sur le pays. Le poids de la Mission de l’ONU au Congo (la Monusco) est tel que le Représentant du Secrétaire général de l’ONU au Congo, Martin Kobler[3], apparaît parfois comme le véritable président de la République. Pendant ce temps, le Raïs continue d’être l’objet de la méfiance des franges entières des Congolais du fait de ses liens opaques avec le régime rwandais de Paul Kagame, ce qui s’est traduit par une forme d’éloignement des masses populaires congolaises vis-à-vis de sa personne.
Une configuration comme celle-là est telle que la population peine à identifier et à se focaliser sur un responsable de ses malheurs. Ainsi, au Congo, on manifeste plus souvent contre l’ONU, accusée d’inefficacité, que contre le président Kabila dont l’influence sur le cours des choses est assez faible comparé à la carrure de ses deux prédécesseurs (Mobutu, Laurent-Désiré Kabila)[4]. Comment donc mobiliser des masses populaires contre un président aussi peu présent et dont on sait qu’il n’est pas la « pièce maîtresse » du système contesté ? Car, au final, une révolution n’a de sens que si elle affecte les intérêts des « acteurs majeurs » du système à abattre. Kabila a sa part de responsabilité, mais il est de notoriété publique qu’il n’est pas au centre du « système » qui fait mal aux Congolais.
 
4. Méfiez-vous des révolutions
                                                                                                                                                                                           Il faudra du temps pour comprendre ce qu’il en est de la révolution burkinabè qui fait déjà face àdes dissensions dans les rangs de l’armée. S’il ne s’agit, pour un peuple, que de se débarrasser d’un président dont on ne veut plus, c’est fait à Ouagadougou et ça peut se faire à Kinshasa demain. Mais le plus important dans une révolution est que les révolutionnaires soient en capacité de maîtriser les enjeux et les agendas dont ils vont hériter au lendemain du « grand soir ». Bien des révolutions, si pas toutes, ont débouché sur des lendemains qui déchantent. Pour rappel, des quatre pays qui ont été les plus touchés par le printemps arabe, seule la Tunisie semble s’en être bien sortie[5]. Parce que lorsqu’une révolution éclate dans un pays, les dirigeants du reste du monde prennent des précautions. Le mouvement ne sera jamais à l’identique d’un pays à l’autre.
Il serait bien naïf de croire que les faiseurs de rois occidentaux n’ont pas encore anticipé le scénario d’un soulèvement des Congolais contre le pouvoir de Joseph Kabila. Et si à l’issue d’un tel soulèvement à Kinshasa, l’armée congolaise prenait le contrôle du pouvoir, à l’instar de ce qui se passe à Ouagadougou, ce sera la marche vers l’inconnu. En effet, l’armée congolaise a la particularité d’être une armée noyauté et gangrenée par une multitude d’agents étrangers(essentiellement rwandais et ougandais), conséquence des deux décennies de guerres d’agression, des accords secrets et d’intégrations massive d’individus de toute sorte dans les structures de commandement de l’armée. Dans son ouvrage « Les armées au Congo »[b][6][/b], Jean-Jacques Wondo décrit ce fléau avec beaucoup de gravité. En mai dernier, le colonel Mankesi, parti en exil, avait fait publier des révélations alarmantes sur l’ampleur des infiltrations en masse dans les rangs des FARDC[7] (l’armée nationale congolaise). Et dans la perspective de 2016, une force surnommée « Légion rwandophone » devrait prendre position entre l’aéroport de Ndjili et la ferme de Kingakati sous le commandement du général Gabriel Amisi. L’unité devrait être constituée de soldats exclusivement rwandophones[8] en mission pour réprimer les opposants. Une armée dans l’armée.
Bref, si au lendemain d’une révolution populaire qui verrait le départ de Joseph Kabila, à l’instar de Blaise Compaoré, une armée comme celle-là prenait le contrôle du pouvoir à Kinshasa, ça ne sera guère le bout du tunnel. Il y a un risque bien réel que l’état-major soit composé des haut-gradés rwandais et ougandais, et que le Congo continue d’être piloté de l’extérieur. Il y a également un risque de voir le pays sombrer dans des batailles rangées entre unités de l’armée selon les affinités des officiers dont la loyauté à la nation congolaise ne rassure guère. Le peuple aura mené sa révolution mais les fondamentaux du système qu’il s’agissait d’abattre seront, soit maintenus en l’état, soit contestés de manière chaotique.
Autrement dit, une révolution pour rien. 
                                                                                                                                            Boniface MUSAVULI

[1] Pierre Péan voit dans l’accession de Joseph Kabila au pouvoir la main des Américains sous la présidence de George Bush, des Français sous la présidence de Jacques Chirac, des Belges et des Rwandais (Paul Kagame). Cf. P. PEAN, Carnages – Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Éd. Fayard, 2010, p. 418.
[2] Des quatre présidents qui se sont succédé à la tête du Congo, trois ont été placés au pouvoir par les Etats-Unis, usant de moyens détournés (Mobutu grâce au coup d’Etat de 1965 organisé par la CIA, Laurent-Désiré Kabila à l’issue de la guerre de l’Afdl orchestrée par les Américains et les Britanniques et Joseph Kabila). Seul Joseph Kasa-Vubu, le premier président, a accédé au pouvoir à l’issue d’une élection démocratique.
[3] Diplomate allemand.
[4] Quel que soit le jugement qu’on est en droit de porter sur les politiques menées par les deux présidents.
[5] Les Egyptiens se sont retrouvés dans une impasse après que les Frères musulmans ont mis en minorité des révolutionnaires laïcs. L’armée en a profité pour reprendre le contrôle du pays. En Libye, les manifestants ont offert un prétexte à l’Otan pour bombarder le pays et éliminer Kadhafi. Scénario qui aurait pu être identique en Syrie si Vladimir Poutine n’avait pas volé au secours du gouvernement syrien.
[6] JJ. Wondo, Les armées au Congo-Kinshasa – Radioscopie de la Force Publique aux FARDC, Ed. Monde Nouveau/Afrique Nouvelle, Saint-Légier (Suisse), Avril 2013.
[7] « Les révélations du Colonel Mankesi sur l’infiltration des FARDC », desc-wondo.org, 15 mai 2014.
[8] C’est un euphémisme pour désigner la « cinquième colonne » des armées rwandaises et ougandaises au Congo.
 
http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/burkina-faso-rd-congo-le-congo-est-158826