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lundi 28 novembre 2011

Sanctionner Kabila


Marie-France Cros
Mis en ligne le 28/11/2011
Le Président sortant doit vaincre l’impopularité que lui vaut son incapacité à accomplir ses promesses. Il est aussi vu comme un rempart contre l’UDPS.
Portrait Envoyée spéciale à Kinshasa
Ses trois premières semaines de campagne, Joseph Kabila, 40 ans, les a consacrées à des meetings dans l’est du pays. Exclusivement. Il sait en effet qu’il est peu populaire à l’ouest, acquis à Jean-Pierre Bemba en 2006 et largement à Tshisekedi et Kamerhe cette année; il l’a réservé pour la dernière ligne droite. A l’est, où le candidat n°3 a ses racines familiales, il avait fait des scores de plus de 90 % en 2006. Mais sa popularité y a dégringolé en raison de son incapacité à mettre fin à la violence.
Durant ses premières années à la présidence (2001-2006), où il succéda mystérieusement à son père assassiné, Joseph Kabila avait œuvré à la signature d’un accord de paix, à une cohabitation avec les chefs des anciennes rébellions et à l’organisation d’élections pluralistes. Pour se faire élire, il avait promis de ramener la paix à l’est, où la guerre avait le plus frappé.
Mais ses efforts ont eu pour seul effet incontestable la mise hors d’état de nuire de la rébellion du Tutsi Laurent Nkunda, aujourd’hui intégrée à l’armée, grâce à un accord avec le Rwanda. La collaboration avec ce pays et avec l’Onu pour réduire les rébellions FDLR (Hutus rwandais issus des génocidaires) et maï-maï (bandes armées congolaises) n’a que partiellement abouti. Plusieurs opérations militaires ont réduit le rayon d’action de ces groupes armés, les ont coupés d’une partie de leurs ressources et les ont dispersés; mais une réorganisation de l’armée nationale, ces derniers mois, en déplaçant les troupes, a permis à ces bandes de reprendre du poil de la bête, au détriment des populations. Il y a toujours 1,7 million de Congolais déplacés.
A l’ouest, le Président sortant reste impopulaire. Parce qu’il est de l’est; ses affiches électorales en swahili, langue de l’est, placardées à Kinshasa où l’on parle lingala, lingua franca de l’ouest, y sont diversement appréciées. Impopulaire aussi parce qu’il a concentré les pouvoirs entre ses mains, en dépit de ce que prévoyait la Constitution : contrôle des finances de l’Etat; prédation des richesses nationales par ses proches sans sanctions; mise en place d’une structure parallèle permanente de pouvoir à la Présidence, qui orchestre les ordres du jour du gouvernement; accroissement du pouvoir présidentiel pour réviser la Constitution au détriment du référendum prévu; le chef de l’Etat peut désormais dissoudre les assemblées provinciales et révoquer les gouverneurs élus; non-application de la semi-autonomie financière des provinces, qui devaient retenir " à la source " 40 % des recettes nationales; fin de l’indépendance du pouvoir judiciaire, les parquets étant sous l’autorité du ministre de la Justice, qui peut maintenant empêcher des poursuites
Chez les pauvres - les plus nombreux -, le Président est impopulaire en raison de l’aggravation de leurs conditions de vie depuis 2006. Des "cinq chantiers " promis alors par Joseph Kabila, seul celui des infrastructures est entamé : la construction de boulevards et routes. C’est fondamental pour le développement (sauf quand il s’agit de travaux de prestige, comme le boulevard du 30 Juin), mais la grande majorité des Congolais n’en voit pas encore l’impact sur sa vie quotidienne : "Les routes ! Les routes ! Est-ce que ça se mange, les routes ?" , grondent de nombreux Congolais, qui ne font qu’un repas par jour, voire moins. Dans les milieux riches, on critique le coût de ces voies, plus élevé qu’ailleurs en Afrique.
Les autres chantiers ne sont nulle part : l’emploi ne s’est pratiquement pas accru; l’eau et l’électricité sont nettement moins disponibles qu’il y a cinq ans; le logement reste un problème. Et il n’y a guère d’amélioration dans l’éducation et la santé : malgré la proclamation d’un enseignement "gratuit" pour les premières années primaires, la majorité des parents paient 375 dollars par an pour un enfant à l’école primaire; quant aux hôpitaux, ceux qui existent peinent à assurer leurs tâches, faute de fonds, mais près de 100 millions de dollars auraient été dépensés, selon l’opposition, pour terminer le luxueux hôpital du Cinquantenaire à Kinshasa, qui ne fonctionne pas.
Nonobstant son impopularité, Joseph Kabila est le mieux placé : hors les villes, il dispose d’une administration territoriale qu’il a nommée; son parti est le mieux implanté dans le pays; il use et abuse des moyens de l’Etat; il aura l’appui des partisans du statu quo et de ceux qui craignent une prise de pouvoir par l’ethnie de Tshisekedi, les Lubas, répartis sur toute l’étendue du Congo, contrairement aux autres tribus. Et il serait le bénéficiaire des préparatifs de fraude dénoncés ces derniers jours.

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