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mercredi 18 juillet 2012

N’allez pas au Congo, Monsieur le Président


N’allez pas au Congo, Monsieur le Président(AgoraVox 18/07/2012)

Si le Président français se rend en Syrie, en Iran ou en Corée du Nord, il provoquerait un scandale international. Aller serrer la main des dirigeants dont la réputation est aussi mauvaise en matière des droits de l’Homme reviendrait à cautionner des pratiques qui sont aux antipodes des valeurs prônées par la France et sur lesquelles se structure la société française.

Il existe un pays bien pire et dans lequel, malheureusement, le Président François Hollande va probablement se rendre, en octobre prochain. La très mal nommée République Démocratique du Congo est actuellement entre les mains des dirigeants parmi les pires au monde en matière des droits de l’Homme. Ce qui n’a pas empêché l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) d’y programmer la tenue de son 14ème sommet malgré les protestations des ONG, de l’opposition congolaise et des victimes du régime brutal de Joseph Kabila.

On comprend que la France puisse participer aux sommets de la francophonie, où qu’ils se tiennent. Mais le Président français n’est pas obligé de se rendre dans n’importe quel pays. Il a été élu sur un ensemble de valeurs qui doivent prévaloir sur toute autre considération y compris en matière de politique extérieure. La présence du Président français à Kinshasa serait inévitablement le signe du soutien de la France au régime répressif de Joseph Kabila.

Ce régime est l’aboutissement de la campagne militaire la plus meurtrière au monde. Les principaux décideurs politiques du pays, dont le Président Kabila, sont en effet issus des deux guerres du Congo (1996, 1998) qui ont la particularité d’avoir été la plus grande saignée humaine depuis la seconde guerre mondiale. Plus de six millions de morts ! Les auteurs de ces atrocités sont aujourd’hui à des postes de responsabilité d’Etat et bénéficient d’une impunité totale.

La nature des crimes dont ils se sont rendus coupables est pourtant suffisamment grave pour que la France se montrât aussi ferme qu’elle le fit dans d’autres conflits (ex-Yougoslavie). De nombreux rapports ont retenu le terme de génocide[1] pour qualifier certains massacres. Si cela revient à trop demander à la France d’engager des poursuites contre les auteurs de ces exactions, on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elle prenne ses distances vis-à-vis des dirigeants d’un pays qui se conduisent de manière aussi effroyable.

La liste de ces dirigeants qui ressort des rapports d’ONG et des agences des Nations Unies est tellement longue qu’on ne peut la présenter dans un article aussi court. Par le jeu du hasard, on peut tirer un nom : l’homme qui va assurer la sécurité du Président Hollande durant son séjour à Kinshasa, le général Charles Bisengimana, Inspecteur général de la police. Son nom est cité en gras dans un rapport sur des crimes commis dans l’Est du pays, plus précisément dans le secteur de Mugunga, non loin de la ville meurtrie de Goma. Dans son rapport de janvier 1999[2], l’organisme canadien Droits et démocratie souligne son rôle personnel dans la réalisation des assassinats de masse et d’autres crimes imprescriptibles, puisque relevant de l’article 7 du statut de Rome instituant la Cour pénale internationale.[3]

Il est, par ailleurs, à la tête d’une police qui a tiré sur la population dans les rues de Kinshasa en novembre dernier au cours de la répression[4] menée par le régime de Joseph Kabila contre l’opposition pour assurer son maintien au pouvoir après un hold-up électoral. Les policiers tiraient sur le moindre attroupement, même d’enfants. Près de l’aéroport de N’Jili, ils ont massacré 18 militants de l’UDPS[5] qui manifestaient à mains nues. Les images du carnage, publiées sur le site de la Démocratie Chrétienne (DC), un parti d’opposition, sont insoutenables[6],[7],[8]. Son Président, également porte-parole de l’opposition, Eugène Diomi Ndongala est actuellement porté disparu.

Au sujet de l’élection présidentielle de novembre dernier, les observateurs internationaux mandatés par l’Union européenne et la Fondation de l’ancien Président américain Jimmy Carter ont contesté les résultats officiels. L’Eglise catholique, sans doute l’institution la plus crédible du pays, a considéré que Joseph Kabila avait perdu ces élections[9]. Il s’est, malgré tout, maintenu au pouvoir par la force.

C’est donc un Président « illégitime » qui a massacré la population, comme en Syrie, pour se maintenir au pouvoir, que le Président Hollande va serrer dans ses bras en octobre prochain. Pour les victimes, les opposants et les militants des droits de l’Homme, ces images-là, de la France, sont annoncées pour être pénibles à voir.

Pour revenir sur le « patron » de la police nationale, il a accédé à ses fonctions en juin 2010 après que le régime a été obligé de suspendre son supérieur John Numbi Banza Tambo, impliqué dans l’assassinat, le 1er juin 2010, du militant des droits de l’Homme, Floribert Chebeya Bahizire, Président de la Voix des Sans Voix (ONG).

La victime avait été invitée à l’Inspection Générale de la Police à Kinshasa. Un guet-apens au cours duquel il a été capturé avec son chauffeur Fidèle Bazana Edadi et exécuté par étouffement, la tête enfermée dans un sac plastique. Selon les témoignages recueillis et révélés[10] par le réalisateur belge Thierry Michel, Floribert Chebeya, au cours de l’étouffement, avait agonisé pendant 25 minutes, plus longtemps que son chauffeur. Son corps a été retrouvé le lendemain dans une rue de la périphérie de Kinshasa, mais celui de son chauffeur reste, jusqu’à ce jour, introuvable. Selon les mêmes témoignages, l’ordre d’exécuter Floribert Chebeya avait été donné par la « haute hiérarchie ». En République Démocratique du Congo, la « haute hiérarchie » signifie Joseph Kabila[11].

Floribert Chebeya a été exécuté parce qu’il enquêtait sur les massacres perpétrés dans la Province du Bas-Congo durant la répression contre les adeptes du mouvement Bundu dia Kongo[12] en 2007 et 2008. Ces tueries avaient été commises par les unités de l’armée et de la police dirigées, justement, par le général John Numbi, (plus de 1.000 morts). Elles ont été dénoncées dans plusieurs rapports dont celui de l’ONG américaine Human Rights Watch[13] mais n’ont donné lieu à aucune poursuite. Floribert Chebeya voulait transmettre son rapport au roi des Belges Albert II à l’occasion de son passage à Kinshasa le 30 juin 2010 et, au besoin, porter l’affaire devant la Cour Pénale Internationale. Il a été sauvagement exécuté, ce qui a renforcé le climat de peur dans les rangs des militants des droits de l’Homme et de la population.

L’assassinat de Floribert Chebeya a donné lieu à un procès loufoque au cours duquel les accusés, tous membres de la police nationale, ricanaient entre eux[14]. Les familles des victimes ainsi que les témoins, qui auraient dû être protégées par les autorités, dans un Etat normal, ont été la cible de menaces et d’intimidations au point de devoir fuir le pays. Aujourd’hui, les veuves Chebeya et Bazana, avec leurs enfants, orphelins, vivent en exil (Canada, France). Un ressortissant camerounais, témoin privilégié, parce qu’il avait vu les deux victimes dans les locaux de l’Inspection Générale de la Police avant leur assassinat, a subi des menaces de la part des autorités. Il a été caché par les ONG au cours du procès mais a dû fuir le Congo en y abandonnant tous ses biens.

C’est que le Congo de Joseph Kabila baigne dans un climat d’impunité généralisée. D’ailleurs le principal commanditaire de l’assassinat de Floribert Chebeya, le général John Numbi, n’est même pas poursuivi. La Cour militaire de Kinshasa avait estimé qu’elle n’était pas compétente pour juger un « officier du rang de général ». Une décision qui rappelle celle de 2006 à Bukavu. Dans cette ville de l’Est du pays, le Tribunal militaire de garnison s’était déclaré incompétent pour juger le colonel Thierry Ilunga et l’ancien Vice-Gouverneur, Didace Kaningini Kyoto pour leur implication dans l’assassinat d’un autre militant des droits de l’Homme Pascal Kabungulu de l’ONG Héritiers de la Justice. La victime avait été abattue en présence de sa famille par des hommes en uniforme de l’armée nationale. Un procédé « officiel » pour faire passer clairement le message de la terreur.

Ainsi, en République Démocratique du Congo, il y a des « personnalités » qui assassinent ou commanditent des assassinats sans qu’elles ne puissent être passibles de poursuite devant les cours et tribunaux. Ces « hommes-là », au-dessus des lois, vont tout de même serrer la main du Président de la Patrie des droits de l’Homme, en octobre prochain.

Honnêtement, le Président Hollande n’est pas obligé de se rendre à Kinshasa. Le Congo, même s’il est considéré comme le plus grand pays francophone du monde (superficie-2.345.000 km² et population-70.000.000 ha) n’a jamais que très peu intéressé la France, contrairement à d’autres pays (Côte d’Ivoire). Et même si l’enjeu devrait être la langue française, le pays est tellement mal géré que les écoles où s’apprend le français sont dans un piteux état, quand elles existent. Ainsi l’écrasante majorité des Congolais ne parlent jamais français. Le poids de l’illettrisme est tel que presque tout le monde parle les langues nationales (lingala, swahili, kikongo, tshiluba). Dans les ONG internationales et les agences de l’ONU sur place on parle anglais. Le Président lui-même est anglophone et s’exprime péniblement en français. Il n’y a donc pas d’enjeu majeur pour justifier que le locataire de l’Elysée se laisse aller au cynisme de la realpolitik en se rendant à Kinshasa.

Les ONG se battent depuis des mois pour qu’il renonce à ce voyage. Elles ont même signalé qu’une partie des fonds destinés à l’organisation de ce sommet avait été détournée par les autorités. Eh oui ! Le Congo n’est pas seulement le pays des violences contre la population. Il bat les records en matière de corruption et figure systématiquement dans le peloton de tête des pays les plus corrompus du monde (168ème sur 182 pays)[15], mais aussi les plus pauvres selon l’indice de développement humain du PNUD[16], malgré ses immenses réserves minières[17].

Le Président Hollande va quand même s’y rendre. Heureusement, les images des politiques français aux côtés des dirigeants infréquentables ont la manie de disparaître. Celles de Mouammar Kadhafi avec Nicolas Sarkozy ont déjà disparu du site internet de l’Elysée. Celles de François Hollande avec Joseph Kabila disparaîtront également. Mais il aurait été préférable qu’elles n’eussent jamais existé.

Boniface MUSAVULI


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