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mercredi 10 octobre 2012







Alain Deneault - Auteur avec William Sacher de Paradis sous terre, Comment le Canada est devenu la plaque tournante de l’industrie minière mondiale (Écosociété) 9 octobre 2012 Canada

Un travailleur dans une mine de cuivre de la République démocratique du Congo. Le Canada n’a jamais donné suite à ces demandes du rapport d’experts mandatés par l’ONU en 2002, qui recommandait aux États d’enquêter sur les sociétés soupçonnées d’avoir profité du pillage des ressources au Congo pendant la guerre.
Photo : John Lehmann - The Globe and Mail/La Presse canadienne
Un travailleur dans une mine de cuivre de la République démocratique du Congo. Le Canada n’a jamais donné suite à ces demandes du rapport d’experts mandatés par l’ONU en 2002, qui recommandait aux États d’enquêter sur les sociétés soupçonnées d’avoir profité du pillage des ressources au Congo pendant la guerre.


C'est conforté par les contradictions de sa novlangue (dixit George Orwell, 1984) que le premier ministre canadien Stephen Harper se présentera au Sommet de la Francophonie à Kinshasa, en République démocratique du Congo, la semaine prochaine. 

M. Harper a déjà indiqué aux autorités congolaises, sans sourciller, qu’elles devaient engager des actions en faveur de la démocratie et du respect des droits de la personne. Cette posture de commandement consistera encore une fois pour Ottawa à couper court aux légitimes interrogations qui sont entretenues de toute part sur les responsabilités historiques d’entreprises canadiennes et du gouvernement canadien dans le conflit des Grands Lacs africains ayant fait par millions des victimes au Congo entre 1996 et 2003.


Les faits, les sources

Au début des années 1990, le pouvoir du kleptocrate Joseph Mobutu vacille. Celui qui avait régné en maître absolu pendant plus de trente ans sur le Congo (ex-Zaïre) en ponctionnant allègrement les budgets des sociétés d’État dans le secteur minier se voit lâché par ses anciens soutiens, notamment la Belgique, la France et les États-Unis. Mis sous pression par la Banque mondiale, il ouvre alors à la privatisation le secteur minier. L’aire d’exploration de 82 000 km2 qu’il concède alors à la société aurifère canadienne Barrick Gold fait écarquiller les yeux. Justin Kankwenda, un temps adjoint au Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU pour les Grands Lacs, présente cette entente dans un de ses livres comme le signal envoyé au monde à savoir que tout est désormais à prendre au Congo.

Il s’ensuivra le déclenchement d’un conflit autour du contrôle des ressources minières, sanglant et traumatisant pour tout un peuple. Au dire du Haut Commissariat sur les droits de l’homme quant aux violations des droits fondamentaux au Congo pendant cette période (le rapport « Mapping » de 2010), des groupes rebelles armés et des représentants d’intérêts gouvernementaux se sont fait la guerre pour sécuriser les gisements, qu’ils concédaient ensuite à des sociétés privées précisément pour financer la poursuite de leur guerre.

Un autre rapport onusien sur la question, publié celui-là en 2002, cite neuf sociétés minières ayant un lien d’inscription au Canada, par exemple l’AMFI, Banro et First Quantum Minerals, parce qu’elles contreviendraient aux principes directeurs de l’OCDE en matière éthique destinés aux multinationales.

Dans la foulée de productions onusiennes, le Parlement congolais à peine sorti des secousses de la guerre a créé au milieu des années 2000 une commission chargée d’étudier les contrats signés en temps de guerre, et conclut dans son rapport, signé par son président Christophe Lutundula, un nombre impressionnant d’ententes outrancièrement inégales signées par des sociétés privées et l’État en guerre entre 1996 et 2003. Ces contrats ultra-avantageux concernent plusieurs sociétés canadiennes, celles que cite l’ONU par ailleurs de même qu’Anvil et Emaxon notamment. Certaines ont ratifié ces ententes à partir de leurs filiales dans les paradis fiscaux.

Une Commission de « revisitation » des contrats miniers a ensuite été mise en place pour avaliser un certain nombre de ces contrats en les restructurant superficiellement, effarouchée de déplaire aux investisseurs étrangers.


Enquêtes

Parmi les sources onusiennes mentionnées plus haut, le rapport d’« experts » mandatés par le Conseil de sécurité de l’ONU du 16 octobre 2002 (S/2002/1146) recommandait aux États d’enquêter sur les sociétés soupçonnées d’avoir profité du pillage des ressources au Congo pendant la guerre. Il ajoute sans équivoque aucune : « Les principes directeurs de l’OCDE offrent en outre un mécanisme qui permet de porter à l’attention des gouvernements des pays d’origine, c’est-à-dire des pays où ces entreprises sont enregistrées, les violations, par elles, de ces principes. Les gouvernements dont la juridiction s’exerce sur ces entreprises se rendent coupables de complicité en ne prenant pas les mesures correctives nécessaires. » Les experts onusiens ajoutent qu’ils n’ont pas eux-mêmes les prérogatives requises pour mener à bien de telles enquêtes.

Or, le Canada n’a jamais donné suite à ces demandes. Il a tout au plus gagné du temps en organisant des Tables rondes consultatives avec différents acteurs concernés, sur le mode stérile de la bonne gouvernance. Le « consensus » qui en est sorti n’a abouti à rien, sinon qu’à la nomination à Ottawa d’un « conseiller en éthique » privé de tout pouvoir, conférant ainsi au Canada son rôle de paradis réglementaire et judiciaire du secteur minier mondial. Aujourd’hui, 75 % des sociétés minières choisissent de s’enregistrer dans le cadre législatif canadien parce qu’il est avantageux pour elles, à maints égards, dans leurs opérations à l’extérieur de nos frontières.


Un Canada néocolonial

Les Québécois et Canadiens mus par des convictions éthiques en sont au même point que l’étaient les Européens à la fin du XIXe siècle. Tout concourt à empêcher l’identification pourtant impérative des responsables des graves souffrances infligées à tout un peuple. À l’époque de la domination coloniale belge au Congo, un simple gestionnaire qui n’y avait jamais mis les pieds, le Britannique Edmund Dene Morel ainsi que le pamphlétaire étatsunien George Washington Williams avaient soulevé les premières interrogations sur les sévices commis par des Européens dans ce pays africain riche en ressources, soutenant des hypothèses graves à partir du croisement de sources et de documents variés. Le diplomate Roger Casement avait ensuite confirmé ces allégations dans le cadre d’une enquête diligentée par le gouvernement britannique. Aujourd’hui, au Canada, une telle enquête n’a toujours pas eu lieu. On se trouve plutôt face à un gouvernement rétrograde qui cherche par tous les artifices d’une propagande d’inspiration coloniale à s’arroger le rôle du grand frère démocrate auprès du Congo, alors que la pression devrait en réalité peser sur lui.

http://www.ledevoir.com/politique/canada/360929/la-guerre-c-est-la-paix

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