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vendredi 14 décembre 2012

Pourparlers de Kampala :



 

Le M23 veut imposer sa loi à Kinshasa

Le 28 juillet 2012, en RDC, près de Mabenga. Un combattant rebelle du M23 sillonne cette route du Nord-Kivu, vaste région frontalière avec le Rwanda.
Le 28 juillet 2012, en RDC, près de Mabenga. Un combattant rebelle du M23 sillonne cette route du Nord-Kivu, vaste région frontalière avec le Rwanda.
AFP PHOTO/ PHIL MOORE

Par Bruno Minas

Les pourparlers de paix n’ont pas encore véritablement commencé entre le gouvernement de Kinshasa et le mouvement rebelle M23 qui avait pris la ville de Goma, avant de s'en retirer à la demande des pays de la région des Grands Lacs. En échange, le M23 a obtenu l’ouverture de cette négociation à Kampala, la capitale de l’Ouganda. Et ses revendications s'élargissent.

Les rebelles veulent… tout. Forts de leurs succès militaires, les membres de la délégation du M23 entendent mettre sur la table la situation politique globale du pays. Ils partent du principe que les élections du 28 novembre 2011 ont été truquées. Pour eux, le président Joseph Kabila n’est pas légitime. Ils considèrent qu’il faut revoir toute l’architecture du pouvoir ; ils ont pour objectif un gouvernement de transition incluant les forces de la nation –y compris eux-mêmes– pour aller vers de nouvelles élections.
« Nous voulons discuter des questions relatives à la gouvernance du pays, mais également à la légitimité du pouvoir », affirme Bertrand Bissimwa, porte-parole du M23. « Nous le disons aujourd’hui comme d’autres l’ont déjà dit hier, précise-t-il. Je parle de l’Union européenne, des Etats-Unis, de la Fondation Carter, d’autres commissions qui étaient là comme observateurs. Tous ont critiqué cette élection. Le problème de légitimité se pose. »

Au point de départ de la mutinerie du M23, au mois d’avril 2012, on était encore loin de cette vaste revendication. Il s’agissait à l’époque d’exiger l’application d’un accord, un texte signé entre le gouvernement de Kinshasa et un autre mouvement rebelle, le CNDP (Congrès national pour la défense du peuple), le 23 mars 2009. Cet accord avait mis fin à une rébellion qui avait enflammé l’est du Congo en 2008. Il avait consisté à intégrer dans l’armée nationale les hommes du CNDP. Ce n’était pas une petite affaire puisque plus de 4 000 combattants rebelles avaient fait ainsi leur entrée dans l’armée congolaise. Une partie de ces militaires reprochent au gouvernement de ne pas avoir respecté ses promesses sur les grades, les salaires, et l’affectation de ces soldats. D’où la création du M23 qui signifie Mouvement du 23-Mars.

Pour Kinshasa, pas question d’élargir le débat

Aujourd’hui, Kinshasa consent à vérifier uniquement l’application de cet accord. L’un des principaux négociateurs pour le compte du gouvernement congolais, l’abbé Apollinaire Malu Malu, veut surtout éviter d’élargir le débat : 
« Il n’est pas question de discuter ici de l’ordre constitutionnel et institutionnel de la République démocratique du Congo. » L’abbé Malu Malu ajoute qu’ « il n’est pas question non plus de violer le caractère inaliénable de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale. »

Si l’abbé Malu Malu, ancien président de la commission électorale de 2006 qui avait proclamé Joseph Kabila vainqueur, insiste autant sur la souveraineté et les frontières, c’est parce que, dans cette affaire, le Congo craint surtout de perdre les provinces de l’Est : le Nord et le Sud-Kivu. Ce sont des régions dotées de grandes richesses minières et agricoles. Depuis des années le Kivu fait l’objet de convoitises, et Kinshasa montre du doigt le Rwanda. Ce pays est accusé d’être derrière les rébellions qui se succèdent dans le Kivu depuis plus d’une dizaine d’années.

Le M23 n’échappe pas à la règle. Plusieurs rapports d’experts travaillant pour les Nations unies font état du soutien militaire direct du Rwanda. Pour le porte-parole du mouvement, Bertrand Bissimwa, ce sont là -ni plus ni moins- que des mensonges : « Vous savez que nous n’avons pas de moyens suffisants comme ceux du gouvernement qui a battu campagne par rapport à cela ; comme ceux dont disposent les Nations unies qui ont choisi un groupe d’experts sur ce sujet. Nous sommes en train de nous battre pour que cette désinformation prenne fin. Pour élaborer ce genre de rapports, il doivent venir chez nous, vérifier les faits. »

Face au Rwanda, une diplomatie hésitante

Sur cette implication du Rwanda, Kinshasa envoie cependant des signaux contradictoires. Parfois, le gouvernement dénonce clairement son voisin, parfois il le ménage.

Cette hésitation est due au fait que, même s’il est souvent taxé d’être un agresseur, le Rwanda est aussi un acteur incontournable pour ramener la paix dans la région. Pour sa sécurité, ce pays veut mettre fin à l’activité d’un autre groupe armé qui le menace, cette fois à partir du Congo : il s’agit des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) issues des milices qui avaient perpétré le génocide de 1994. Entre FDLR et M23, entre RDC et Rwanda, la sécurité de l’un ne va pas sans celle de l’autre. Kinshasa n’a aucun intérêt à se brouiller avec Kigali, d’où ce grand écart qui se remarque souvent dans la communication gouvernementale.

A Kampala, le ministre congolais des Affaires étrangères, Raymond Tshibanda , qui dirige les négociateurs du gouvernement, ne veut pas aborder la question du Rwanda dans ces pourparlers :
 « Je suis ici pour dialoguer avec le M23 », assène-t-il. « Je n’ai pas l’habitude de mélanger les interlocuteurs. Le M23 a dit qu’il était un mouvement autonome ; qu’il s’assume. Je lui en ai donné acte. Au cas où il y aurait un quelconque différend entre notre pays et un pays voisin, ce n’est pas ici que l’on va en parler, le M23 n’est pas leur porte-parole ! »

Dans le même temps à Kinshasa, les autorités exhibent devant la presse des prisonniers de guerre présentés comme des soldats rwandais capturés dans les rangs du M23.

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