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vendredi 3 janvier 2014

Tuer, tuer, tuer et ensauvager. Le lot quotidien de la RDC En mémoire de Moustapha Ndala


Tuer, tuer, tuer et ensauvager. Le lot quotidien de la RDC
En mémoire de Moustapha Ndala


« Vous ne faites que me tuer : mais je reviendrai et je serai des millions. » J. APAZA

Qui vient de tuer Mamadou Moustapha Ndala ? Qui a tiré sur nos enfants à la RTNC, à l'aéroport, au camp Tshatshi, dans les rues de Lubumbashi ou à l'aéroport de Kindu ? Qui a dit aux partisans de Jean-Pierre Bemba, après la mascarade électorale de 2006 : « Nous allons vous tuer » ? Qui a tiré sur nos compatriotes à l'aéroport de N'Djili le 26 novembre 2011 ? Qui a tué Lumumba le 17 janvier 1961 ? Qui a assassiné Chebeya et Fidèle Bazana ? Et Serge Maheshe ? Et Bapuwa Muamba ? Qui a retiré Eugène Diomi Dongola de l'hôpital dernièrement ? Qui garde Kuthino en prison ? Pourquoi ? Pourquoi ? Qui sont tous ces messieurs ? Des fils du Congo. Souvent coupables d'aimer leur terre-mère et de dire la vérité sur son exploitation éhontée par les élites occidentales dominantes et leurs nègres de service. Ils ont eu le malheur d'être sortis d'une terre aux richesses fabuleuses.
En dehors de ces noms connus, plus de 8000.000 des Congolais(es) paient le prix de cette appartenance à cette terre depuis les années 90. Et les efforts sont déployés pour effacer cette histoire ou en falsifier le fil rouge quand tous ces compatriotes ne sont pas tout simplement criminalisés : « ils sont des terroristes ».

Tuer et ensauvager, c'est nier son humanité et celle de l'autre. Le Congo est en train de basculer dangereusement, par la bêtise de son actuel gouvernement fantoche et de ses supporters, dans l'inhumanité. Il a le devoir de redevenir humain. Contre vents et marées !
Quand, en 1996-1997, l'AFDL participant de ''l'impérialisme intelligent'' prend une part active à la guerre de basse intensité orchestrée par les élites dominantes anglo-saxonnes et ''les nouveau leaders de la renaissance africaine'', Kagame et Museveni, elle ment aux Congolais(es) en prétendant qu'elle s'est engagée à chasser Mobutu du pouvoir pour ''les libérer''. Plusieurs d'entre nous ont cru en ce mensonge. Et cette crédulité perdure. Nos compatriotes sont embrigadés dans l'armée et envoyés au front comme chair à canon au profit des entreprises transnationales.

Les Africains avertis et les autres hommes et femmes de bonne volonté, à travers le monde, avaient réussi à saisir l'un des enjeux de cette guerre. Se confiant à René Holenstein, Joseph Ki-Zerbo dit : « Je me rappelle que quand Laurent-Désiré Kabila avançait vers Kinshasa, la capitale de ce qui devait devenir la RDC, il était accompagné par de véritables meutes, par des groupes qui chacun flairait sa concession minière. Au cours de la progression, on négociait en même temps les droits concernant les différents secteurs miniers du pays. »[1] Et il ajoute –ceci est très important- : « Aujourd'hui donc, il y a une autre sorte de nouveau partage de l'Afrique qui ne dit pas son nom, mais qui se fait à travers l'invasion capitaliste, financière surtout, dans les différentes zones du continent. »[2] (Les exemples crèvent les yeux : la Libye, le Mali, la Centrafrique, le Soudan, etc.) Avoir accès aux concessions minières, procéder à un nouveau partage de l'Afrique, détruire ses identités culturelles et nationales, avoir une main-d'œuvre corvéable à merci, etc., sont les objectifs permanents des multi et transnationales aidées par « les petites mains expertes du capital » dans « une économie de guerre permanente ». Et Joseph Ki-Zerbo ajoute encore : «Cela nous montre bien que les peuples n'intéressent pas ces gens. Il y a des guerres qui sont soutenues, appuyées, trafics d'armes y compris, par ces organisations et compagnies minières transnationales. Et parfois, elles n'hésitent pas à susciter des rébellions pour affaiblir le pays avec lequel elles négocient. »[3] Elles sont de plus en plus fortes et plus puissantes que les Etats. Elles arrivent, par des lobbys interposés à infléchir les principes de gestion étatique pour leurs intérêts privés tout en réservant aux pays où elles sont installées leur part.

Nous ne le dirons jamais assez, la matrice organisationnelle sur fond duquel fonctionnent ces multi et transnationales est porteuse de la violence et de la mort. Et ces dernières doivent leur fonctionnement optimal à leur capacité d'impliquer en les corrompant de mille et une façons « leurs petites mains expertes » du Nord et du Sud, de l'Est et de l'Ouest. Elles accomplissent « un travail merveilleux » en réseau, dépassant la ridicule dichotomie des ''méchants loups du Nord'' et des ''doux agneaux du Sud''. Dans l'annexe citant les principales sociétés impliquées dans le pillage et la criminalité en Afrique, ''Noir Canada'' est très instructif sur ce sujet[4].
Mensonge, travail minutieux en réseau, corruption des élites compradores, fabrication des rébellions et de la criminalité pour affaiblir les pays convoités, une rhétorique à fortes doses de propagande criminalisant toute résistance à cette néocolonisation de l'Afrique, des cœurs et des esprits, décervelage, etc., telles sont ''les armes de destruction massive'' auxquelles recourent ces ''cosmocrates '' sans scrupule, créateurs de ''l'empire de la honte''.

Avec leurs experts, ils savent que « l'opinion est fondée sur l'ignorance (...). »[5] Ils mobilisent les moyens intellectuels[6], médiatiques, matériels, spirituels, sociaux et économiques pour que l'apprentissage de l'ignorance finisse par démobiliser les cœurs et les esprits et laisser le champ libre à leur exploitation éhontée de l'humain.
A ce point nommé, les minorités organisées en conscience comprennent qu'elles ne doivent pas baisser la garde. Elles savent ceci : « Informer, rendre transparentes les pratiques des maîtres est la tâche première de l'intellectuel. Les vampires craignent comme la peste la lumière du jour. »[7]

Disons que ce que le Congo de Lumumba est en train de vivre depuis la guerre de l'AFDL est « une criminalité organisée » par « une économie gangstériste de guerre permanente ». Elle tient à éliminer tous les dignes fils et filles de ce pays. Kimbangu, Kimpa Vita, Lumumba, Chebeya, Bazana, Mbuza Mabe, Tungulu, Mamadou Ndala, Kalume, Serge Maheshe, Alain Moloto, etc. en sont tombés victimes. Et une guerre menée en réseau est difficile à cerner quand on en connaît pas la véritable nature. Elle a des ennemis à l'extérieur et à l'intérieur du pays. Malheureusement, une relecture biaisée de notre histoire ne nous aide pas à avoir le fil rouge de cette criminalité organisée. Souvent, certains d'entre nous citent Adam Hochschild et l'oubient aussitôt après. «La terreur coloniale dans l'Etat du Congo » se poursuit dans un Congo mis sous la tutelle de l'ONU. Hier avec des ''Kapitas médaillés'' ; aujourd'hui, avec ''les nouveaux leaders de la renaissance africaine'' et leurs complices opérant dans les institutions agencifiées du pays.

Sommes-nous le seul peuple du monde à subir les affres de la colonisation et de la néocolonisation ? Non. Plusieurs peuples de l'Amérique Latine sont passés par là. Le Venezuela, l'Equateur, la Bolivie en savent quelque chose.
Prenons un seul exemple, la Bolivie. Indépendante depuis 1825, elle a cru, pour une bonne partie de son peuple, réellement réussir à se débarrasser de l'Etat colonial qu'à l'élection d'Evo Morales en 2005. Pourquoi a-t-il cru en cela ? Evo Morales lui a donné la fierté d'être un peuple digne. En faisant quoi ? En créant un Etat national pluriethnique ou plutôt un Etat de droit plurinational ayant la souveraineté économique, culturelle, spirituelle et matérielle. Cet Etat a récupérer en les nationalisant les entreprises publiques gérant les ressources du sol et du sous-sol bolivarien et en luttant contre la pauvreté. « Devenu maître de ses richesses et souverain sur sa terre, le peuple bolivien, soutient Evo Morales, doit construire une nation pluriethnique, démocratique et solidaire. » Et « pour lui, l'Etat national est synonyme d'Etat de droit. Il organise la justice sociale, l'équité, la protection des droits de l'homme. Il assure à chacun la liberté et la sécurité. » Le peuple bolivien a-t-il chassé les entrepreneurs privés ? Non. Il les gère autrement. Quand ils sont impliqués dans la gestion des entreprises bolivariennes, ils prennent 18% du prix et les 82% vont à l'Etat. Cette opération est légalisée. Le gaz, le pétrole et les mines sont les propriétés du peuple bolivarien et cela ne se discute pas. Une Assemblée constituante a légiféré sur toutes ces matières.

Comment la Bolivie en est-il arrivé là ? Elle a une tradition de la résistance contre les colons, les néocolons et leurs ''Kapita médaillés''. Déjà en 1781, la Bolivie a connu la mort atroce de l'un de ses dignes fils, un indien, Julien Apaza, alias Tupac Katari. Après avoir égorgé toute sa famille, les bourreaux espagnols le décapitèrent. « Au bourreau qui allait le décapiter, le jeune Tupac Katari aurait dit : « Vous ne faites que me tuer : mais je reviendrai et je serai des millions. »[8] Ces paroles ont été transmises de génération en génération au cours des veillées nocturnes. Et le MAS (Mouvement vers le socialisme), le Front de résistance ayant porté Morales au pouvoir en 2005 fut majoritairement composé des héritiers de cette tradition. Et, il y a quelques semaines, Evo Morales vient d'exproprier une entreprise espagnole d'électricité en vue de la nationaliser.

Récupérer sa souveraineté en tout et pour tout, légiférer (à partir d'une Assemblée constituante représentative d'une nation plurielle) sur les matières sensibles de cette souveraineté pour éviter les pièges de la dérèglementation, de la libéralisation et de la privatisation tous azimuts du néolibéralisme, refonder l'Etat sur la solidarité et la coopération aux dépens de la matrice organisationnelle violente et mortifère du capitalisme du désastre, tout cela peut permettre à un pays de se tracer une voie alternative. Il n'y a pas de roue à inventer. Tout ou presque est dans les livres. Il faut oser lire et s'instruire. Relayer ce qu'on a lu aux autres sans crainte de la critique et du conflit ''maîtrisé''.

Le Congo a besoin de son Front de résistance, contre vents et marées. Il doit refonder l'école et y enseigner la relecture de son histoire à partir de l'engagement citoyen de ses dignes filles et fils. C'est vrai. Il a opéré, au cours de son histoire, par sa faute ou sous la pression des vampires, des mauvais choix politiques, géopolitiques et géostratégiques. Il est obligé de les corriger et/ou de les modifier en profondeur. Il doit user de beaucoup d'imagination, de créativité et d'inventivité pour s'imposer des principes éthiques qui l'aide à rompre avec le cycle infernal de l'ensauvagement où il est plongé depuis longtemps.

Ses dignes filles et fils doivent lire et relire Frantz Fanon et savoir qu'il n'y a qu'un peuple souverain composé majoritairement de ''démiurges'' qui renverse les rapports de force dans ce monde dominé par l'argent.
Oui. Ils doivent relire Frantz Fanon. Il écrit entre autres ceci : « Notre tort à nous, Africains, est d'avoir oublié que l'ennemi ne recule jamais sincèrement. Il ne comprend jamais. Il capitule mais ne se convertit pas. Notre tort est d'avoir cru que l'ennemi avait perdu de sa combativité et de sa nocivité. »

Relire Frantz Fanon et bien d'autres pour passer de notre collective crédulité à de nouvelles croyances informées par notre processus historique relu de manière critique et par les processus sans lesquels les autres peuples du monde n'auraient pu se débarrasser de l'impérialisme et du néocolonialisme déshumanisants. Qui aurait cru que John Kerry irait avoué, officiellement, qu'après avoir pratiqué la doctrine Monroe en Amérique Latine, pendant longtemps en la traitant comme son arrière-cour, son pays y renonçait ? (La doctrine Monroe n'a pas été l'invention des ''apprentis politiciens'' sud-américain , mais de l'empire US comme les guerres de haute ou basse intensité que « sa politique profonde » a imposée aux autres peuples au nom de son exceptionnalisme et l'idéologie du ''choix divin'' dont il croit jouir.)

Le sang des martyrs des peuples luttant sur le temps féconde leurs luttes. Ils peuvent, à la suite de Mao dire : « De défaite en défaite jusqu'à la victoire finale » ! Et quand leurs dignes fils et filles tombent au front parce qu'ils portent en eux des idéaux nobles, ils ne meurent pas : ''ils passent de l'autre côté'', dans ''la cour-toujours-balayée'' de Maweja. N'empêche que nous puissions apprendre collectivement à faire la différence entre ''passer de l'autre côté'' pour une cause patriotique et juste et mourir par notre faute ou par ignorance pour les entreprises. Même si cela est souvent difficile à percevoir.

Jean-Pierre Mbelu Babanya Kabudi
Vendredi 03 Janvier 2014

[1] J. KIZERBO, A quand l'Afrique. Entretiens avec René Holenstein, Paris, L'aube, 2003, p. 48.
[2] Ibidem.
[3] Ibidem.
[4] A. DENEAULT et D. ABADI, Noir Canada. Pillage, corruption et criminalité en Afrique, Montréal, Ecosociété, 2008.
[5] J. ZIEGLER, L'empire de la honte, Paris, Fayard, 2005, p. 320.
[6] L'un des moyens intellectuels est la lutte que leurs experts mènent contre les points de vue alternatifs. Ils en font des points de vue communistes ou « travaillistes belges ». Pernicieusement, ils ferment le chemin vers la lecture d'autres textes, d'autres références ou d'autres documents proposés par ''les relayeurs'' et permettant le choc des idées. Il y a dans leur chef comme un retour du principe : « Magister dixit ». Ils veulent ainsi détruire l'un des principes chers aux Lumières : le ''sapere aude''. Cette invitation à oser user de son entendement en sortant des sentiers battus par le capitalisme du désastre et ses « petites mains expertes ».
[7] Ibidem.
[8] J. ZIEGLER, La haine de l'Occident, Paris, Albin Michel, 2008, p. 211."

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