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jeudi 15 mai 2014

Rebondissement dans l’affaire Bemba :


Me Mafuta : 
«Aimé Kilolo-Musamba récuse le Procureur Fatou Bensouda»


L’avocat bruxellois Guylain Mafuta Laman, conseil d’Aimé Kilolo-Musamba. Photo CIC 



La meilleure défense, c’est l’attaque. L’avocat Aimé Kilolo-Musamba a décidé de rompre le silence. Il veut croiser le fer dans une affaire que d’aucuns qualifient de «procès politico-judiciaire». Dans un communiqué daté du mercredi 14 mai 2014, Guylain Mafuta Laman, avocat au barreau de Bruxelles et membre de l’équipe de défense de son confrère Aimé Kilolo-Musamba - conseil du sénateur Jean-Pierre Bemba Gombo, arrêté le 24 novembre 2013 à Bruxelles et transféré à la Cour pénale internationale à La Haye –, fait savoir que son client "accuse" le procureur près la Cour pénale internationale ainsi que les membres de son office d’abuser de leurs fonctions pour "intimider" les avocats de la défense. Selon Me Mafuta, son confrère Aimé Kilolo-Musamba, en sa qualité de conseil de Jean-Pierre Bemba, avait obtenu des informations établissant que 22 témoins à charge appelés à la barre par le procureur avaient reçu des «sommes d’argent» et de «nombreux avantages». Pour lui, l’accusation a précipité l’interpellation de Kilolo pour étouffer dans l’oeuf les révélations que celui-ci comptait faire au cours d’une prochaine audience. Dans son communiqué, l’avocat Mafuta reproche par ailleurs au procureur une certaine discrimination raciale en ciblant «uniquement les avocats de race noire au sein de l’équipe de défense de Jean-Pierre Bemba». Au cours d’un entretien, Me Mafuta a donné quelques détails supplémentaires à la rédaction de Congo Indépendant.
«Subornation de témoins»

«Maître Aimé Kilolo-Musamba a chargé son équipe de défense d’initier un certain nombre d’actions judiciaires afin de faire éclater la vérité, indique en liminaire le communiqué. Pour l’heure, il a décidé de récuser le Procureur et le Juge chargé des faits pour lesquels il est incarcéré injustement ». «Les avocats de Monsieur Jean-Pierre Bemba sont restés depuis six mois sans recevoir notification de griefs précis retenus contre eux, accompagnés des éléments de preuve qui s’y rapportent alors que le procureur prétendait détenir plusieurs éléments de preuve», ajoute le texte.

De retour d’un voyage au Cameroun, l’avocat bruxellois Aimé Kilolo-Musamba, conseil du sénateur Jean-Pierre Bemba Gombo, a été arrêté, dimanche 24 novembre 2013, à l’aéroport de Zaventem à Bruxelles. Dans un communiqué publié le lendemain, le bureau du procureur près la CPI évoquait un cas de «subornation de témoins». «Les suspects auraient constitué un réseau aux fins de produire des documents faux ou falsifiés et de corrompre certaines personnes afin qu’elles fassent de faux témoignages dans l’affaire concernant M. Bemba», pouvait-on lire.

L’avocat Mafuta ne trouve pas des mots assez durs pour fustiger cette interpellation. Pour lui, cette mesure «n’était nullement nécessaire». A l’appui de sa thèse, il précise : «Si le procureur avait des choses sérieuses à reprocher à Me Kilolo, il aurait pu le faire venir à son bureau via une citation à comparaître au lieu d’un mandat d’arrêt qui est un moyen agressif». Et d’ajouter : «Me Kilolo est avocat au barreau de Bruxelles. Il vit en Belgique où ses trois enfants sont scolarisés. Mieux encore, il a ses bureaux à La Haye. Il n’y avait aucun risque de soustraction à la justice».

Le Barreau pénal international basé à Barcelone n’avait pas dit le contraire. Dans un communiqué daté du 10 janvier 2014, on peut lire : «(...) la détention est une situation exceptionnelle, sauf dans des circonstances extrêmes qui ne semblent pas réunies dans le cas de nos confrères. En effet, il ne saurait exister de risques de fuite, puisque Me. Kilolo et Me. Magenda ont leur domiciles professionnels respectifs à Bruxelles et à La Haye et disposent de bureaux au sein même du bâtiment de la Cour pénale internationale, devant laquelle ils plaident actuellement. La mise en liberté immédiate de nos deux confrères s’impose».

«Audience d’infirmation des charges»

Six mois après l’«embastillement» des membres de l’équipe de défense de Bemba, les intéressés attendent désespérément l’audience dite de confirmation des charges. «Il s’agira en fait d’une audience d’infirmation des charges», tonne Guylain Mafuta qui dénonce au passage la détermination dont a fait montre le procureur pour obtenir par des « voies illégales » ce qu’il n’a pu obtenir dans le cadre du procès. «Depuis 2008, le téléphone de Me Kilolo était sur écoute», dit-il. Ces écoutes ont permis à l’accusation de découvrir que les avocats de la défense avaient obtenu des informations selon lesquelles les « témoins à charge » avaient été corrompus.

Le Juge unique Cune Tarfusser en prend également pour son grade. Le magistrat est accusé d’avoir «ordonné» les écoutes et enregistrements des communications téléphoniques couvertes par le secret professionnel entre le conseil principal, son client et ses collaborateurs, en violation flagrante des privilèges et immunités». Le communiqué de marteler : «Ce juge s’acharne à confiner les avocats dans un régime pénitentiaire identique à celui réservé à des personnes contre lesquelles sont allégués des crimes contre l’humanité alors qu’il leur est reproché un délit non prouvé et au sujet duquel ils bénéficient de la présomption d’innocence».

Le texte signé par l’avocat Mafuta n’épargne pas non plus le Greffe de la CPI. Au motif qu’au lieu de garder sa neutralité, le Greffe «a enregistré systématiquement entre 2008 et 20013 des conversations confidentielles entre Monsieur Jean-Pierre Bemba et l’avocat Jean-Jacques Mangenda Kabongo (…) ». De même, souligne le document, le Greffe continue d’enregistrer systématiquement toutes les conversations entre les avocats de Me Kilolo et de Jean-Jacques Kabongo. Et ce y compris des conversations entre ceux-ci avec les membres de leurs famille «au mépris de la jurisprudence de la Cour Européenne des droits de l’Homme sur la protection de la vie familiale».

"Un parfait bouc émissaire"

Le 24 mai prochain, l’ancien vice-président de la République et sénateur Jean-Pierre Bemba Gombo aura totalisé six années de «détention préventive» dans une cellule de la CPI. Il a été interpellé par des éléments de la police judiciaire belge un certain 24 mai 2008. Depuis six ans, l’accusation – représentée successivement par les procureurs Luis Moreno-Ocampo et Fatou Bensouda – et l’équipe de défense de Bemba se livrent un combat pour le moins inégal. Le procureur tente, sans succès, à démontrer que le leader du MLC commandait, depuis Gbadolite, les troupes de son mouvement déployées en Centrafrique. Celles-ci ont été accusées d’avoir commis de viols, meurtres et pillages à Bangui. La défense elle tambourine depuis le début du procès en 2010 que le contingent du MLC était commandé par des officiers centrafricains. Aussi, exige-t-elle la «mise hors cause» de son client. Fait surprenant. Le bureau du procureur n’a jamais daigné faire venir à la barre les responsables civils et militaires centrafricains de l’époque. Outre l’ancien président Ange-Félix Patassé (aujourd’hui décédé) et son successeur François Bozizé, il y a également le Tchadien Abdoulaye Miskine et quelques généraux. Ce seul fait pousse certains observateurs à conclure que le procureur près la CPI ne cherche nullement à faire éclater la vérité mais simplement à trouver «un parfait bouc émissaire».

Qui oserait soutenir que le leader du MLC peut être donné au Bon Dieu sans confession? Reste que l’affaire Bemba est émaillée de plusieurs faits pour le moins troublants.

Il y a d’abord le rôle de premier plan joué par des activistes de la FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme) dans la collecte des «témoignages à charge» avec la ligue locale des droits humains dirigée à l’époque - à partir de 2003 - par l’avocat Goungaye Wanfio Nganatoua, tué dans un accident pour le moins suspect. Cette organisation non gouvernementale est réputée proche du Quai d’Orsay.

Il y a ensuite un courrier électronique daté du 21 avril 2006 adressé à Léonard She Okitundu, alors directeur du cabinet de «Joseph Kabila» avec copie à l’ambassadeur congolais à Bangui Mugaruka bin Mubibi. L’objet du message se passe de tout commentaire : «JPB CPI». L’expéditeur est un ministre de François Bozizé. Son nom : Abdel Karim Mekassoua. «Chers amis, écrivait celui-ci, je vous transmets les infos nécessaires à la très haute attention du PR. Merci de mettre 2 billets A/R à disposition sur AF, pour un départ le 22 avril de Bangui et retour le 24 avril via Douala pour A. Karim Meckassoua et Me Goungaye Wanfiyo Nganatoua. Je confirme le rendez-vous avec Antoine qui a mon contact de Paris (...). Mes respects au PR et merci pour votre diligence.»

Il y a enfin l’étrange affaire relative aux «attaques» en septembre 2009 des résidences d’Endundo Bononge et Alexis Thambwe Mwamba, deux transfuges du MLC passés dans le camp kabiliste. Selon le porte-parole du gouvernement, le même, les résidences de ces personnalités – qui étaient ministres au moment des faits – auraient été criblées de balles par des inconnus. Selon lui, les «assaillants» auraient chaque fois laissé un message accompagné d’une balle : «Si tu témoignes contre Jean-Pierre Bemba, tu mourras». A en croire Lambert Mende, d’autres personnalités ex-MLC avaient reçu le même message par SMS. C’est le cas notamment d’Olivier Kamitatu, Antoine Ghonda et Valentin Senga.

Coïncidence ou pas, cet «incident» est intervenu au moment même où la Cour pénale internationale avait décidé le 14 août 2009 de faire bénéficier à Bemba la «liberté provisoire». Cinq années après, l’opinion congolaise attend toujours de connaître les conclusions de l’enquête que la police n’avait pas manqué d’ouvrir sur cette mystérieuse affaire.

Les agissements inquiétants de la FIDH et de l’AFP

Surprise. Une dépêche de la très sérieuse Agence France Presse vint ajouter dans la confusion ambiante. Selon cette dépêche, la «famille» - sans d’autres précisions - de feu Goungaye Wanfio Nganatoua se serait manifestée pour exiger le maintien de Bemba en détention. L’AFP ne cite nullement le nom d’une personne physique qui parle au nom de cette « famille ». Dans un communiqué daté du 3 septembre 2009, la FIDH d’enfoncer le clou en se disant «très préoccupée du risque que pourrait représenter» la mesure de liberté provisoire en faveur de Bemba «pour toutes les victimes et les témoins». Ajoutant : «La FIDH rappelle que la situation sur le terrain, tant en République Centrafricaine (RCA) qu’en République démocratique du Congo, est très tendue, et que les témoins et victimes des crimes dont Jean-Pierre Bemba est accusé se trouvent dans une situation extrêmement précaire». «La FIDH craint que l’extrême vulnérabilité des acteurs sur le terrain ne soit aggravée par une éventuelle libération provisoire de Jean-Pierre Bemba.» Le communiqué souligne en conclusion la «crainte» de la Fédération de voir Jean-Pierre Bemba échapper «à la justice internationale et que des preuves disparaissent.»

Le 11 mars 2014, le procureur Fatou Bensouda effectuait une «visite de travail» à Kinshasa. Elle a été reçue notamment par «Joseph Kabila». De quoi ont-ils parlé ? On peut gager qu’ils ont évoqué le refus du Congo-Kinshasa de transférer le chef de l’Etat soudanais El Béchir qui a séjourné dans la capitale congolaise en février dernier mais aussi le cas Bemba. Et si «Joseph Kabila» était le tireur des ficelles non seulement dans l’affaire Bemba mais aussi dans celle relative à l’arrestation des avocats de celui-ci? Sans omettre le député national MLC Fidèle Babala Wando arrêté à son domicile à 2 heures du matin et transféré depuis le 24 novembre dernier à la CPI?

Me Guylain Mafuta Laman qui se garde "de toute politisation" de conclure : « Aujourd’hui, Maître Kilolo est une victime pour avoir voulu affronter jusqu’au bout le procureur dans le cadre d’une bataille judiciaire. Il a contacté des témoins à décharge qui ont mis à mal la démarche du magistrat. Le procureur savait que Me Kilolo s’apprêtait à dénoncer le fait que des témoins à charge ont été soudoyés. Si mener des enquêtes, contacter des témoins pour la manifestation de la vérité, défendre et réussir à faire libérer un accusé est considéré par le procureur comme un crime qui conduit un avocat derrière les barreaux, alors quel est finalement le rôle des avocats à la Cour pénale internationale ?»
Baudouin Amba Wetshi 
© Congoindépendant 2003-2014




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