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lundi 3 novembre 2014

Afrique – Vive le référendum « destitutionnel »!

























Le jeudi 30 octobre 2014, le Burkina Faso, pays des « hommes intègres », a inventé la notion de « référendum destitutionnel » en administrant, à l’ensemble des peuples subsahariens du continent africain, la plus éclatante des leçons, celle du refus résolu et de la résistance acharnée à toute révision constitutionnelle pour convenance personnelle. En descendant massivement dans les rues de Ouagadougou et Bobo Dioulasso, et en s’attaquant aux symboles d’un pouvoir aux abois, les Burkinabé ont pris leurs responsabilités, face à une dérive autocratique potentiellement dangereuse pour leur avenir, en contraignant le Président Blaise Compaoré à la démission puis à l’exil en Côte d’Ivoire. Pour autant, la confusion qui semble encore régner au Burkina, suite à la désignation par l’armée du numéro 2 de la Garde Présidentielle pour assurer la transition, n’est pas encore de nature à rassurer un peuple bien résolu à ne pas se laisser confisquer sa victoire.

Et maintenant?

L’Opposition et la Société Civile appellent à nouveau à manifester pour que la transition politique soit conduite par un civil et non par l’armée, tel que le prévoit la Constitution. En effet, c’est le Président de l’Assemblée Nationale qui assure l’intérim en cas de vacance du pouvoir… or cette même Assemblée a été dissoute! Seule solution, en vertu du principe juridique du « parallélisme des formes » (l’auteur d’un acte doit être celui de l’acte contraire), l’armée devrait « réinstaller » le Parlement burkinabé afin qu’une transition « civile et consensuelle » puisse créer les conditions d’une alternance démocratique que le peuple appelle de ses vœux. En effet, il nous faut ici insister sur le devoir et l’obligation des forces armées et de sécurité de se mettre à la disposition des autorités civiles qui ont vocation à conduire cette transition et d’agir dans un esprit républicain.

Une claque monumentale pour la Françafrique

Avec la descente aux enfers puis la chute de Blaise Compaoré, Paris perd l’un de ses alliés les plus précieux mais surtout l’un des piliers de la Françafrique. Les événements de ces derniers jours ont considérablement faussé la « grille de lecture » des Autorités françaises et des alliés du Président déchu qui ont été surpris et débordés par l’ampleur de la réaction populaire. Il sied de rappeler que Paris, mais aussi Washington, se seraient finalement accommodés de cette entorse constitutionnelle si elle était venue à passer le test du vote parlementaire ou du référendum. En effet, au fil des ans, Blaise Compaoré, Président d’un pays pauvre et enclavé de 16 millions d’habitants dont l’économie repose sur la culture du coton et l’envoi d’argent de sa nombreuse diaspora, était devenu « l’enfant chéri des institutions financières internationales pour la rigueur de sa gestion des affaires publiques », dixit ses plus fidèles soutiens.
Surtout, Blaise Compaoré, d’ethnie Mossi (la plus nombreuse du pays), s’était imposé au fil des ans comme le médiateur utile de bien des crises régionales. Certes, ces derniers temps, Paris et Ouagadougou n’étaient pas sur la même longueur d’ondes au sujet du dossier du Nord-Mali, secoué par une énième montée indépendantiste touareg et miné par des groupes djihadistes. Mais au bout du compte, le Burkina avait ouvert ses frontières aux armées française et américaine engagées dans la lutte antiterroriste au Sahel. Malgré ce tableau flatteur que certains n’ont pas hésité à peindre de lui, Blaise Compaoré a représenté le pivot central des intérêts cachés de la Françafrique, celui qui fidèlement a été au service de tous les coups fourrés en Afrique de l’Ouest et de toutes les déstabilisations. Il se présentait comme le pompier de la sous-région, relayé en cela par des soutiens extérieurs zélés, alors qu’en réalité il a trempé dans les affaires les plus sombres, favorisé guerres et rebellions, de la Sierra Léone au Liberia, en passant par la Côte d’Ivoire et jusqu’au Mali où il jouait encore récemment un jeu trouble.

Un avertissement et une mise en demeure…

La question vaut désormais son pesant d’or: le « message du Burkina » sera-t-il reçu 5/5 par les Chefs d’Etat africains, candidats à leur propre succession, en dépit de la limitation de leur mandat? L’onde de choc de Ouagadougou va-t-elle se propager au Benin et Togo voisins, où Yayi Boni et Faure Nyassingbe achèvent leur second et dernier mandat? Un effet « domino » est-il envisageable au-delà de l’Afrique de l’Ouest et entraîner une « contagion » dont le futur épicentre serait l’Afrique Centrale avec comme têtes d’affiche Sassou Nguesso, Kabila, Museveni, Kagame et Nkurunziza, tous fin mandat? Mais surtout, comment réagiront les autres Chefs d’Etat au pouvoir depuis bien plus longtemps, au Cameroun (Biya – 1982), en Angola (Dos Santos – 1979), en Guinée Equatoriale (Obiang Nguema- 1979), en Ouganda (Museveni – 1986), au Soudan (El Bashir – 1989), au Zimbabwe (Mugabe – 1980), qui tiennent les rênes de leur pays depuis plusieurs décennies et qui sont directement visés? Bref, la leçon sera-t-elle retenue ou servira-telle de noirs desseins en dépit du bon sens? A priori, les événements auxquels nous avons tous assisté médusés devraient tempérer les « ardeurs référendaires et constitutionnelles » de certains potentats africains mais la tentation du choc frontal guette certains d’entre eux, ostensiblement enfermés dans une logique d’entêtement suicidaire et de déni de réalité.

Plus rien ne sera comme avant

En inversant de manière aussi spectaculaire le rapport de force, le peuple burkinabé a réussi à transformer le risque de référendum constitutionnel en un référendum « destitutionnel » précipitant la fin du régime de Blaise Compaoré. Cet acte héroïque pourrait inspirer plus d’un peuple africain confronté à la même rage et obsession référendaire de son dirigeant. Certes, les réalités sont différentes, les enjeux particuliers, selon que l’on soit à l’Ouest, au centre ou au Sud du continent mais le fil conducteur reste le même: le strict respect de la lettre et de l’esprit de la Constitution.
Ce mois d’octobre 2014 aura finalement marqué l’histoire du Burkina Faso mais aussi et surtout les esprits en Afrique. Ces dernières années, les tripatouillages constitutionnels se sont multipliés sur le continent Africain avec des complicités occidentales. Cela doit s’arrêter. L’aboutissement d’un véritable processus démocratique dans les pays concernés est d’autant plus essentiel qu’il s’agit ici de rompre avec des pratiques anciennes qui ont provoqué la faillite des Etats et favorisé l’émergence d’une élite irresponsable, corrompue et totalement coupée des réalités. Cette mobilisation populaire du Burkina représente un défi pour les Burkinabé mais aussi un espoir pour les peuples d’Afrique et d’ailleurs.

Faire vœu et acte de « résistance »

La Société Civile, l’Opposition politique, la jeunesse et les opinions publiques africaines doivent désormais se réapproprier leur destin. A travers elles, nous devons aujourd’hui prendre cette responsabilité historique de donner un débouché positif à ce mouvement populaire tant du point de vue démocratique que social et éviter qu’il ne soit confisqué. L’obsession maladive des Chefs d’Etat à réviser coûte que coûte la Constitution, pour leur permettre d’être candidat et de se maintenir encore au pouvoir, sera combattue avec la dernière énergie pour tous ceux qui ont soufferts des comportements erratiques et des turpitudes de leurs dirigeants.
A cet égard, la chute et la fuite de Blaise Compaoré représentent l’ultime avertissement pour tous ceux qui seraient tentés par le mandat de trop et qui s’exposeraient inutilement à la colère du peuple souverain, plus déterminé que jamais à ne plus se laisser marcher sur les pieds…






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