"Joseph Kabila". Photo d’archives
Depuis mardi 5 août, un député national congolais est privé de liberté sur instruction personnelle de «Joseph Kabila» - transmise depuis Washington - au procureur général de la République Flory Kabange Numbi. Il s’agit de Jean-Bertrand Ewanga Is’Ewanga, secrétaire général de l’Union pour la Nation Congolaise (UNC). L’acte d’accusation est à la fois ubuesque et grave. Ubuesque parce qu’il est reproché à cet opposant d’avoir traité «Joseph Kabila» de… "Rwandais" et de "voleur". Grave est la qualification des faits retenue par le ministère public : «offense au chef de l’Etat et incitation à la haine tribale et raciale». En réalité, Ewanga n’est qu’un parfait bouc émissaire. Depuis son accession à la tête de l’Etat congolais, "Joseph Kabila" est considéré par une "majorité sociologique" des Congolais pour un Rwandais. En cause, le grand flou qui plane sur ses origines. Au lieu d’avoir une "franche explication" avec l’opinion, le "raïs" donne l’impression de fuir tout débat en se barricadant derrières "ses" forces dites de sécurité et un appareil judiciaire aux ordres. "Joseph Kabila" aurait-t-il quelque chose à cacher? Pourquoi est-il si allergique à l’épithète "Rwandais"?
Mercredi 6 août, les auditeurs de l’émission «Dialogue entre Congolais» de radio Okapi ont suivi un débat organisé sur ce qu’il faut appeler désormais «l’affaire Ewanga». Jean-Pierre Kambila, conseiller politique à la Présidence de la République, faisait partie des participants. Invité par le député national UNC Juvénal Munobo à énoncer le «fait matériel» reproché au secrétaire général de ce parti, Kambila a esquivé la question en invoquant son «éducation». «Je ne suis pas là pour répéter des insanités, des insultes à l’égard des gens qui dirigent le pays», a-t-il rétorqué. Quelles sont les «insanités» et «injures» imputées à Ewanga ?
Ceux qui ont visionné les images du meeting de l’opposition du 4 août à la Place Sainte Thérèse à Ndjili ont entendu Jean-Bertrand Ewanga poser deux questions à la foule. La Première : «Tokozongisa ye wapi ?» Traduction littérale : Où allons-nous le renvoyer ? Réponse de la foule : « Na Rwanda !». La seconde : «Tokotinda ye wapi ?» Traduction : Où allons-nous le transférer ? Réponse de la foule : « Na CPI !». En dehors de ces deux questions, Ewanga ne s’est pas privé d’ironiser sur la non-réalisation des promesses claironnées dans les «Cinq chantiers du chef de l’Etat», présentés par « Joseph Kabila » comme son programme politique au lendemain de l’élection présidentielle de 2006. Rien de bien normal de la part d’un opposant dont le rôle consiste justement à s’opposer, à contester la manière dont les affaires publiques sont conduites par la majorité au pouvoir.
Prisonnier personnel de «Joseph Kabila»
Dans un point de presse qu’il a animé samedi 16 août, l’avocat Ilunga Kabengela, membre de l’équipe de défense d’Ewanga, a fustigé le fait que le procureur général de la République n’ait pas exécuté l’ordonnance de la Cour suprême de justice plaçant son client en résidence surveillée. Il a rappelé que la «résidence surveillée» signifie que le prévenu doit rester «chez lui» et «gardé par les forces de l’ordre». On apprendra par ailleurs de la bouche du juriste que l’accusé Ewanga - qui continue à jouir de la présomption d’innocence - est gardé à l’hôtel Invest non seulement par des policiers de la prison de Makala mais aussi des policiers désignés par le commissaire provincial Célestin Kanyama, des fonctionnaires de l’Agence nationale des renseignements et des éléments de la garde présidentielle dite « garde républicaine ». Comment n’est pas conclure à ce stade que Jean-Bertrand Ewanga est devenu le «prisonnier personnel» de «Joseph Kabila»? Les faits parlent d’eux-mêmes.
C’est un secret de Polichinelle de relever ici qu’immédiatement après le rassemblement populaire de la Place Sainte Thérèse, Ewanga a reçu un appel téléphonique de Kalev Mutond, le patron de l’ANR. Celui-ci était en émoi. « Vous nous avez tués », dira-t-il avant de proposer à Ewanga de le rejoindre à son bureau pour en parler. Kalev appréhendait la réaction de "Kabila". On imagine que le rapport fait à l’administrateur général de l’ANR laissait entendre qu’Ewanga et les autres orateurs ont traité «Joseph Kabila» de «voleur» et de «Rwandais». En tous cas, plusieurs orateurs ont clamé haut et fort que «Joseph Kabila» n’a pas été élu lors de la présidentielle du 28 novembre 2011. "C’est Etienne Tshisekedi wa Mulumba qui a été élu", martelaient les uns et les autres. On peut imaginer que les instructions du "raïs" sont tombées tard dans la soirée de ce 4 août. Ce qui explique le déploiement des agents de l’ANR autour de la résidence d’Ewanga dès le lendemain à 3h00 du matin. L’interpellation interviendra à 6h00.
La défense d’Ewanga a balayé du revers de la main ces accusations. «On lui reproche d’avoir dit que Kabila est un voleur ce que notre client nie catégoriquement et aussi d’avoir dit que Kabila est un Rwandais ce que notre client nie également», a déclaré l’avocat Godé Bononga, un des membres de l’équipe de défense. « Le parquet général de la République a violé la loi sur toute la ligne. Il n’y avait aucun procès-verbal de constat des faits et le parquet général de la République n’a pas informé l’Assemblée nationale qu’il poursuivait un député».
Le parcours personnel de « Joseph Kabila » en question
« Que celui qui a des doutes fasse des enquêtes. Je ne suis pas prêt à m’expliquer. Je ne suis pas plus Congolais que d’autres et d’autres ne sont pas plus Congolais que moi». L’homme qui prononce ces mots s’appelle Joseph Kabila. Il répondait à une question sur ses origines (voir «Le Soir» de Bruxelles daté du 01.7.2001). C’était seulement six mois après son accession à la tête de l’Etat congolais.
Depuis qu’il a succédé à son « père » Laurent-Désiré Kabila, «Joseph» est mal aimé. En cause notamment, le grand mystère qui entoure son parcours personnel. Sa filiation, son identité et son passé professionnel sont contestés par ses «concitoyens». Les Congolais dans leur grande majorité le considèrent comme un imposteur voire un "agent infiltré" du régime rwandais de Paul Kagame. Lorsqu’il a foulé le sol zaïrois en 1996, "Joseph", appelé à l’époque "commandant Hyppo" était le bras droit de James Kabarebe, alors colonel de l’Armée patriotique rwandais. Cette "proximité" n’a cessé de lui coller à la peau. Faut-il rappeler que l’actuel chef de l’Etat congolais a fait son service militaire dans l’armée tanzanienne?
Pour de nombreux citoyens congolais, l’infraction-bateau dite «outrage au chef de l’Etat» est devenue une arme malicieuse qui permet au pouvoir kabiliste de neutraliser tous les «fouilleurs des poubelles».
Quelle est le lieu de naissance de « Joseph Kabila» ?
Dans son livre « Les nouveaux prédateurs », publiés chez Fayard, la journaliste Colette Braeckman note à la page 131 que Joseph est né à Lulenge. Vital Kamerhe, lui, parle de Fizi dans son ouvrage "Pourquoi j’ai choisi Kabila". L’historien belge Erik Kennes note dans son « Essai biographique sur LD Kabila », publié chez L’Harmattan, que Joseph Kabila est né tantôt à Yungu (p.229), tantôt à Mpiki (p.298). Pire, dans le procès-verbal d’investiture lu par le procureur général de la République d’alors Luhonge Kabinga Ngoy, on peut lire notamment : «Attendu que l’examen par l’organe de loi du dossier personnel de Monsieur Joseph Kabila, général-major, révèle que ce dernier est Congolais d’origine, de père et de mère et qu’il est né à Hewa Bora II, Collectivité de Lulenge (…)». Problème : cette localité n’a jamais existé au Congo-Zaïre. C’est le nom donné par LD Kabila à son maquis. Il incombait à "Joseph" de fournir un jugement supplétif.
« Mulubakat à 100% »
Quid de la filiation ?
Les médias occidentaux ont été les premiers a faire état du « flou » qui plane sur les origines de «Joseph». «L’homme est discret, voire secret. Même son âge est sujet à discussion tant on le connaît mal», écrivait le quotidien bruxellois « La Dernière Heures/Les Sports» datée 19 janvier 2001. Son confrère « Le Soir » du même jour d’enchaîner : « C’est un anglophone. Il a longtemps vécu en Tanzanie. (…). Il est vrai qu’à Kinshasa, on le considère comme un homme de l’Est (presque un étranger donc) d’autant plus qu’il s’exprime qu’en anglais et en swahili (…) ».
Depuis quand Joseph porte-t-il le patronyme de Kabila ?
«Pour des raisons évidentes de clandestinité, il {Joseph} s’est aussi appelé Kabange, Mtwale, Hyppolite», écrit Célectin Kabuya Lumuna dans son livre «Les quatre premiers présidents du Congo.», paru aux éditions Secco & Cedi. Dans un portrait intitulé «Le vrai Kabila», François Soudan, directeur de de l’hebdomadaire parisien «Jeune Afrique», écrit ce qui suit dans le n°3 de la «Revue de l’intelligence du monde» : « Joseph et Jaynet, qui n’ont jusque là connu que l’école de brousse du parti, sont inscrits sur des noms d’emprunt (Kabange, puis Kanambe) dans un collège francophone de Dar-es-salam (…).» Des bonnes sources indiquent qu’à l’époque où il était à l’état-major général des FARDC, l’actuel président signait toutes ses correspondances officielles comme suit : «Joseph K.». Question : K comme Kabila ou Kanambe ? « De son vrai nom, l’actuel président de la RDC s’appelle Kanambe Joseph. Il est le fils de feu Christopher Kanambe et d’une certaine Marcelline», tonne Etienne Kabila.
Les Congolais n’ont pas oublié que c’est le Grand Chef Kasongo Nyembo qui avait « proclamé » à la veille de l’élection présidentielle de 2006 que « Joseph Kabila est un MulubaKat à cent pour cent ». Le notable Luba sortait d’une audience chez Abdoulaye Yerodia Ndombasi, alors un des vice-présidents de la République. Dans le même contexte, une association dite des « Mamans du Maniema » est venue à la rescousse en affirmant connaître la sage-femme qui avait assisté Mama Sifa Mahanya lors de l’accouchement…dans le maquis de Hewa Bora, au Sud Kivu. Son nom : Mbeke Mbeke (?)
Quid de son parcours professionnel ?
Depuis mai 1997, des témoignages laissent entendre que "Joseph" était un officier de liaison entre les "services" rwandais et LD Kabila. Dans une interview accordée à Congo Indépendant en septembre 2006, le général Jules Lomomba, un proche de feu André Kisase Ngandu, dit avoir connu « Joseph Kabila » à Goma lors du déclenchement de la guerre de l’AFDL. Il a eu ces mots à son sujet : « (…), «Joseph» était souvent en compagnie de James Kabarebe, alors colonel de l’Armée patriotique rwandaise. « James » l’initiait aux métiers des armes. (…). On entendait dire que c’est un fils Kabila. Etrangement, les autres enfants de LD Kabila autant que ceux de Jean-Claude Kifwa alias Tango Tango - un des neveux de LD Kabila - ne le considéraient pas comme un des leurs. Ils lui déniaient la qualité de membre de leur famille. Nous avons fini par comprendre que Joseph était en réalité le fils d’une des « maîtresses » de Laurent-Désiré. En vérité, Joseph Kabila est un soldat de l’armée patriotique rwandaise. C’est un fait connu de tous. Ce n’est qu’à l’étape de Lubumbashi (avril 1997) qu’une certaine propagande l’a présenté comme le fils de son père, donc Congolais ». Lomomba de poursuivre : « (…). Mais je vous dis que Joseph Kabila est un citoyen Rwandais à cent pour cent. Pour preuve, avant la guerre de l’AFDL, Joseph a travaillé dans les services de sécurité rwandais. Pensez-vous qu’un Congolais peut être admis dans les « services » rwandais ? »
L’hebdomadaire « Jeune Afrique » daté du 30 janvier 2001 note ce qui suit : « Joseph, adopté par Laurent-Désiré Kabila, intègre l’Armée patriotique rwandaise et devient l’aide de camp du colonel James Kabarebe. A la chute de Lubumbashi, pendant la guerre de 1996-1997, il travaille dans les services de renseignements rwandais et, à ce titre, procède à l’interrogatoire des officiers zaïrois capturés ». « RD Congo : un mystère nommé Joseph Kabila ». C’est le titre d’un article paru dans le mensuel parisien « Africa International » dans son édition du mois d’avril 2006. Cinq ans après son accession à la tête de l’Etat congolais, Joseph Kabila reste un mystère non seulement pour ses concitoyens mais aussi pour la terre entière. La population congolaise n’a pris connaissance du curriculum vitae de leur président que via une dépêche de l’AFP datée du 16 décembre 2002.».
« Le véritable chef des opérations de l’AFDL était un officier rwandais, le commandant James Kabarebe », écrivait le très influent quotidien américain « The Washington Post » daté du 9 juillet 1997. « Il est secondé par un fils de LD Kabila, Joseph Kabila, 25 ans. On dit que la mère de celui-ci est la sœur du commandant Kabarebe », ajoutait le même journal cité dans « RD Congo : Chronique politique d’entre-deux guerres », G. de Villers et JC Willame, Cedaf – L’Harmattan. « Lorsque l’AFDL entre en vainqueur à Kinshasa, Joseph Kabila est présent, dans l’ombre de « James », auprès de son père », souligne la journaliste Colette Braeckman à la page 134 de son ouvrage « Les nouveaux prédateurs », publié chez Fayard.
Les Congolais ne sont plus dupes
Dans une ordonnance de la Cour internationale de Justice datée du 30 janvier 2001, on peut lire : «Le président de la Cour internationale de Justice, (…). Considérant que, par lettre du 15 janvier 2001, reçue au Greffe par télécopie le même jour, l’agent de la République démocratique du Congo, se référant au paragraphe 2 de l’article 89 du Règlement, a fait savoir à la Cour que le gouvernement de la République démocratique du Congo souhaitait se désister de l’instance et a précisé que «celui-ci se réservait la possibilité de faire valoir ultérieurement de nouveaux chefs de compétence de la Cour»; «Considérant que, par lettre du 22 janvier 2001, reçue au Greffe par télécopie le même jour, l’agent du Rwanda a informé la Cour que son gouvernement acceptait le désistement de la République démocratique du Congo de l’instance ; Prend acte du désistement de la République démocratique de l’instance introduite par la requête enregistrée le 23 juin 1999 ; Ordonne que l’affaire est rayée du rôle.»
Le 23 juin 1999, la RD Congo introduisait sa plainte notamment contre le Rwanda devant la Cour internationale de Justice. Par ordonnance du 21 octobre 1999, la CIJ invitait les parties rwandaise et congolaise à déposer leur mémoire et contre-mémoire respectivement le 21 avril 2000 et le 23 octobre 2000. Le Congo n’ayant pas accompli cette formalité, la CIJ lui accorda un nouveau délai jusqu’au 23 janvier 2001. Contre toute attente, par lettre datée du 15 janvier 2001, la RD Congo, via son «agent» de l’époque, en l’occurrence l’avocat belge Michel Lion, décide le retrait de la plainte. Selon cet avocat, il a été "contraint" d’agir dans ce sens au motif qu’il n’avait plus d’interlocuteur à Kinshasa. Bref, plus personne ne lui indiquait la conduite à suivre dans le cadre de cette procédure.
Voici quelques faits qui poussent les Congolais à considérer, à tort ou à raison, que leur pays est régenté depuis le 26 janvier 2001 par un « imposteur » voire un "agent de l’étranger". Pour toute réponse, « Joseph Kabila » recourt à l’arme de l’intimidation en tenant des propos du genre : « Le chien aboie la caravane passe. Il y a de fois où la caravane écrase le chien… ». D’où l’"outrage au chef de l’Etat" qui vaut au secrétaire général de l’UNC Jean-Bertrand Ewanga d’être privé de liberté. Les Congolais ne sont plus dupes...
Baudouin Amba Wetshi
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