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jeudi 12 janvier 2012

“Groupe Épiphanie” ASBL : Sermon du 8 janvier 2012 :

Le Groupe Epiphanie, une association qui regroupe les prêtres congolais de Belgique, a organisé, dimanche 8 janvier, à l’Eglise St Joseph à Anderlecht, sa messe annuelle. Cette célébration est devenue l’occasion d’une part de s’incliner devant la mémoire des martyrs de l’indépendance (4 janvier 1959) et autres victimes de la violence d’Etat et de l’autre de jeter un regard critique sur l’actualité au Congo-Kinshasa. Un seul thème : la controverse suscitée par les résultats de l’élection présidentielle. Dans son homélie, Abbé Jean-Pierre Badidike a mis l’accent sur "la justice et la vérité". Le cardinal Laurent Monsengwo Pasinya ne dit pas autre chose. Citant un extrait de l’homélie de Noël 2011 prononcée par le Cardinal, Badidike de lancer : «La paix n’est possible que s’il y a la justice, l’amour et la vérité». «Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent». L’orateur de conclure : "Et maintenant que la fraude est avérée, allons-nous laisser tomber le Congo? Le Congo : tombera - tombera pas? NON, NON, le Congo ne tombera pas une nouvelle fois." 

Ci-après le texte intégral de l’homélie de l’Abbé Jean-Pierre Badidike


Chers amis,

Commençons par observer une minute de silence en mémoire de 59 personnes tuées au cours de la mouvance électorale 2011, ainsi qu’aux martyrs de l’indépendance » et de l’autodétermination du peuple congolais.

L’Épiphanie est une fête qui célèbre la visite des rois mages à l’enfant Jésus. 
L’origine des Rois mages est aujourd’hui encore obscure. C’est des personnages mystérieux. On les dit savants, riches mais errants. Ils furent d’abord représentés comme des astronomes Perses. Peut-être viennent-ils tout simplement du mystérieux pays qui porta longtemps le nom d’Egypte ! Une chanson populaire raconte comment les Rois mages sont venus d’Afrique. Ce n’est donc pas étonnant que l’on trouve encore aujourd’hui en Afrique des personnages mystérieux, qui se prévalent du titre de roi, avec une origine obscure, lieu et date de naissance multiples, portant des noms empruntés aux voisins et aux amis d’enfance. D’ailleurs les noms des rois mages, tel que révélé par un manuscrit grec, furent légèrement déformés : MELCHIOR, avec la peau blanche, venait de Nubie, c’est le plus âgé, il apporte de l’or, symbole royal. BALTHAZAR, avec la peau cuivrée, apporte de la myrrhe, symbole sacerdotal ; c’est une sorte de gomme produit d’un arbre en Arabie, le balsamier, utilisée dans la préparation cosmétique et en pharmacie. GASPARD, avec la peau foncée, le plus jeune, apporte de l’encens, symbole prophétique, c’est une résine dégageant un parfum lorsqu’on la fait brûler. Pour indiquer leur âge, on les a fait paraître l’un imberbe, l’autre moustachu et le troisième barbu, leur attribuant ainsi les trois âges de la vie. C’est aussi cela l’histoire d’une Afrique où des rois jouent au mage, à l’un d’eux ou au trois à la fois : aujourd’hui il est imberbe, demain il est moustachu, et le lendemain dangereusement barbu, en adoptant des noms selon les saisons : Gaspard les jours pairs, Balthazar les jours impairs, Melchior le dimanche, sinon les trois à la fois les jours fériés.

Pour l’Evangile, ces riches personnages sont venus de l’Orient, et ont visité l’enfant Jésus à Bethléem en Judée au temps du roi Hérode. Le récit de la visite des mages souligne le contraste entre l’attitude des rois mages et celle du roi Hérode devant le petit roi Jésus. D’où trois figures de roi.

Le roi Jésus : c’est le roi des pauvres et des petits, qui défend la justice et la vérité ; et pour cela il est copieusement insulté, vilipendé, et même, couronné d’épines. Il supporte tout cela parce qu’il est le roi de la paix. Et prêchant sur la paix dans son homélie de Noël 2011, le Cardinal Monsengwo disait « La paix n’est possible que s’il y a la justice, l’amour et la vérité ». Et le cardinal conclut avec le Psaume 85 : « Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent » (Ps 85, 11). A l’inverse d’Hérode.

Le roi Hérode : en apprenant l’apparition de l’étoile et l’arrivée des mages, Hérode fut pris d’inquiétude, il veut faire périr l’enfant qui pourrait devenir pour lui un rival. Hérode a vécu toute la vie dans la hantise de perdre son pouvoir. Il n’avait confiance en personne, même pas en lui-même. Hérode, pour venger son père, a fait assassiner Malichus ami et concurrent de son père, Hérode a tué son beau-frère (Joseph), Hérode a tué son épouse (Mariamne), la seule qu’il aimait parmi ses dix femmes, Hérode a tué sa belle-mère (Alexandra), Hérode a fait tuer trois de ses enfants qu’il suspectait de comploter pour l’évincer du pouvoir. Hérode est le prototype du roi assassin, mais plus qu’assassin, c’est un tyran sanguinaire et paranoïaque. Dans le régime d’Hérode, l’opposition est appelée subversion, la protestation taxée d’acte de violence et punie de mort ; sous Hérode, les chefs des prêtres et les scribes, qui connaissent pourtant les prophéties sur la naissance du messie, ne cherchent pas à le connaître. Aujourd’hui encore à la cour des rois, on trouve des professeurs, des savants, voire des responsables religieux de haut rang qui exhibent des pas de danse euphorique, empochent de l’argent, s’abreuvent du sang de leurs frères, exaltent les violations de la loi, minimisent les assassinats, légitiment la tricherie, banalisent les fraudes. Ils ne défendent ni le pays, ni le peuple, encore moins des régions dont ils clament l’appartenance, mais tout simplement des avantages véreux à obtenir par des moyens indécents. C’est à l’intention des rois et de leurs courtisans que le Pape Benoît XVI a formulé, le 19 novembre, du palais présidentiel de Cotonou, le message suivant : « De cette tribune, je lance un appel à tous les responsables politiques et économiques des pays africains et du reste du monde. Ne privez pas vos peuples de l’espérance ! Ne les amputez pas de leur avenir en mutilant leur présent ! »

A bon escient quand on remarque que même des hommes de Dieu, prêtres ou pasteurs, organisent et couvrent la fraude, prennent le parti des assassins, on peut se demander, si par hasard la fin du monde n’est pas proche ? Mais d’autre part quand on voit l’éveil de notre peuple, on se dit que non, ce n’est pas encore la fin, mais juste une opportunité pour distinguer le bon grain de la mauvaise herbe même quand elle se cache sous l’habit du religieux. L’exemple des rois mages nous en réconforte.

Les rois mages : les mages sont le symbole d’un peuple qui marche, même à l’étranger, pour faire entendre sa voix. Notre peuple guidé par l’étoile de la délivrance, s’est mis debout, avec femmes et enfants, au-delà des appartenances ethniques, pour crier haut et fort qu’il y a plus de la dignité à mourir debout que vivre à genoux. Le peuple congolais refuse des élections bradées, des résultats faussés à volonté, refuse de voir des citoyens brûlés à l’acide, ou tués par les armées étrangères, pendant que les femmes sont pourchassées et violentées même dans les pavillons des ambassades où elles espéraient trouver asile et réconfort; le plus tragique c’est que les pays occidentaux qui nous cassent les tympans avec leur modèle de démocratie, qui se vantent d’être des pays de lois, et du respect du droit, cautionnent la fraude et la corruption, couvrent des massacres et de fois les justifient ; ils ont fermé les yeux et encouragé un pouvoir qui engage des mercenaires pour bruler son propre peuple à l’eau acidifiée, et le tuer sans sépulture. Le plus dramatique, c’est que les armes qui tuent les congolais, n’ont pas été fabriquées au Congo mais achetées par l’argent des congolais à ceux qui se disent démocrates. Mais le plus beau c’est que le peuple congolais a découvert d’où lui vient son malheur : de la conspiration internationale. Un proverbe congolais dit « Si vous voyez le renard gonfler devant le léopard, dites-vous que le lion est dans les parages ». La lutte pour la démocratie ne s’appesantit point sur le renard mais sur l’identification des toutes les espèces animales et les monstres marins qui font de la prédation au Congo. 

Dans le même discours à Cotonou, Benoît XVI disait : « Ces derniers mois, de nombreux peuples ont manifesté leur désir de liberté, leur besoin de sécurité matérielle, et leur volonté de vivre harmonieusement dans la différence des ethnies et des religions. (…) La personne humaine aspire à la liberté ; elle veut vivre dignement ; elle veut de bonnes écoles et de la nourriture pour les enfants, des hôpitaux dignes pour soigner les malades ; elle veut être respectée ; elle revendique une gouvernance limpide qui ne confond pas l’intérêt privé avec l’intérêt général ; et plus que tout, elle veut la paix et la justice. (…) Chaque peuple veut comprendre les choix politiques et économiques qui sont faits en son nom. Il saisit la manipulation, et sa revanche est parfois violente. Il veut participer à la bonne gouvernance. Nous savons qu’aucun régime politique humain n’est idéal, qu’aucun choix économique n’est neutre. Mais ils doivent toujours servir le bien commun. Nous nous trouvons donc en face d’une revendication légitime qui touche tous les pays, pour plus de dignité, et surtout pour plus d’humanité. L’homme veut que son humanité soit respectée et promue. Les responsables politiques et économiques des pays se trouvent placés devant des décisions déterminantes et des choix qu’ils ne peuvent plus éviter. »

Les revendications du peuple congolais de ces dernières semaines, même si elles ont été entachées de violence que nous déplorons, ce sont des revendications légitimes, dont la violence, là où violence il y a eue, n’en aurait pas été le but, mais un moyen, certes regrettable ; le but est de se faire entendre, dénoncer la violation de la loi et empêcher un groupe d’individus de spolier les biens de la communauté, de vendre le pays à des mercenaires, de violer les femmes, d’hypothéquer l’avenir de nos enfants. Le même Benoît XVI ne dit-il pas dans son Exhortation apostolique Africa Munus : « La confiscation des biens de la terre par une minorité au détriment de peuples entiers, est inacceptable parce qu’immorale.» (AM. 24.) 

Que faire ? Un serment : Le Congo, comme Massada, NE TOMBERA PAS.
Massada est une forteresse naturelle qui domine le désert de Judée et surplombe la mer Morte, et sur laquelle le roi Hérode le Grand avait fait construire, au 1er siècle av. JC, un palais somptueux, comme refuge contre d’éventuelles révoltes intérieures et menaces d’une invasion égyptienne.

Après que la Judée ait été annexée comme province de l’empire romain, de patriotes juifs qui préférèrent la mort à l’esclavage en firent le refuge de la résistance. En 66, au début de la Grande Révolte contre les Romains, un groupe de juifs, les sicaires du parti nommé zélotes, prirent Massada à une garnison romaine. En 70, ils furent rejoints par d’autres Juifs et leurs familles expulsés de Jérusalem lorsque la ville fut prise par les Romains.

Pendant trois ans, les patriotes juifs utilisèrent Massada comme base pour se défendre des Romains. Ceux-ci les assiégèrent et mettront 7 mois pour enfoncer la muraille de la forteresse. Mais les insurgés préférèrent se donner mutuellement la mort que mourir entre les mains de l’envahisseur : chaque père tua sa famille puis un tirage au sort désigna les dix hommes qui devraient exécuter les survivants, et les dix tirèrent au sort le dernier qui devrait les exécuter, et enfin ce dernier se suicida. Seules 2 femmes ont échappé en se cachant dans une citerne avec leurs 5 enfants. 

- Le siège de Massada est devenu un récit populaire illustrant l’héroïsme d’un peuple qui a le sentiment d’être en permanence à la portée d’une menace implacable, et identitaire, menace de son existence même. 

- Massada c’est l’épisode d’un combat imposé par un adversaire résolu, puissant, vicieux, ne visant que la destruction ; c’est le symbole du perpétuel combat contre l’oppression, une expression de la prise en main de son destin ; Massada c’est une image de la détermination de conserver la terre de ses ancêtres jusqu’à la mort.

- Massada, est une attitude mentale qui évoque le rapport d’un peuple à la faiblesse que l’on refuse d’assumer, comme le syndrome des massacres du peuple congolais : 8 millions de mort et innombrables femmes violées.
C’est sur les ruines de la Citadelle de Massada que désormais les officiers Israéliens vont prêter serment après leur formation. Et le serment collectif laisse entendre dans une polyphonie tonitruante : « Massada ne tombera pas une nouvelle fois », « Massada ne tombera pas une nouvelle fois ». Ainsi martèle-t-on sans discontinuer.

Et pour les patriotes congolais, le Congo : tombera - tombera pas ? TOMBERA PAS ; le peuple congolais : tombera - tombera pas ? TOMBERA PAS. Le Congo ne tombera pas une nouvelle fois.

Avant les élections, lors de la messe du 20 novembre, nous avions convenu de ne pas nous laisser faire en cas de violation de la loi électorale, notamment par la fraude. Car il ne s’agit pas ici des partisans d’un candidat contre ceux d’un autre candidat ; c’est plutôt l’expression de deux logiques : d’un côté il y a ceux qui soutiennent la fraude, la tricherie, et l’enrichissement malhonnête, et de l’autre côté il y a ceux qui réclament la vérité et la justice, refusent de laisser le pays entre les mains d’un club d’amis et d’une multinationale des médiocres, exigent que la tricherie et la fraude soient punies par la loi, que les serviteurs de Dieu soient au service de la vérité. Et maintenant que la fraude est avérée, allons-nous laisser tomber le Congo ? Le Congo : tombera - tombera pas ? NON, NON, le Congo ne tombera pas une nouvelle fois. 

 Jean-Pierre Badidike 
© Congoindépendant 2003-2012


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