"Une insulte faite aux militaires français" (général  Lafourcade, ancien patron de l’opération Turquoise) ; "une ignominie" (Paul  Quilès, ancien ministre de la Défense, président de la mission parlementaire  d’information sur le génocide rwandais) ; "On se couche devant celui qui crache  sur la France! Cette visite est bien plus scandaleuse que la réception de  Kadhafi à Paris en 2007" (Pierre Péan, écrivain, auteur de Noires fureurs,  blancs menteurs). La visite officielle en France du président du Rwanda,  Paul Kagamé, prévue demain et mardi, n’en finit pas de faire des vagues.
Vendredi, le président du Sénat, Gérard Larcher, a fait savoir  qu’il ne recevrait pas Kagamé. « Nous avons effectivement reçu une demande, mais  nous l’avons déclinée, a fait savoir son entourage. Le président n’a pas  beaucoup de temps en ce moment, encore moins pour ce monsieur. » Pas de  réception non plus à l’Assemblée nationale, dont le président, Bernard Accoyer,  est en déplacement au Japon.
Autre absence spectaculaire, celle d’Alain Juppé. Le ministre  des Affaires étrangères est très opportunément parti en visite en Océanie et en  Asie. Une tournée officiellement prévue de longue date. Mais Alain Juppé a  toujours fait savoir qu’il refuserait de "serrer la main" du président rwandais  tant que circulera au Rwanda un rapport officiel, rédigé en 2008, qui accuse  nommément plusieurs responsables politiques et militaires français (dont Alain  Juppé) d’avoir participé, sous couvert de l’opération militaro-humanitaire  Turquoise, au génocide : 800.000 morts en 1994, en grande majorité d’origine  tutsie.
Autre signe de la tension qui continue de régner au sujet du  Rwanda, la réaction aux propos tenus cette semaine dans Jeune Afrique par  l’ambassadeur de France à Kigali : le retour au Quai d’Orsay d’Alain Juppé, déjà  en poste au moment des massacres de 1994? "Pas une bonne nouvelle du point de  vue des Rwandais. Ils ont pu penser que les lobbies anti-rwandais étaient encore  puissants à Paris", a lâché le diplomate. Vendredi, Libération annonçait  son remplacement imminent, une information qui n’a pas été démentie par le Quai  d’Orsay.
 Des vues sur les minerais du Kivu
Le Rwanda affiche un taux de croissance de 7%. Petit pays de 11  millions d’habitants, il se trouve toutefois au centre d’une zone de 120  millions de personnes, appelée à fonctionner en marché commun, rappelle-t-on à  Paris. Où l’on insiste sur l’influence géopolitique du pays (4.000 soldats  envoyés au Sud-Soudan) et le potentiel économique de la région du Kivu, riche en  minerais, dont le coltan, indispensable à la fabrication des téléphones  portables. L’Élysée et les milieux d’affaires français (Kagamé sera reçu au  Medef) revendiquent donc une approche pragmatique du dossier.
Récemment, les États-Unis et le Royaume-Uni ont, eux, pris  leurs distances avec Kagamé, jugé trop autoritaire : sa réélection en 2010 avec  93 % des voix, la mainmise des services de police sur la société rwandaise, les  menaces sur les opposants ont fini par choquer à Washington et Londres. "Paris  entend profiter de ce retrait anglo-saxon pour ne pas laisser le champ libre aux  Chinois et ainsi reprendre pied dans la région des Grands Lacs", indique un  diplomate.
"Nous ne savons pas très bien quelles sont les intentions de  Kagamé, indique une autre source officielle française. Politiquement, en termes  de coopération, qu’attend de nous le Rwanda ? Cette visite sera l’occasion de  mettre cartes sur table et de voir si nous pouvons avancer ensemble. Nous lui  avons clairement fait comprendre qu’il fallait en finir avec les insultes à  l’égard de la France, et nous espérons que le message est passé."
Paul Kagamé, lui, entend donner le plus d’ampleur possible à  cette visite officielle. Une réunion publique de soutien est prévue à Paris.  Espérant réunir plusieurs milliers de supporters, les autorités du Rwanda ont,  selon nos informations, offert de prendre en charge à hauteur d’un millier  d’euros par personne les frais de voyage et de séjour des participants au  meeting.


 
