Concertations nationales : Et maintenant !
Aubin Minaku,
"Joseph Kabila" et Léon Kengo wa Dondo
Les travaux des concertations nationales inaugurés le 7
septembre dernier, se clôturent ce samedi 5 octobre par une séance solennelle au
cours de laquelle «Joseph Kabila» procédera à la réception des «recommandations»
formulées par les différents groupes thématiques. Selon une source proche des
concertateurs, le locataire du Palais de la Nation devrait annoncer, jeudi 10
octobre, devant les deux chambres du Parlement réunies en congrès, les réformes
à opérer. Une autre source croit savoir que l’homme "lira" son «
allocution-programme » dès ce samedi. Après le flot des paroles, le pouvoir
kabiliste va se trouver à l’épreuve des faits. Des observateurs avertis restent
sceptiques sur les capacités réformatrices d’un régime dont les piliers restent
l’unanimisme, l’intolérance, la violence, la corruption et l’arbitraire. Rien
d’étonnant, notent-ils, que le «consensus» ait été retenu comme mode de décision
en lieu et place du «vote démocratique».
Lors de la séance plénière qui s’est tenue, jeudi 3 octobre,
sous la présidence de Léon Kengo wa Dondo et Aubin Minaku, membres du présidium,
les concertateurs ont, par acclamations, adopté et validé les rapports et les
recommandations des différents groupes thématiques. Kengo a rappelé, à cette
occasion, «les missions assignées à ces assises» par l’ordonnance présidentielle
et le mode de décision. A savoir : le consensus. Ce vocable a pour synonymes :
accord, arrangement, compromis, modus vivendi.
Consensus ou anti-débat
démocratique ?
Il importe d’ouvrir une parenthèse. Dans un ouvrage
intitulé « Les nouveaux mots du pouvoir », publié aux éditions Aden à Bruxelles,
le sociologue belge Jean-Louis Siroux, qui est par ailleurs cité dans la revue
«Tribune des services publics» de la FGTB (Fédération générale des travailleurs
de Belgique) du mois d’octobre 2013, dit tout le mal qu’il pense du consensus.
Selon lui, celui-ci n’est qu’un subterfuge pour éviter le débat et la
confrontation. «Cette idéologie du consensus s’oppose ainsi à la démocratie,
dont l’objet est d’exprimer les conflits qui traversent la société pour les
trancher pacifiquement », peut-on lire. «La restauration de la légitimité
démocratique suppose au préalable la réhabilitation du conflit. Cette
restauration suppose une re-politisation qui implique d’assumer le conflit et
d’en organiser le règlement de manière pacifique et raisonnée». Fermons la
parenthèse.
Durant une vingtaine de jours, les participants - issus des
institutions nationales et provinciales, des partis politiques, des autorités
coutumières, de la société civile, des personnalités historiques, des experts et
invités du chef de l’Etat - se sont efforcés à diagnostiquer les causes
profondes de l’effritement de la cohésion nationale. L’objectif a-t-il été
atteint ? On peut en douter. Reste que des «thérapies» ont été préconisées sous
forme de recommandations pour «soigner» le grand pays malade qu’est le
Congo-Kinshasa : la séparation des pouvoirs, le respect des droits humains, la
garantie d’une égale protection des citoyens devant la loi. Il a été également
question de la libération des prisonniers politiques et d’opinions, la levée du
dispositif policier au périmètre où se trouve la résidence du président de
l’UDPS, Etienne Tshisekedi wa Mulumba. Le cas de Jean-Pierre Bemba Gombo a été
également évoqué. Un petit bémol cependant : les recommandations issues des
Concertations nationales n’ont aucune force contraignante.
« Une
injustice réparée »
Le départ des policiers qui filtraient les allées
et venues aux environs de la résidence de «Tshitshi» constitue la toute première
décision effective. Cette mesure n’est pas sans rappeler la journée du 25 avril
1990. Après avoir organisé des «consultations nationales» de janvier à fin mars
– au cours desquelles toutes les couches socio-professionnelles du Zaïre ont été
invitées à évaluer le fonctionnement des organes du MPR Parti-Etat -, le
président Mobutu Sese Seko prononcera son discours du 24 avril 1990 annonçant la
fin du monopartisme. A l’époque, le leader de l’UDPS se trouvait en «résidence
surveillée». La mesure sera levée le lendemain. «Je ne peux en aucun cas
remercier quelqu’un qui n’a fait que réparer une injustice, réagissait
Tshisekedi aux questions des journalistes internationaux venus recueillir ses
premières déclarations d’homme libre en sa résidence à Limete. Mobutu doit
démissionner. S’il ne démissionne pas, nous allons le chasser comme son ami
Ceaucescu… ». On le sait, le bras de fer entre les deux hommes va plomber le
processus démocratique jusqu’à l’entrée de l’AFDL à Kinshasa, un certain 17 mai
1997.
Bien que l’Histoire a tendance à repasser les plats, «Joseph
Kabila» a organisé un forum «bien verrouillé» par la présence massive des
caciques de sa mouvance. L’homme tient sans aucun doute à rester le maître du
jeu. A l’inverse, Mobutu avait snobé les hauts cadres du part-Etat en invitant
toutes les couches socio-professionnelles «à évaluer» le fonctionnement des
institutions qui n’étaient à l’époque que des «organes» du MPR. Contrairement à
Mobutu qui subissait la pression de la «Troïka» (Belgique, Etats-Unis, France),
le «raïs» ne fait guère - pas encore ? - face à un environnement international
hostile. De New York à Washington, en passant par Bruxelles et Paris, la
«stabilisation du Congo» semble être le maître mot en dépit du fait que le
sommet de l’Etat congolais brille par un déficit inqualifiable de leadership.
Sept sur 10, c’est la côte que le chef de la diplomatie belge, Didier Reynders,
a attribué à «Kabila», au mois de septembre dernier sur RTL-Tvi.
Les
« anciennes recettes »
De 1989 à 1997, les Occidentaux avaient mis le
chef d’Etat zaïrois en «quarantaine» au motif qu’il constituait un «obstacle» à
la promotion des valeurs démocratiques. L’époque des «sanctions» est bien
révolue. C’est, en tous cas, ce qu’a semblé dire le diplomate européen Pierre
Vimont, un des bras droits de de Catherine Ashton, la haute représentante de
l’UE pour les Affaires étrangères. Au cours des débats organisé les 2 et 3
octobre sur les matières premières en Afrique au Parlement européen, Vimont a
qualifié les rétorsions diplomatiques comme étant des «anciennes recettes».
Selon lui, celles-ci «ont fait leur temps». «La seule solution doit être
politique». Le diplomate a cité dans cette logique les pourparlers de Kampala
entre le gouvernement de Kinshasa et le M23.
Une approche minimaliste
de la crise
Les concertations nationales sont terminées. Question :
Et maintenant ! Quelles sont les réformes institutionnelles que compte conduite
«Joseph Kabila»? C’est la question qui taraude des observateurs. Des
observateurs qui notent d’ores et déjà la divergence d’approche sur les causes
du déclin de la cohésion nationale. Pour les représentants des forces politiques
sociales n’appartenant pas à la mouvance kabiliste, le Congo-Kinshasa fait face
à une crise politique grave. Les zélateurs de la majorité présidentielle ont un
avis « nuancé ». Pour eux, la paix n’est troublée que dans la partie orientale
du pays en général et dans la province du Nord Kivu en particulier. Bref, « tout
va bien ». Dans son ordonnance n° 13/078 du 26 juin 2013, «Joseph Kabila» semble
abonder dans ce sens : «Les Concertations nationales ont pour objet la réunion
de toutes les couches sociopolitique de la Nation afin de réfléchir, d’échanger
et de débattre, en toute liberté et sans contrainte, de tous les voies et moyens
susceptibles de consolider la cohésion nationale, de renforcer et étendre
l’autorité de l’Etat sur tout le territoire national en vue de mettre fin aux
cycles de violence à l’Est du pays, de conjurer toute tentative de
déstabilisation des institutions et d’accélérer le développement du pays dans la
paix et la concorde».
Cette vision présidentielle pour le moins
minimaliste de la problématique et un environnement international moins
regardant sur la démocratie et les droits de l’Homme incitent des observateurs à
faire preuve de prudence. Ils ne voient pas « Joseph » annoncer des
«bouleversements institutionnels» à l’image du discours présidentiel du 24 avril
1990. Un analyste de marteler : «Sans une pression populaire accrue, Joseph
Kabila ne pourra en aucun cas saborder les piliers de son régime que sont la
concentration des pouvoirs, l’intolérance, la violence, la corruption et
l’arbitraire… ». Deux rendez-vous sont pris : samedi 5 et jeudi 10 octobre.
Baudouin Amba Wetshi
© Congoindépendant 2003-201