Le professeur Mampuya nous propose ci-dessous une 
réflexion d’une telle profondeur qu’elle mérite d’être lue absolument. Dans 
cette réflexion, le président de AV fait une autopsie pertinente des crises 
politico-militaires à répétition que connaît la RDC depuis son indépendance 
jusqu’à ce jour. Il ne s’arrête pas là, il propose aussi des pistes de solutions 
innovantes à même de stabiliser la RDC afin de hâter son développement qui n’a 
que trop tardé au grand désarroi des populations civiles. La Rédaction de 
Congonews recommande vivement à ses nombreux lecteurs la lecture de cette 
tribune du professeur Mampuya intitulée « Face aux périls et aux défis : pour 
une démocratie consensuelle ». Ci –dessous la tribune. 
« Power sharing » contre « Winner 
takes all » 
Depuis l’accession de notre pays à son 
indépendance, on ne cesse de parler de crise, souvent et de façon durable 
marquée par des conflits armés ouverts ou larvés ou, tout au moins d’instabilité 
institutionnelle. Toute cette situation, dans ses différentes et nombreuses 
facettes, a empêché ce pays potentiellement si fabuleusement riche de 
transformer ces richesses naturelles en développement et en progrès social pour 
son peuple connu comme l’un des plus pauvres de la terre. 
De fait, on ne se 
lasse pas de constater que la République « démocratique » du Congo n’a jamais 
fonctionné normalement dans ses différents agencements constitutionnels et 
institutionnels, en dépit de nombreux et inutiles arrangements juridiques, 
réformes et révisions constitutionnelles, tandis que, allègrement, on se plaît à 
égrener les numéros des « républiques », nous trouvant actuellement à la 
troisième.
Certes, nous sommes fiers d’avoir organisé des élections 
pluralistes « libres et transparentes » en 2006 et en 2011. Mais, ces élections 
sont toujours suivies de crises, sous forme de conflit armé urbain en 2007 à la 
suite des élections de 2006, et, depuis les élections de 2011, d’une grave crise 
politique, en tout cas, un climat si lourd que les institutions en sont 
paralysées, plombées par les conditions et circonstances d’organisation des 
élections dont elles sont issues. Crise qui se fait encore sentir aujourd’hui, 
au point où, pour une grande partie de l’opinion, un dialogue politique est 
nécessaire.
Enfin, toutes les guerres qu’a subies notre pays ont toujours 
vu nos armées en débandade devant l’ennemi, agresseur extérieur ou simple groupe 
armé rebelle, les institutions tomber en déliquescence du fait de leur 
affaiblissement.
Deux constances liées entre elles et qui s’alimentent l’une 
l’autre marquent ainsi jusqu’ici notre histoire moderne. D’abord, sur le plan de 
la gouvernance de la société, le dysfonctionnement de l’Etat et l’incapacité des 
institutions à rencontrer les espoirs et aspirations du peuple au développement 
et au bien-être. De fait, les institutions n’ont jamais fonctionné 
harmonieusement et tel que le prévoient la constitution et les règles 
institutionnelles, en dépit des nombreuses révisions constitutionnelles, y 
compris et surtout, à l’issue des nombreuses crises politiques ou armées qu’a 
connues la RDC depuis son indépendance. Ensuite, sur le plan militaire et 
sécuritaire, les sécessions, la persistance lancinante des conflits parfois de 
nature identitaire et une insécurité interminable dans une situation 
d’incapacité désespérante à y faire face, la déliquescence des institutions 
constituant une explication supplémentaire de cette incapacité.
Par 
rapport à la gouvernance démocratique, concernant le fonctionnement de la 
démocratie majoritaire « à l’occidentale » que nous avons singée jusqu’à 
présent, le tableau, depuis 1960, est le suivant : 
Dès 1960 et de façon 
permanente, une parodie de démocratie (déformation du multipartisme après celle 
de la notion même de parti politique, défiguration du parlementarisme occidental 
derrière une façade vide, conflits et menaces sur l’unité nationale, « 
confédéralisation » de l’Etat sous la 1ère république, avènement des régimes 
forts conduisant à la dictature militaire et monopartiste à travers le « 
présidentialisme africain » que nous avons connu sous le mobutisme.
Le 
deuxième temps est celui dit « Renouveau démocratique » post-perestroïka, avec 
le triomphe de la démocratie occidentale théorique (les CNS en Afrique, la « 
1ère transition », mais des travers traditionnels de la vie politique congolaise 
(manque de cohésion, antagonismes, course au pouvoir, déformation des mécanismes 
constitutionnels, tendances autocratiques, contestations, etc.) conduisent aux 
mêmes impasses, tandis que le génocide rwandais exporte la guerre chez-nous 
jusqu’au renversement du régime, suivi d’un retour du régime autocratique du 
décret-loi de 1997, régime que ses contradictions internes conduit à la reprise 
de la guerre en 1998 et à l’assassinat de Laurent Kabila ; Sun City, l’AGI et 
son système « 1+4 »).
Enfin, la « troisième république » : le référendum et 
la constitution de 2006 ; les élections de 2006, la crise post-électorale et la 
guerre urbaine de 2007 ; la foire d’un processus électoral tronqué ; « 
l’élection » vénale des gouverneurs et des sénateurs ; le fiasco électoral de 
2011, cette honte imposée à la nation par la bande à Ngoyi Mulunda et ses 
conséquences paralysantes pour les institutions et le leadership ; le déficit 
démocratique par l’exacerbation des antagonismes, tandis que continuent le 
manque de l’idéal politique et le mauvais entendement de la vie politique, tares 
traditionnelles de la politique à la congolaise. 
En état de cause, la 
permanente c’est le dysfonctionnement de la démocratie majoritaire singée de 
l’Occident mais déformée par les acteurs politiques ; nous allons voir que c’est 
moins par ignorance des Congolais que par inadéquation et inadaptation de ce 
régime aux réalités socio-politiques locales, problématique que la paresse 
intellectuelle et la poltronnerie politique ont empêché 
d’explorer.
Quant à la situation militaire et sécuritaire 
: 
D’abord, les sécessions des 1960-1967, mais aussi des agressions 
extérieures et rébellions armées (1960-1964, 1995-2003), la résurgence de 
l’insécurité armée à l’Est (à partir de 2004-2005, épisode Mutebusi et 
Nkundabatware, couronné par le deal imposé à l’Etat par le CNDP, ainsi que ses 
conséquences sur la solidité et la discipline de l’armée et le délitement de 
l’autorité de l’Etat, …). Ceci eut comme conséquence de ratage de la formation 
d’une armée nationale, républicaine et efficace (depuis l’Accord de Lusaka 
jusqu’aujourd’hui), marqué par les échecs des opérations de brassage et de « 
mixage », accompagnés par la généralisation de rébellions dans toute la frange 
orientale (de la Province orientale au Katanga), jusqu’à la « guerre du M23 
».
Une telle situation eut et a encore comme conséquence sur le plan 
économique et social l’impossibilité d’engager les politiques nécessaires au 
développement, tandis que les ressources et du temps sont gaspillés dans les 
querelles politiciennes et dans les efforts de guerre, à l’ombre de la 
corruption et du pillage concerté des richesses nationales entre agresseurs, 
mafieux internationaux et brebis galeuses du sein même de l’Etat congolais. La 
mauvaise gouvernance en l’absence de toute sanction produisant les 
dysfonctionnements d’un Etat impuissant face à la corruption, appauvrissant 
ainsi l’Etat et le peuple au profit d’une caste. 
Comment 
expliquer un tel échec national global ?
Il faut constater que le 
fonctionnement satisfaisant de la démocratie libérale majoritaire en Occident 
s’explique par le consensus global qui est à la base des sociétés occidentales 
intégrées, caractérisées par une grande homogénéité sociale et politique ; les 
fondamentaux sont déjà fixés et font l’objet d’un consensus national global 
au-delà de divergences d’approches et de sensibilités. La vie politique y gagne 
en apaisement tandis que les élections ne sont qu’une compétition pacifique pour 
la désignation des gouvernants dans laquelle on ne perçoit aucun caractère « 
question de vie ou de mort » ; c’est à juste raison qu’on y parle de « jeu » 
politique. 
Par rapport à cela, comment se présentent les Etats 
africains et la RDC en particulier ?
- Société segmentée à  l’excès 
et, en réalité, inexistence d’une véritable nation (y cohabitent plusieurs 
ethnies et tribus, plusieurs cultures et langues, sur fond de rivalités et 
antagonismes historiques parfois ancestraux induisant hostilités et 
conflits).
-Il s’agit de sociétés - pluralistes, sur la base des ethnies, 
cultures et langues, coutumes, traditions et histoire.
-Absence ou - 
insuffisance de l’appropriation nationale et populaire des concepts classiques 
de la démocratie libérale (partis politiques souvent ethniques ou régionaux qui 
sont à la base d’un multipartisme excessif, expériences non concluantes du 
parlementarisme, manque de culture politique et démocratique chez le plus grand 
nombre, …).
Limites de la démocratie compétitionnelle majoritaire 
au regard de sociétés segmentées : Winner takes all 
Or, la 
démocratie libérale majoritaire et simplement « arithmétique » ne peut prendre 
en compte l’existence de ces antagonismes et hostilités extrêmes et quasi 
permanents ; elle exclut de la décision tous ceux qui n’ont pas gagné les 
élections, sur la base de la norme « winner takes all » dont la logique est que 
celui qui gagne les élections pour y avoir obtenu plus de sièges que les autres 
prend tout et celui qui perd les élections pour y avoir obtenu moins de sièges 
que le « gagnant » perd tout. Comme on le sait en science politique, les enjeux 
des élections, dans tout système politique, ne concernent pas que la prise du 
pouvoir ou la désignation des gouvernants, mais aussi le contrôle des 
ressources. En Afrique et, plus particulièrement au Congo, l’expérience vécue ou 
subie par les populations confirme cela, l’amplifiant de façon remarquable, dans 
la mesure où, effectivement, les dirigeants africains se sont généralement 
enrichis par le pouvoir, la victoire étant prise souvent comme un permis pour 
confondre le patrimoine public (trésor public, biens publics…) et les services 
publics (personnel public, armée, police, services de sécurité, justice, 
entreprises publiques, …) avec leur poche et leur patrimoine privés : ainsi, 
l’accès au pouvoir est également l’accès aux richesses et aux avantages. Ecarter 
quelqu’un du pouvoir  c’est l’éloigner également, lui et les siens (partis, 
ethnie, contrée, etc.), des richesses et des positions sociales en vue. Dès 
lors, le jeu politique n’est plus un « jeu » mais une véritable guerre, les 
élections sont ainsi une question de vie ou de mort ; d’où, les allures de 
conflit, la défaite ou la mise à l’écart du pouvoir pour cause de minorité 
électorale étant vécue comme la marginalisation de toute une communauté. Il s’en 
suit une dramatisation excessive de l’enjeu électoral, d’où, les contestations 
systématiques des élections et l’exacerbation des crises post-électorales un peu 
partout en Afrique, débouchant parfois sur des conflits armés. Il est impossible 
d’attendre un quelconque consensus, tandis que, quoi qu’il fasse, le 
gouvernement se voit toujours contesté et combattu.
Par rapport à ces 
réalités, est-ce démocratie qu’un parti, quelle que soit la majorité avec 
laquelle il a accédé au pouvoir, à la limite avec 50,61%, parfois avec moins de 
50% des voix mais recevant plus de 50 % des sièges grâce au mode de scrutin, 
accapare tout, excluant une grosse minorité électorale ayant obtenu 49% et qui 
n’est pas toujours minorité sociologique ou, même, un groupe de partis 
représentant ensemble une majorité des suffrages ? Sur le plan des principes, la 
« démocratie » est-elle à réduire à une simple arithmétique qui se traduit par 
la dictature de la majorité et exclut pour longtemps de larges tranches de la 
population de la gestion des affaires publiques ? 
Quant, à la faveur de la 
présente guerre de l’Est, le Président Kabila a pu constater qu’il lui manque la 
cohésion nationale pour lui permettre de vraiment faire face à la situation, 
pour renforcer les capacités de résistance et l’efficacité de nos forces devant 
l’ennemi ; en fait il doit constater l’absence de soutien populaire à toute 
politique ou action gouvernementale. Si tant de leaders, de groupes, de 
communautés, de contrées, de catégories professionnelles, se sentent écartés des 
affaires publiques ou méconnus dans leurs intérêts par l’action gouvernementale, 
comment veut-on qu’ils soutiennent le pouvoir, qu’est-ce qui les motiverait à le 
faire ?
Toutes ces circonstances ne sont pas de nature à souder une 
société déjà fortement segmentée comme la nôtre ; au contraire, elles exacerbent 
les antagonismes, favorisent les forces et tendances centrifuges qui menacent 
l’unité nationale, fragilisent un Etat dominé par seulement une partie de la 
population à l’exclusion d’une autre devenue ainsi apathique et indifférente au 
sort d’un Etat qui ne lui semble pas « légitime ». Une telle organisation est à 
la base d’absence de cohésion nécessaire pour résister aux menaces et périls 
contre l’Etat, par la conjugaison des énergies et la participation de tous. 
Tandis que l’absence du consensus dans la société induit la remise en question, 
dans des conditions de contestation parfois violente, des décisions majoritaires 
ou des résultats électoraux par les minorités politiques souvent majorités 
sociologiques mises à l’écart, entraînant l’instabilité politique et, même, 
institutionnelle, telles que celles qui ont si longtemps nui à la RDC. Telle est 
la réalité vécue ou ressentie par Joseph Kabila quand il parle d’absence de 
cohésion nationale.
La démocratie « consensuelle » mieux adaptée 
à notre société segmentée et commandée par les périls et défis actuels : Power 
sharing
Comme l’on vient de voir, il y a quelque part une sorte 
d’incompatibilité, peut-être temporaire, entre la structure sociologique et 
politique de nos sociétés et l’application automatique des règles théoriques de 
la démocratie majoritaire intégrale. Par ailleurs, il n’existe aucune règle de 
la théorie de la démocratie qui impose que celui qui a la majorité des sièges 
gouverne seul ; c’est uniquement la pratique et l’influence des idéologues et 
stratèges des partis vainqueurs qui se sont imposées dans les expériences 
démocratiques.
C’est pourquoi, aux côtés de cette démocratie libérale 
majoritaire, des penseurs ont imaginé une autre forme : la démocratie « 
consensuelle » ou « consociative » (p. ex. Arend Lijphard, ou P. Moukoko Mbonjo 
avec son étude « Pluralisme socio-politique et démocratie en Afrique : 
l’approche consociationnelle ou du Power sharing », in Afrique 2000, novembre 
1993). La consociation, avec à sa base un consensus fondamental, voudrait que 
personne ne soit laissé sur le bord de la route, mais qu’il y ait une « 
représentation intégrale » sur la base d’une autre norme, ce  du « Power 
sharing », partage du pouvoir entre les différentes forces politiques et les 
segments constitutifs de la société les plus représentatifs, abandonnant ainsi 
le « Winner takes all » de la démocratie compétionnelle majoritaire. Elle assure 
ainsi la coopération, la recherche du consensus entre les élites afin de 
neutraliser, atténuer ou minimiser ou, tout au moins, canaliser, les tendances 
centrifuges et conflictuelles qui découlent de la grande pluralité de nos 
sociétés. Par ailleurs, caractérisés par l’inclusivité, la négociation et le 
compromis, la consociation et le principe consensuel garantissent la mise 
ensemble des efforts et des énergies, l’harmonie, la concorde et la cohésion 
nationale face aux défis qui s’imposent à la société toute entière, sur le 
destin national, sur l’unité de la nation, sur l’intégrité du territoire, etc., 
face aux menaces extérieures du genre agressions et autres atteintes à la 
souveraineté et à l’unité ; la réconciliation durable du pays passe par là. 
Enfin, la participation plurale des forces politiques instaure une sorte de 
contrôle interne, chacun contrôlant l’autre, favorisant ainsi la bonne 
gouvernance.