À son arrivée à Kinshasa, jeudi soir, Pauline Marois a confirmé qu'elle ne veut pas d'un tête-à-tête avec Joseph Kabila. «C'est un choix que nous avons fait», a-t-elle affirmé lors d'un bref point de presse. Elle lui serrera la main, sans plus. «Nous sommes des gens polis», a-t-elle dit.
Elle a pris sa décision «en tout respect pour le peuple congolais». «Des étapes ont été franchies (vers la démocratie), mais ce n'est pas suffisant, on l'a vu aux dernières élections. Nous souhaitons que le processus démocratique soit le plus parfait possible, et c'est à cela que l'on invitera les autorités du pays pendant le séjour ici», a-t-elle expliqué.
Joseph Kabila a été réélu l'an dernier à la suite d'un scrutin qui, selon les Nations unies et l'Union européenne, a été entaché par des fraudes, des irrégularités et des violations graves des droits humains.
Quelques heures avant l'arrivée de Mme Marois, le ministre des Relations internationales, Jean-François Lisée, a reconnu que le lieu du sommet est «problématique». «Que personne ne se méprenne sur le sens de notre présence ici. On n'est pas là pour légitimer la dernière élection présidentielle, mais pour accompagner la société congolaise vers plus de démocratie», a affirmé Jean-François Lisée.
Certes, la «capacité d'intervention» du Québec est limitée. «Mais sur le discours diplomatique, on est assez raide, assez clair (...) Le signal qu'on veut envoyer, c'est un retour à la démocratie», a-t-il indiqué.
Pauline Marois entend aborder la question des droits humains lors de son discours en assemblée plénière dimanche. Elle rencontrera des représentants de l'opposition et des ONG. Jean-François Lisée aura un entretien avec le ministre des Affaires étrangères de la RDC, avec qui il assure qu'il tiendra les mêmes propos que devant les caméras.
Dans un discours devant la Conférence ministérielle de la francophonie, M. Lisée a affirmé que «la barbarie n'a cessé de progresser» dans les dernières années. «La Francophonie, rassemblée en Afrique centrale, doit apporter sa voix à ce combat en faveur des droits de la personne. Face à leurs violations répétées, ne jamais baisser les bras. Ne jamais se résoudre au silence ou à l'impuissance», a-t-il dit. Selon lui, la déclaration de clôture du Sommet sera ferme au sujet du respect des droits de la personne.
Après avoir longuement hésité, le président de la France, François Hollande, se rendra finalement au Sommet. Il a déclaré plus tôt cette semaine que «la situation est tout à fait inacceptable sur les plans des droits et de la démocratie en RDC», ce qui a irrité Kinshasa. Mais il rencontrera Joseph Kabila. «Je dirai à Kinshasa ce que je dis partout et ici, en France. Je n'ai pas plusieurs langages. Je n'ai pas plusieurs manières de parler selon mes interlocuteurs», a-t-il déclaré à des médias français.
Le secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), Abdou Diouf, a affirmé récemment que l'organisation du Sommet à Kinshasa contribuera à «tirer la RDC vers le haut». Cette décision avait été prise en 2008, à Québec.
Pauline Marois a justifié sa participation à ces rendez-vous internationaux en faisant un lien avec la cause souverainiste. «Comme nous voulons un jour être un pays, c'est important qu'on puisse établir des relations formelles et informelles avec d'autres pays à travers le monde. Le fait que nous ayons des compétences et des responsabilités qui nous sont propres, ça nous permet d'avoir une place à la table de ces sommets officiels», a-t-elle expliqué.
Recul du français à Montréal
Le Québec se présente le plus souvent comme un modèle en matière linguistique au Sommet de la Francophonie. Cette fois, dans son discours devant la Conférence ministérielle, Jean-François Lisée a parlé ouvertement du recul du français dans la métropole québécoise. «À Montréal, centre économique et culturel de la francophonie des Amériques, le français est en perte de vitesse. L'évolution démographique laisse entrevoir un inéluctable déclin dans un proche avenir. La bataille du français n'est pas gagnée», a-t-il affirmé.
En point de presse, il a expliqué ses propos: «Je suis contre la langue de bois. Je suis contre le fait de dire que tout va bien quand tout ne va pas bien. Si on appelle les pays francophones à plus de vigilance et de travail pour le français, on doit dire que, chez nous, il y a du ménage à faire. Nous ne sommes pas dans un nirvana francophone, au Québec. On est encore dans le combat».
Pauline Marois a l'intention elle aussi de faire un plaidoyer sur la langue. Les membres de l'OIF doivent adopter pour la première fois une politique de défense et de promotion du français dans le monde.
Jean-François Lisée trouve que l'OIF est «trop conciliante» et devrait être «un peu plus attentive pour ne pas dire sévère» à l'égard de ses membres qui négligent le français.
Organisation difficile
Kinshasa accueillera 3000 délégués de 75 États, dont 56 membres de l'OIF et 19 observateurs. L'organisation du sommet en République démocratique du Congo représente tout un défi. Les infrastructures sont déficientes et le pays est très pauvre: les trois quarts des Congolais vivent avec moins de 1$ par jour.
Les autorités sont de toute évidence débordées. Les forces de sécurité sont omniprésentes à Kinshasa. Les bidonvilles bordent la route, congestionnée presque en permanence, qui mène au Palais du peuple, où les chefs d'État et de gouvernement se réuniront à compter de vendredi. Le luxe des nouveaux hôtels tranche avec la vétusté des infrastructures.
Le numéro 2 de l'OIF, Clément Duhaime, a déclaré mercredi que la RDC «étonnera le monde» avec ce sommet.
La RDC se classe au cinquième rang au monde pour sa dangerosité, selon l'Indice mondial de paix établi par l'Institute of Economics and Peace, qui a des antennes en Australie et aux États-Unis.
Alors que les délégations arrivent à Kinshasa, des violences ont cours dans l'est de la RDC. À la suite d'un affrontement contre les forces armées congolaises, des rebelles viennent de s'emparer du village de Bilulu, dans la province du Nord-Kivu. Au moins quatre personnes ont été tuées, selon Radio Okapi.
Avec ses quelque 70 millions d'habitants, la RDC est le pays le plus populeux de ceux qui ont le français comme langue officielle.
http://www.lapresse.ca/actualites/quebec-canada/politique-quebecoise/201210/11/01-4582407-francophonie-marois-refuse-de-rencontrer-kabila.php
RDC: Marois rencontre l'opposition
Pauline Marois à son arrivée à l'aéroport de Kinshasa, accueillie par l'ambassadeur du Canada Jean-Carol Pelletier (à gauche) et Michel Robitaille, représentant pour la Francophonie.
Photo La Presse
(Kinshasa) L'opposition congolaise salue la décision de la première ministre Pauline Marois de ne pas rencontrer le président du pays, Joseph Kabila, à l'occasion du 14e sommet de la Francophonie. Elle a «apprécié» sa rencontre avec Mme Marois, mais elle demande maintenant plus que des discours sur le respect de la démocratie.
«Le message, c'est très bon, mais nous continuerons à en demander plus», a affirmé Remy Masamba, député de l'Union pour la démocratie et le progrès social, principal parti de l'opposition en République démocratique du Congo (RDC).
«Nous avons passé l'étape des discours, a-t-il ajouté. Les discours, jusqu'à aujourd'hui, n'ont pas réussi à faire baisser la détermination du pouvoir en place à ne pas agir dans le sens de la promotion de la démocratie ni du respect des droits de l'homme.»
«Il faudrait, a-t-il dit, que le Québec puisse peser de son poids au niveau aussi bien du Canada que de la communauté internationale pour participer à la résolution de situations politiques.» L'opposition demande à la communauté internationale de lancer un «dialogue» entre les nations de l'Afrique centrale et un autre entre les forces politiques de la RDC pour dénouer la crise.
Rappelons que Joseph Kabila a été réélu l'an dernier à l'issue d'un scrutin entaché par des fraudes et des irrégularités de toutes sortes. C'est la raison pour laquelle Pauline Marois a choisi de ne pas rencontrer le président. «Nous apprécions cette attitude de Mme la première ministre de ne pas cautionner des gens qui prennent le pouvoir par la force. Ce n'est pas dur si je dis qu'il y a eu coup d'État», a affirmé le député de l'opposition Martin Fayulu, qui a participé lui aussi à la rencontre avec Mme Marois.
«Nous avons beaucoup apprécié l'opportunité que nous a donnée la première ministre du Québec de nous recevoir pour écouter le son de cloche de l'opposition», a ajouté M. Masamba.
Le chef de l'Union pour la démocratie et le progrès social, Étienne Tshisekedi, figure la plus connue de l'opposition congolaise, a demandé une rencontre avec Mme Marois, qui verra si son haoraire le permet. L'Union a finalement abandonné l'idée de tenir une manifestation en marge du sommet de la Francophonie, qui commence officiellement samedi.
L'opposition congolaise a aussi salué la décision du président français, François Hollande, de faire son premier voyage officiel en Afrique au Sénégal, et non pas en RDC - il ira à Dakar avant de faire une visite éclair à Kinshasa pour le sommet. Il rencontrera Joseph Kabila, avec qui il a promis d'aborder la question des droits de la personne.
L'opposition fonde beaucoup d'espoir sur le sommet de la Francophonie. «Il y a une énorme attente de la population congolaise par rapport à ce sommet. Il ne faudra pas qu'après le sommet égale avant le sommet», a dit Remy Masamba. Selon lui, la déclaration de clôture doit porter notamment sur la situation en RDC afin de dénouer la crise et de faire respecter la démocratie.
Le fait que l'organisation du sommet de la Francophonie à Kinshasa coûte des millions de dollars alors que les trois quarts des 70 millions de Congolais vivent avec moins de 1$ par jour n'est pas paradoxal, à son avis: «Pour sortir un peuple de la situation misérable dans laquelle il se trouve, il n'y a pas de prix. De toute façon, ça coûtera toujours infiniment moins que la guerre.»
Remy Masamba a souligné les efforts du Québec en RDC. «Nous sommes très conscients que le Québec participe et contribue au développement ici. Le Québec est solidaire du peuple congolais à travers ses organisations humanitaires, comme Oxfam, qui intervient dans les hôpitaux. C'est énorme, l'intervention d'Oxfam-Québec».
Un peu plus tôt, vendredi, Pauline Marois a d'ailleurs annoncé l'octroi d'une aide de 250 000$ en deux ans à Oxfam-Québec, présent dans le pays depuis 1984. La somme sera consacrée à deux projets. L'un vise à donner accès à l'eau potable aux populations des banlieues de Kinshasa. L'autre a pour but de venir en aide aux femmes victimes de violence sexuelle dans le Nord-Kivu et de leur offrir un «accompagnement juridique pour poursuivre les agresseurs». Un conflit sanglant oppose des rebelles aux forces armées congolaises dans cette province de l'est du pays.
Pauline Marois a rendu hommage au travail d'Oxfam-Québec. «Ici, en République démocratique du Congo, vous êtes exposés chaque jour à des situations qui défient la raison. Votre travail est essentiel, périlleux, capital aussi. Il mérite amplement d'être soutenu. Dans la mesure de nos moyens, vous pourrez compter sur notre solidarité à l'égard du peuple congolais», a-t-elle affirmé.
La première ministre a par la suite participé à une table ronde sur le thème de la démocratie et des droits de la personne en compagnie de représentants d'organisations non gouvernementales (comme Human Rights Watch) et des associations locales de défense des droits.
Elle a profité de l'occasion pour annoncer un don de 50 000$ à Développement et Paix, qui travaille en RDC avec l'organisme Caritas Congo pour améliorer les conditions de vie de 425 familles déplacées au Nord-Kivu. «Mon gouvernement est sensible à la détresse des femmes et des enfants» qui sont les victimes des conflits armés, a-t-elle souligné.
«Les démocraties en émergence doivent être soutenues par les démocraties plus avancées. À elles ensuite de poursuivre leur chemin selon leur propre conception de leur avenir, leurs valeurs. En étant présents avec vous, nous sommes partie prenante de cet idéal qui est la recherche de la démocratie.»
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