NORD-KIVU
Exclusif
RDC - Sultani Makenga : "Le M23 pourrait accepter de quitter Goma"
Par Pierre
Boisselet, envoyé spécial
Sultani Makenga : "Au départ, nous ne voulions même pas
prendre Goma."
Le chef militaire de la rébellion du
Mouvement du 23 mars (M23), le général Sultani Makenga, a accordé à "Jeune
Afrique" sa première interview depuis la prise de Goma, la capitale provinciale
du Nord-Kivu, le 20 novembre. Cet entretien exclusif a été réalisé dimanche 25
novembre. Depuis, Makenga a quitté la RDC et s’est rendu, ce lundi, dans la
capitale ougandaise Kampala pour des pourparlers.
Jeune Afrique : À l’heure où nous parlons, quelle est
l’avancée du M23 ?
Sultani
Makenga : Nous sommes à Mushaki sur la route du Masisi et nous
sommes à la limite du Nord et du Sud-Kivu. La ville de Minova est toujours aux
mains des FARDC [Forces armées de la République démocratique du Congo, armée
régulière, NDLR].
Quel est votre objectif
?
Notre but est d’arriver à la paix totale. Le
gouvernement de Kinshasa divise et discrimine, surtout les rwandophones, et
depuis longtemps. Il ne travaille pas à la réconciliation. Lorsque, en tant que
militaires, nous servions le gouvernement, nous étions déconsidérés et harcelés.
Nous sommes sortis du rang pour dénoncer ce qui n’allait pas. Plutôt que
d’écouter, le gouvernement nous a poursuivis pour nous exterminer.
Est-ce qu’une solution peut-être trouvée
?
Si la communauté internationale pouvait vraiment comprendre
la situation de ce pays, peut-être que les choses pourraient changer. Mais une
solution ne peut pas être trouvée avec le gouvernement de Kinshasa comme seul
interlocuteur.
Pensez-vous que le président
congolais Joseph Kabila doit quitter le pouvoir ?
Je ne sais
pas. S’il se décide à devenir le président de tous les Congolais, nous n’aurions
plus de problèmes avec lui. Cela pourrait fonctionner.
Vous avez pris part à
toutes les rébellions de l’Est de la RDC. Elles ont toutes fini par reprendre
les armes après des négociations. Est-ce que vous croyez vraiment à une solution
négociée ?
C’est presque un génocide qui se préparait ici au
Congo.
Nous voulons la paix. Nous n’avons pas pris les
armes pour prendre les armes. Nous l’avons fait parce que nous avons vu que les
autres solutions avaient échoué. Vous pouvez continuer à dialoguer, mais quand
vous êtes harcelés, que l’on vous arrête et que l’on vous tue, vous vous
réfugiez là où vous pouvez survivre. C’est presque un génocide qui se préparait
ici au Congo. Maintenant que nous en sommes arrivés à la situation actuelle,
peut-être que nous allons enfin pouvoir trouver une solution.
Êtes-vous toujours proche de Laurent Nkunda
?
J’étais son chef d’état-major adjoint dans le CNDP
[Congrès national pour la défense du peuple, rébellion menée par Laurent Nkunda,
NDLR]. Il est aujourd’hui au Rwanda. Tout le monde disait qu’il était la cause
de l’insécurité dans l’Est du Congo et qu’il fallait donc l’écarter pour
permettre un changement. Je pense que tout le monde voit les choses autrement
aujourd’hui.
Êtes-vous toujours en contact avec
lui ?
Non.
Bosco Ntaganda,
l’ancien général devenu rebelle, continue-t-il de jouer un rôle au sein du M23
?
Le M23 n’est pas avec le général Bosco. C’est un
mensonge que d’affirmer le contraire. Il est recherché par la Cour pénale
internationale (CPI). Nos revendications ne sont pas liées à lui. La question du
général Bosco ne fait pas partie de nos revendications.
Savez-vous où il se trouve aujourd’hui
?
Je n’en suis pas sûr, mais je crois qu’il se trouve dans
les montagnes du Masisi [Nord-Kivu, NDLR]. Je ne suis pas en contact avec
lui.
Le M23 pourrait-il décider de l’arrêter
?
Nous ne sommes pas la police de la CPI ! Encore que si on
nous le demandait…
Le Rwanda soutient-il le M23
?
Le Rwanda soutient le
gouvernement de Kinshasa.
[Rires] Non, le Rwanda soutient le
gouvernement de Kinshasa. La preuve : lorsque nous avons pris Rutshuru, nous
sommes tombés sur un bataillon des Forces spéciales rwandaises qui étaient avec
les FARDC. Lorsqu’un rwandophone fait quelque chose, on l’associe toujours au
Rwanda. Mais le gouvernement congolais sait que c’est faux.
Avez-reçu le soutien de Congolais réfugiés au Rwanda
?
Oui. Notre guerre est faite pour eux, pour leur
permettre de rentrer au pays. Nos petits frères qui sont dans les camps de
réfugiés, pourquoi ne viendraient-ils pas nous appuyer ?
Combien sont-ils ?
Beaucoup,
parce que c’est leur guerre ! Vous croyez qu’ils sont contents d’être mendiants
dans des camps de réfugiés ?
Au cours de vos
opérations, des hommes du M23 ont-ils pénétré au Rwanda
?
Non.
Et vous
?
Non. C’est encore un mensonge de Kinshasa. Lorsque j’ai
quitté les FARDC en mai, j’ai quitté Bukavu en bateau. Je suis passé à Nzulu, à
20 kilomètres de Goma. Puis je suis monté vers Nyagongo, Kibumba et enfin
Runyoni, en passant par Mikeno.
Le M23 est accusé
de recruter de manière forcée, notamment des enfants soldats. Que répondez-vous
?
Ces accusations (de recrutement d’enfants soldats) sont
fausses. L’enquêtrice de HRW a été corrompue par Kinshasa.
Ces accusations
sont fausses. C’est l’ONG Human rights watch (HRW) qui le prétend. Nous avons
demandé à une commission mixte de procéder à des vérifications, parce que nous
savons que l’enquêtrice de HRW a été corrompue par Kinshasa. À ce jour, cette
commission n’a pas été mise en place.
Les États-Unis vous ont placé
sur liste noire, en vous accusant d’exactions et de non-respect de l’embargo sur
les armes…
Alors il faut mettre Kabila sur liste noire parce que, d’une
certaine manière, c’est lui qui me ravitaille !
Vous avez vu les
armes dans le port de Goma ? À chaque fois qu’ils nous attaquent, nous
récupérons leurs armes et leurs munitions.
Combien d’hommes avez-vous à votre disposition
aujourd’hui ?
C’est un secret militaire mais ils sont
nombreux.
Plusieurs milliers
?
Beaucoup.
Joseph Kabila
a-t-il essayé de vous dissuader de lancer le M23 ?
Kabila est
habitué à corrompre les gens. Il m'a proposé de l’argent, des maisons, des
véhicules, des grades, des postes de haut-niveau.
Oui, lorsque j’étais encore
du côté de son gouvernement. Il est habitué à corrompre les gens, donc il a
essayé. Peut-être voulait-il m’acheter pour me faire oublier les accords du 23
mars [2009, qui a débouché sur l’intégration à l’armée nationale des anciens
rebelles du CNDP, NDLR].
Que vous a-t-il
proposé ?
De l’argent, des maisons, des véhicules, des
grades, des postes de haut-niveau.
Quelle
solution voyez-vous à long terme ? Est-ce que vous réclamez l’autonomie
?
Pas l’autonomie. Mais davantage de fédéralisme peut aider à
résoudre les problèmes du Nord-Kivu.
Est-ce
que vous accepteriez de réintégrer l’armée congolaise ?
Le
Congo n’a pas de véritable armée !
Pourriez-vous réintégrer les FARDC
?
Encore une fois, les FARDC ne sont pas une armée. Tout est
à reconstruire.
Pourriez-vous y contribuer
?
Oui, à tous les postes où on me sollicitera.
Le président ougandais, Yoweri Museveni, a dit qu’il
voulait mener une médiation entre le M23 et Kinshasa. Y êtes-vous favorable
?
Museveni a l’avantage de connaître la réalité du Congo.
S’il est médiateur, cela ne nous pose pas de problème.
Samedi, le sommet de
la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), à Kampala, a
redemandé au M23 de quitter Goma avant l’ouverture des négociations. Allez-vous quitter Goma ?
Quitter
Goma n’est pas un problème. Au départ, nous ne voulions même pas prendre la
ville. Nous sommes ici parce que le gouvernement nous a cherchés. Si c’est ce
qui peut amener la paix au Congo, le M23 pourrait accepter de quitter
Goma.
Mais l’ultimatum expire ce lundi 26
novembre...
Cette date ne nous engage pas : notre représentant [le
pasteur Runiga] n’était pas présent lors des négociations.
________
Propos
recueillis par Pierre Boisselet, envoyé spécial à Goma
(@PierreBoisselet)
http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20121126110456/rwanda-paul-kagame-joseph-kabila-yoweri-museveniexclusif-rdc-sultani-makenga-le-m23-pourrait-accepter-de-quitter-goma.html