Viols et légèretés françaises en RDC
(Direct.cd 02/01/2013)
Depuis près de vingt ans, les provinces du Nord et du Sud-Kivu, aux confins de la république démocratique du Congo (RDC) sont la proie de groupes qui usent d’une arme abominable : les viols massifs de femmes et de fillettes, souvent suivis d’actes de barbarie, et commis en public devant les maris, les enfants, les villageois rassemblés de force… Il ne s’agit pas de ces outrages qui, depuis la nuit des temps «accompagnent» sinistrement les mouvements de troupes, mais d’une stratégie pour prévenir toute velléité de résistance collective ou individuelle. Moralement anéantis, réduits en esclavage, les Congolais du Kivu creusent, trient et exportent leurs richesses minières pour de richissimes seigneurs de guerre et leurs milices.
La
journaliste belge Colette Braeckman a relaté l’admirable combat d’un gynécologue
de Bukavu, le docteur Mukwege, ayant soigné 30 000 femmes (l’Homme qui répare
les femmes, éditions André Versaille). Des Français connus pour leur probité
morale – et certains pour leur connaissance de l’Afrique noire – viennent de
prendre le relais dans une tribune publiée par le Monde : «Au Kivu, on viole et
massacre dans le silence.» La Première Dame de France, Valérie Trierweiler, fait
partie des signataires.
Au niveau d’abjection atteint en RDC, toute
proclamation d’indignation est bienvenue. Surtout si elle repose sur une analyse
de la situation, gage d’efficacité d’un texte évidement politique. Or, rien de
tel. Au contraire, une pierre de plus au monument de la confusion
compassionnelle. Le seul groupe armé nommément accusé de viols massifs par nos
tribuniciens est le «M 23», un mouvement d’autodéfense de Congolais
rwandophones. Ce parti récemment constitué est pourtant presque le seul parmi
quelque deux cents groupes armés qui n’ait pas fait du viol une arme de guerre.
Interrogé sur France Inter, l’écrivain Erik Orsenna, rédacteur du texte, absout
«l’Etat très faible et tout à fait corrompu, donc tout à fait impuissant», alors
que les Forces armées de la RDC (FARDC) sont, de l’avis des observateurs, les
premiers auteurs de viols massifs avec leurs alliés issus des anciennes Forces
armées rwandaises rebaptisées FDLR.
Autre cible des signataires,
l’incurie de l’ONU au Congo. Certes, mais qu’à donc fait la France depuis 1999
pour améliorer l’efficacité du travail des Casques bleus ? M. Orsenna, Mme
Trierweiler, Mme Benguigui et leurs amis savent-ils que depuis des années le
Département des opérations de maintien de la paix de l’ONU est dirigé par un
Français (actuellement Hervé Ladsous, ex-directeur de cabinet de Michèle
Alliot-Marie et d’Alain Juppé) ? Faut-il ajouter que la France en tant que
membre permanent du Conseil de sécurité, a une réelle influence sur l’opération
en RDC mais que depuis 1999, l’absence de mandat offensif du contingent onusien
semble lui convenir ?
Faut-il encore rappeler aux honorables
pétitionnaires que, lorsqu’en 2008 l’ONU a enquêté sur les seigneurs de guerre
des FDLR dirigeant leurs troupes depuis Paris, l’Etat français a refusé toute
coopération ? C’est bien la France qui a assuré l’impunité de Callixte
Mbarushimana, principal leader des FDLR accueilli à bras ouverts sous la
présidence de Jacques Chirac, étrange cosignataire de la tribune. Dernier
rappel, il n’y avait pas de viols massifs au Congo avant le génocide contre les
Tutsis du Rwanda en 1994. C’est un produit d’importation de l’armée
«génocidaire» rwandaise qui a pu se replier au Congo grâce à «l’opération
Turquoise» et ensuite organiser à son profit le pillage du pays sous l’étiquette
FDLR.
Erik Orsenna explique ainsi l’engagement de Valérie Trierweiler sur
la dénonciation des viols massifs en RDC : «Lors du sommet de la Francophonie [à
Kinshasa] elle a vu les enfants sorciers qu’ils l’ont tout à fait bouleversée.»
Emotion et courtisanerie ne fondent pas une politique. Que penser de
pétitionnaires qui, escamotant l’histoire, ignorent à ce point le réel, au
risque de voir une fois encore l’Occident se tromper lourdement dans ses
analyses comme ce fut le cas pendant plus d’un siècle dans la région
?
Dernier ouvrage paru : «l’Agenda du génocide» (éd. Karthala).
Par JEAN-FRANÇOIS DUPAQUIER
Source : liberation.fr