Les années Mobutu (1965-1989)
: l’accroissement exponentiel d’une dette odieuse
Au moment de l’indépendance, les
anciennes métropoles font tout leur possible pour garder un contrôle sur leurs
anciennes colonies en poussant au pouvoir des hommes qui serviraient leurs
intérêts’. En République du Congo, la Belgique n’a pas pu empêcher que Patrice
Lumumba accède au pouvoir. Soutenu par une vague populaire, il tire le pays
vers l’autonomie. Mais cela ne fut que de courte durée et les intérêts des
métropoles rattrapent l’ex-Congo belge. En 1961, Lumumba est assassiné et
l’homme soutenu par les occidentaux (Etats-Unis, France, Belgique),
Joseph-Désiré Mobutu, prend le pouvoir en 1965.
Entre l’Angola, soutenu par Cuba,
et le Congo-Brazzaville proclamé marxiste des années 1970, le Congo de Mobutu
représente pour l’Ouest un allié stratégique face au bloc soviétique. Du fait
de cet enjeu stratégique, Mobutu va bénéficier de l’appui financier des puissances
occidentales et des institutions financières internationales qui garderont les
yeux fermés sur les malversations du dictateur. A la chute du mur de Berlin en
1989, l’enjeu stratégique n’étant plus de mise, l’appui financier occidental
s’arrête. C’est pour cette raison que ce chapitre s’arrête en 1989 et non à la
mort de Mobutu en 1997 car cette période représente une unité.
Après la possession privée du
Congo belge par Léopold Il, Mobutu contractera au nom de l’Etat de nombreux
prêts qui formeront une dette à croissance exponentielle et dont les sommes
empruntées serviront entre autres à la construction des «éléphants blancs».
L’EVOLUTION DE LA DETTE
EXTERIEURE PUBLIQUE DU ZAÏRE
Entre 1965 et 1990, la dette
publique extérieure du Congo est caractérisée par une croissance exponentielle
passant de 32 à 10 274 millions de dollars.
De 1965 à 1969, le stock de la
dette extérieure est passé de 32 à 159 millions de dollars.
En 1970, une première rupture est
notée dans l’évolution de la dette. En effet, elle est multipliée par deux en
un an passant de 159 à 342 millions de dollars. Le début des années 1970 marque
le début d’un endettement fort. En effet, le Congo, qui deviendra Zaïre, en
1971 subit une crise financière; il a besoin d’apports financiers afin d’équilibrer
sa balance des paiements et de réaliser de grands projets économiques pour
développer le pays, projets qui s’avèreront non rentables. L’endettement de
cette période correspond aux emprunts contractés auprès d’organismes privés
garantis par les «ressources minières potentielles et réelles du Zaïre
lesquelles servaient de gage». En effet, la part privée de la dette publique
est la plus importante comparée aux parts bilatérales et multilatérales.
Rappelons que les cours du cuivre et du cobalt sont très rémunérateurs à
l’époque.
En 1973, une deuxième rupture est
à remarquer, la dette passe de 670 millions de dollars en 1972 à 1 040 millions
de dollars en 1973. Entre 1973 et 1979, la dette augmentera de manière
régulière d’environ 700 millions de dollars chaque année. L’augmentation de la
dette est liée au contexte international. Cette période est marquée par une
augmentation du prix du pétrole et la possibilité pour les banques occidentales
de placer leurs pétrodollars. Le Zaïre contracte de nouveaux prêts pour
construire «les éléphants biancs».
Ces prêts sont contractés alors
que le cours des matières premières est élevé. Mais c’est sans compter sur le
fait que l’année 1973 et surtout l’année 1974 est marquée par la chute du cours
du cuivre, principale matière première d’exportation du Zaïre, ce qui rendra
plus difficile le remboursement des prêts. En 1976, le Zaïre ne peut respecter
ses obligations en matière de remboursement de la dette. Les pressions montent
et le Fonds monétaire international (FMI) entre en scène pour mettre en place
son programme d’austérité de manière musclée, après un premier programme signé
en 1967. Ce programme de stabilisation implique des conditionnalités strictes
de dévaluation de la monnaie, de diminution des dépenses publiques et de
garanties pour garantir le service de la dette. La diminution des dépenses
publiques prend forme sous prétexte de bonne gestion des grandes sociétés
mixtes du pays mais ce sont les populations congolaises qui en souffrent et la
gabegie continue. En 1978, des PDG européens sont nommés à la tête des
principales sociétés mixtes comme la Gecamines (Générale des Carrières et des
Mines), la SNCZ (Société Nationale des Chemins de fer du Zaïre, l’ONATRA
(Office National des Transports) mais aussi les douanes et la banque du Zaïre.
Une fois encore, l’ingérence des occidentaux et des institutions financières
internationales dans les affaires intérieures du Zaïre n’est plus à démontrer.
Ces PDG européens doivent mettre en place les politiques néo-Iibérales du FMI
et assurer au mieux la gestion de ces sociétés mixtes en ce sens. Le contexte
international aura aussi une influence sur la composition de la dette.
Majoritairement privée avant 1976, elle deviendra surtout bilatérale par la
suite, caractérisée par l’augmentation de l’aide au développement des
principaux donneurs occidentaux que sont les Etats-Unis, la Belgique et la
France. La signature d’un programme de stabilisation avec le ‘FMI et
l’augmentation de la dette bilatérale vaudra au Zaïre de passer devant le Club
de Paris pour un rééchelonnement de dette de 280 millions de dollars en 1976,
le premier d’une série de neuf rééchelonnements pendant le pouvoir de Mobutu.
De 1979 à 1983, le stock de la
dette augmente peu, le Zaïre essayant d’assurer le service de sa dette. La
dégradation économique s’accentue pendant cette période. Le montant de l’aide
publique au développement diminue très rapidement passant de 225 millions de
dollars en 1981 à 65 millions de dollars en 1985. Quant aux sorties de capitaux,
elles sont passées de 25 à 215 millions de dollars entre 1983 et 1985. Les
impayés s’accumulent depuis 1976 faisant du Zaïre un pays à risque pour les
investisseurs: c’est ainsi qu’il se retrouve à la 104ème place sur 105 dans la
liste des pays à risque établie par la Générale de Banque belge. Le pays paye
de plus en plus d’intérêts sur la dette dans les années 1970 : ils passent de 9
millions de dollars en 1970 à 205 millions de dollars en 1980.
De 1983 jusqu’aux années 1990, la
dette publique extérieure augmente d’environ 100 millions de dollars par an.
Cette période est marquée par une forte intervention des institutions
financières internationales, le FMI et la Banque mondiale, qui mettent en place
leurs politiques néolibérales. Le Zaïre est alors considéré comme l’élève
modèle du FMI8. Cette année-là, il procède une fois de plus à un soi-disant
«assainissement financier» en dévaluant de 77% la monnaie et en imposant un
nouveau système fiscal pour la Gecamines. En 1986, c’est au tour de la Banque
mondiale de mettre en place des programmes d’ajustement structurel pour 2
milliards de dollars pour la période 1987-1990 à condition que l’Etat zaïrois
effectue la libéralisation du secteur financier, de nouvelles réformes de la
fonction publique, des programmes d’investissement prioritaires. Le début des
années 1980 est aussi marqué par la décision des Etats-Unis d’augmenter leurs
taux d’intérêt, ce qui aura des conséquences sur l’économie mondiale, et par
conséquent au Zaïre, puisque les emprunts contractés sont en général à taux
variable. La dette va alors augmenter de manière très importante.
Durant cette
période, les institutions financières internationales exigent en priorité le
remboursement de la dette, quitte à sacrifier le financement des secteurs sociaux.
Le service de la dette dépassera 50% du budget du Zaïre durant les années
1983-1989. Cependant on peut noter une moins forte augmentation du stock de la
dette de l’année 1987 à 1988. Cela est notamment dû à une reprise
conjoncturelle des cours de cuivre et de cobalt. Cette même année, en 1987, le
FMI approuve un programme d’ajustement structurel sous pression états-unienne
et malgré de fortes objections au sein du FMI. Au même moment, Mobutu permet
aux troupes états-uniennes d’utiliser son territoire et ses bases pour leurs
opérations en Angola.
Les années 1990 avec la chute du
mur de Berlin en 1989 et la fin de la guerre froide marquent la fin de
l’intérêt que l’Ouest porte à la position géostratégique du Zaïre. Les derniers
prêts ont lieu en 1990 et 1991.
LA DETTE ET LA NEGLIGENCE DES
BESOINS VITAUX DE LA POPULATION
Sous le poids des réformes
imposées par les institutions financières internationales et le système Mobutu
qui sera étudié postérieurement, la situation sociale se dégrade depuis le
début des années 1980.
«Que des millions de Congolais
meurent de malaria, de sida, de la fièvre Ebola, qu’à cela ne tienne pourvu que
l’on rembourse la dette. Licencier impitoyablement des milliers d’agents de la
fonction publique, qu’à cela ne tienne pourvu qu’on dégage des ressources
supplémentaires pour rembourser la dette.
Cette phrase de Prosper Mamimami
Kabare exprime la philosophie de l’époque: l’exigence du remboursement avant
tout et la désétatisation. En effet, les secteurs sociaux, l’agriculture, la fonction
publique sont toujours délaissés dans le budget public au profit des
remboursements de la dette et de la volonté des créanciers. Le tableau suivant
montre cet effondrement au cours des années 1980 en comparaison avec les autres
pays d’Afrique (dont les chiffres sont indiqués en italique).
Pour chaque entrée, la première
ligne correspond à la part du budget du Zaïre alloué au secteur mentionné
tandis que la deuxième ligne montre la part moyenne du budget que les pays
d’Afrique allouent à ce même secteur. Cela permet de mettre en valeur
l’intervention de la Banque mondiale en 1983 qui a eu pour conséquence
l’explosion de la dette et la diminution radicale de la part du budget allouée
aux services sociaux.
L’évolution de l’indice des prix
montre la dégradation des conditions de base des populations. De 1960 à 1973,
les prix des biens de consommation courante à Kinshasa ont augmenté en moyenne
de 24% par an, et entre 1973 et 1983 de 60% par an, alors que dans le même
temps, l’indice des salaires chute: il a diminué en moyenne de 7% et de 30%
pendant ces mêmes périodes. Les «éléphants blancs», producteurs de dette
Entre 1970 et 1975, les nombreux
emprunts ont été affectés à la construction de projets industriels énormes qui
ont servi de débouchés et d’acquisition de marchés aux entreprises
occidentales. Ils ont également constitué des sources de détournement de fonds
pour le clan Mobutu mais n’ont jamais été rentables. Ces «éléphants blancs»
n’ont servi qu’à accroître le stock de la dette publique extérieure et c’est en
cela qu’ils sont producteurs de dette.
Ces grands projets ont surtout
été réalisés dans les domaines de l’énergie, du transport et des
communications, permettant ainsi un accès facile aux marchés mondiaux pour les
ressources naturelles congolaises. Selon l’Office de gestion de la dette
publique (OGEDEP), en 1980, 51 % des engagements extérieurs étaient consacrés à
ces trois domaines. Mais ces projets sont caractérisés par le manque de
rentabilité et de discipline financière. En 1985, le Centre Nord-Sud de
l’Institut de l’entreprise sur l’industrialisation en Afrique relève que sur
343 projets analysés, 57% étaient en état de sous-production et 23% étaient à
l’arrêt complet. Cela ne signifie pas pour autant que les 20% restants étaient
des affaires florissantes. Tant au stade de l’expertise, du financement que de
l’exécution, la rationalité économique ne fut pas respectée. Le remboursement
du financement de ces projets a été le plus souvent établi à moyen terme alors
qu’au vu de l’ampleur de ces projets, un remboursement à long terme aurait été
nécessaire. De ce fait, «Ia dette ne pouvait être remboursée que par la
poursuite de l’endettement».
Pour effectuer un audit précis,
il s’agit de dresser la liste des contrats de ces grands projets un par un et
de les analyser en notant le taux d’intérêt, le terme du remboursement de la
dette, la faisabilité du projet et l’adéquation avec les besoins de la
population. Le barrage d’Inga est l’un des exemples les plus démonstratifs de
cette situation : il fera l’objet d’une étude particulière dans le prochain
chapitre. Dans tous les domaines, des «Inga» existent. L’expansion de la
Gecamines, la sidérurgie de Maluku, la «Voix du Zaïre», le pont de Matadi, la
cimenterie nationale, le complexe agro-industriel de N’Sele, l’aéroport
international de Kisangani, le barrage de Mobaye, la COMINGEM, le centre de
commerce international du Zaïre sont autant d’exemples montrant le partage du
gâteau entre le clan Mobutu, les entreprises occidentales qui réalisent ou pas
les travaux et laissent au peuple le soin de se serrer la ceinture pour pouvoir
rembourser la dette, toujours la dette.
La «Voix du Zaïre» et les
stations de télécommunication illustrent cela. Il s’agissait alors de réaliser
un système de réseau hertzien de radiotélévision partout dans le pays. Or cet
ensemble est marqué par une forte disproportion entre les mises de fonds, les
innovations technologiques et le résultat final. Un an après sa mise en route,
la «Voix du Zaïre» ne fonctionnait déjà plus qu’à 20% de sa capacité et la
plupart des équipements techniquement sophistiqués étaient soit inutilisés,
soit en panne. La réalisation de ce projet fut confiée à Thomson CSF qui
l’utilisa pour expérimenter la technologie de pointe avant de la mettre en
place en Europe et greva lourdement le budget de fonctionnement par des frais
de maintenance très élevés.
SOURCE : CADTM
http://www.cadtm.org/IMG/pdf/Partie_2.pdf