Le professeur Akele crève l’abcès : Réponses pénales au désordre constitutionnel en RD Congo
La jeune Cour Constitutionnelle à l’épreuve.
Introduction
En respect et profanation d’un texte sacré
« Réviser la Constitution, c’est aussi la respecter... ! » L’idée déroute. D’une part parce qu’elle vient d’un brillant constitutionnaliste qui ne peut qu’inspirer confiance et que je respecte personnellement comme ami et collègue. D’autre part, parce qu’elle vient d’un politicien farouche, qui sait ce qu’il veut obtenir et qui, au bénéfice d’artifices architecturaux capables de donner aux mots et aux sons plus de tonalités qu’ils n’en ont réellement,
sait mêler vertigineusement discours scientifique et discours politique dans le creuset d’une réflexion sur la société et l’Etat, au moyen d’un mixage où, conformément aux enseignements de Machiavel, les valeurs morales s’effacent devant les présupposés politiques.
Si « réviser la Constitution est la respecter », il ne s’agit certainement pas de ce respect révérencieux qui sied aux choses du sacré auxquelles l’on ne devrait toucher, à l’image de nos ancêtres suppliant un arbre de la forêt qu’ils souhaitaient couper de leur en donner l’autorisation, qu’avec appréhension et frayeur, convaincu néanmoins ‘au fond de soi-même de la nécessité de ce geste au profit du bien commun; C’est qu’il existe plusieurs degrés de respects dont la variation dépend de la force que l’on se reconnait, de l’amplitude de son pouvoir et de la perception que. l’on se fait de l’objet à respecter, également de l’idée que l’on se fait du regard ou de la réaction de ceux que l’on considère à tort ou à raison comme des personnes tierces dans le rapport du sujet et de l’objet. Mais je ne doute certainement pas de la portion congrue du respect de la Constitution dans des révisions qui, vu leur fréquence, leur récurrence, leur forme et leur contenu, s’analysent en des actes sournois de profanation et consistent en réalité en plusieurs coups de buttoirs assenés méthodiquement à la loi fondamentale pour en modifier progressivement - et finalement radicalement - les valeurs et normes intangibles convenues par le pouvoir constituant originel.
Je ne suis pas constitutionnaliste. Ma chapelle est le droit pénal et Pa criminologie qui présentent en sciences juridiques cet avantage unique d’avoir les fenêtres de ses sombres ateliers largement ouvertes sur les autres droits, y compris le droit constitutionnel, auxquels elles apportent la garantie de la sanction pénale. Autrement dit, le droit pénal est la sanction de tous les autres droits en cas de violation grave et manifeste de ceux-ci. La fonction de la science criminelle étant de veiller à la cohérence de l’ordonnancement juridique en en sanctionnant impérativement les écarts dans le chef de ceux qui y sont assujettis
- et dans un Etat de droit tout citoyen sans exclusif y est assujetti - les pénalistes restent les gendarmes et les derniers remparts de la Constitution contre toute-, transgression délibérée. Notre situation nous offre un observatoire pratique des comportements anomiques au regard de tout droit et nous oblige, par devoir de conscience, de vérité et d’honnêteté scientifique et au nom de l’ordre public, de dire, contre vents, et marées, à temps et à contretemps, qui est « coupable » et qui ne l’est pas. C’est tout le sens du leadership juridique que nous devons assumer et que ceux qui nous identifient comme « intellectuels » ou « savants » de notre société attendent que n.ous portions
2. « Polémique » et bavardage, brouillent l’essentiel
Se serait trahir gravement et déshonorer la corporation et la société que de garder silence devant ce que, déjà en 1820, HEGEL dans ses « Principes de la philosophie du droit », évoquait comme l’infini bavardage qui a vu le jour dans la période récente à propos de la constitution ». Le contexte actuel est bien celui de « bavardage » sur la nécessité et l’opportunité d’apporter à notre loi fondamentale, en l’espace de deux législatures, des amendements jugés par certains comme mineurs et utiles, voire comme indispensables à la survie de la nation, par d’autres comme majeurs et nuisibles.
La Constitution du 18 février 2006 a été modifiée par la loi n° 11)002 du 20 janvier 2011 portant révision de huit de ses articles - On parle de nouveau aujourd’hui de la nécessité de la réviser dans des dispositions dont certaines avaient déjà été modifiées en 2011. Ces projets de révision seraient justifiés, pour le gouvernement, par des raisons d’économie, tandis que l’opposition y voit des manœuvres, au minimum, pour étirer le mandat présidentiel et contourner ainsi l’article 220 de la Constitution.
On peut dès lors légitimement se demander si le texte constitutionnel soumis le 18 décembre 2005 au référendum populaire était un texte « équilibré » comme l’avait affirmé à l’époque la « communauté internationale », ou ‘au contraire « une copie à reprendre » selon le mot du Professeur MAMPUYA. Il n’était sans doute pas « un document parfait », reconnaissait l’éditorialiste du Congo-Afrique. On sait néanmoins que, appelé en consultation référendaire, le peuple souverain a massivement tranché, à 83% en faveur de ce texte. Au fond, qu’ils aient, au référendum, voté « oui » ou « non », qu’ils se soient abstenus au moyen d’un bulletin blanc ou par le boycott électoral, les Congolais avaient apparemment tous le même message et la même préoccupation changer la configuration des institutions dans un sens qui apporte le renouveau sécuritaire et socio-économique. A tort ou à raison, ils se sont fort peu intéressés aux discussions sur le « sexe » et la « couleur » des institutions; aux polémiques sur le régime politique, la forme de l’Etat, l’équilibre des pouvoirs, etc. L’essentiel résidait dans le geste électoral si longtemps attendu et pour lequel bien de compatriotes ont payé de leur sang ; ce qui comptait c’était l’expression citoyenne libre de participation du corps électoral à la vie politique et démocratique de a nation ».
L’essentiel, c’était aussi la formation d’un « contrat social » autour des fondements référentiels et axiologiques de la nouvelle société congolaise la République, l’Etat de droit, la démocratie, la bonne gouvernance, le respect de la dignité de la personne humaine, la protection des libertés publiques et des droits fondamentaux de la personne et de la famille, la paix, la sécurité, l’unité nationale, l’intégrité du territoire, le développement socio-économique, la libre entreprise et la juste redistribution des richesses nationales, la justice et la lutte contre la corruption et l’impunité, l’alternance démocratique, la parité en vue de la participation conséquente de la femme au pouvoir et au développement, etc.
L’essentiel, enfin, c’était l’après référendum le devoir de tout citoyen de préserver cette Constitution, de la mûrir et de lui donner effet comme la norme de base et de référence de l’édification de l’Etat de droit et de la nouvelle société congolaise ; devoir qui se décline en obligations constitutionnelles majeures : respecter la Constitution et se conformer aux lois de la République ; défendre le pays et son intégrité territoriale faire échec à tout individu ou groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l’exerce en violation des dispositions de la Constitution ; loyauté envers l’Etat; sauvegarder, promouvoir et renforcer l’unité et la solidarité nationales ainsi que la tolérance républicaine; protéger la propriété, les biens et intérêts publics ainsi que la propriété d’autrui.
3. Rébellion contre la Constitution ou coup de force constitutionnel?
Ce positionnement citoyen en pointe, portant à pleine main la nouvelle Constitution, paraît aujourd’hui décliner quand on voit les conditions, le contenu et l’impact des révisions de 2011 et quand on écoute le « bavardage » du moment, par la majorité au pouvoir et le gouvernement, sur le projet de nouvelles révisions, ou carrément sur le changement de la Constitution. On voudrait sans doute qu’il s’essouffle pour finalement se dédire par rapport à ses choix constitutionnels de 2006 ce qui, en soi, est gravement préoccupant au plan politique comme au plan pénal.
Il faut à cet égard se garder de tout jugement hâtif induit par une mauvaise appréhension des tribulations actuelles autour des modifications à apporter ou non à la Constitution. Enfermés dans une exégèse dogmatique et technique de la Constitution, bien de ceux qui, dans les milieux politiques, de la société civile, voire du monde académique, débattent du sujet, ne montrent pas assez que la fonction de la Constitution n’est pas seulement d’instituer une nouvelle organisation étatique, dotée d’institutions fortes et stables, assortie d’un contrôle social efficace, mais aussi et peut-être davantage, d’en améliorer les règles du jeu, voire de mettre en place, le plus durablement possible, un jeu socio-politique d’une autre nature. « L’histoire universelle nous apprend en effet que, par exemple, le passage du système féodal au système capitaliste, ne s’est pas accompli par un changement des règles du jeu féodal qui aurait donné plus de liberté au vassal face à son seigneur, ou qui aurait renversé les rôles. Il s’est opéré par l’apprentissage d’un nouveau type de jeu complètement différent. Le jeu capitaliste n’est pas une amélioration du jeu féodal, c’est un jeu d’une autre nature ».
Or, à la question de savoir si le jeu de la 3ème république et un jeu différent, meilleur ou d’une autre nature que celui de la 2ème république, le constat est doublement effrayant : d’une part on s’installe dans un refus systématique de donner plein effet à la ‘Constitution ; d’autre part on s’installe plus radicalement encore dans diverses attitudes et pratiques contraires à la Constitution. Dès lors, le problème se trouve-t-, il dans le manque de volonté d’appliquer scrupuleusement la Constitution, dans le manque de capacité de gérer cette Constitution ou dans des infirmités ou vices rédhibitoires que contiendrait cette dernière ? Quoiqu’il. en soit, il y a manifestement un réel refus de donner plein effet à la Constitution, pour tout dire, une « rébellion contre la Constitution » qui prend des allures d’un « coup de force »en vue de déforcer à termes la Constitution et à opérer inexorablement et irrésistiblement un « renversement du régime constitutionnel ». Très clairement, d’un point de vue pénal, on se trouve là dans un processus criminel majeur et préoccupant, qui cache son jeu et risque de nous installer dangereusement dans ce que François MITTERAND avait nommé, dans le contexte de la France des années 1960 « le coup d’Etat permanent ».
Ce processus criminel s’analyse en des actes répréhensibles de violations délibérées, consommées et impunies de la Constitution qu’en des actes préparatoires et/ou des actes de commencement d’exécution valant tentative punissable de renversement de l’ordre constitutionnel. Le « bavardage » actuel sur la révision ou le changement de la Constitution ignore ces deux aspects de la question. Le présent article voudrait les souligner particulièrement.
I. Refus systématique de donner plein effet à la Constitution ou violation délibérée de la Constitution
Le refus systématique de donner plein effet à la Constitution s’observe à l’égard des règles constitutionnelles les plus importantes caractérisant le nouveau système juridique. Quelques exemples suffisent à le montrer.
1. Quelques cas d’illustrations
Au niveau des droits de la personne - qui constitue l’élément dominant du nouvel ordre public assurant désormais la primauté de la personne humaine, contrairement à l’ordre ancien bâti sur la primauté de l’Etat - la Constitution proclame le caractère sacré de la personne et le caractère intangible du droit à la vie auquel, en aucun cas, il ne peut être dérogé. Ce qui rend conséquemment inconstitutionnelle la peine de mort que nos juridictions continuent à appliquer avec la bénédiction de la Cour suprême de justice agissant comme Cour de cassation et comme Cour constitutionnelle. Par ailleurs, le gouvernement se bloque dans le processus de la révision obligatoire du code pénal parce qu’il se convainc, à tort ou à raison, qu’il ne saurait assumer l’option abolitionniste face à l’opinion de sa base populaire. Chacun se renvoie la balle et en appelle à l’arbitrage du Chef de l’Etat qui pourtant avait en son temps déclaré attendre la décision du parlement à laquelle il se conformerait.
Au niveau du pouvoir judiciaire, alors que le Constituant originel avait fait le choix de la radicalisation de l’indépendance de ce dernier en étendant le bénéfice jusqu’aux parquets, l’amendement apporté à l’article 149 confère désormais cette importante vertu aux seuls cours et tribunaux. Le Constituant dérivé de 2011 a en effet estimé qu’il fallait remettre en harmonie l’article 149 avec les articles 150 et 151 qui proclament l’indépendance du seul magistrat du siège dans sa mission de dire le droit ainsi que dans son inamovibilité. En réalité, la logique de l’ancienne formulation de cette disposition constitutionnelle entendait tirer conséquence de la nature hybride de l’officier du ministère public en le faisant participer pleinement à l’expression de l’indépendance du pouvoir judiciaire lorsqu’il agissait en qualité de magistrat. Ceci devait amener un réaménagement législatif des rapports entre le parquet et le pouvoir exécutif; mais c’eût été pour le gouvernement accepter de prendre le risque de perdre le contrôle du parquet, maillon essentiel de son influence ou de ses interférences sur te pouvoir judiciaire. De sorte que l’on peut se demander si cet amendement-là n’a pas été le premier essai réussi du contournement du « fameux » article 220 qui continue à affirmer que l’indépendance du pouvoir judiciaire ne peut faire l’objet d’aucune révision, et donc un cas patent de haute trahison par violation intentionnelle de la Constitution, infraction prévue par l’article 165 de la Constitution.
On peut encore évoquer, au niveau du pouvoir judiciaire le refus des juridictions militaires de laisser les justiciables qui ne sont pas membres des Forces armées ou de la Police nationale hors de portée de leur compétence personnelle, sauf naturellement en cas de suspension législative de l’action répressive des Cours et Tribunaux de droit commun conformément aux articles 85, 143, 144 et 156. Le même refus d’application est opposé à l’article 153 qui confère à la Cour de cassation compétence de connaître des pourvois en cassation formés contre les arrêts et jugements rendus en dernier ressort par les Cours et Tribunaux civils et militaires. Et, on est étonné du silence et de l’inaction de la Cour suprême de justice devant ces résistances constitutives de violations flagrantes de la Constitution.
Il s’agit d’un silence complice qui laisse petit-à-petit une épaisse couche d’antivaleurs plomber la Constitution pour la rendre délibérément ineffective. C’est ainsi que l’option constitutionnelle de la décentralisation a été très vite grugée par une vision tribaliste, ethniciste voire claniste du découpage territorial, bloquant en fin de compte l’idée d’une démocratie à la base, chère au constituant de 2006 et apportant la preuve que, en tant que nation, nous ne sommes pas encore préparés à émerger de la société tribale et de nos allégeances tribales pour accéder à une société plus ouverte. Et, ce n’est pas la loi de programmation des modalités d’installation de nouvelles provinces, loi introduite par la révision de 2011 (article 226) qui va régler ce dérapage. De même, la volonté constitutionnelle de la lutte contre l’impunité est loin de se faire réellement porter par une volonté gouvernementale, législative et judiciaire non équivoque en matière notamment de la répression de la corruption ou des violations graves du droit international humanitaire (génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre, crimes d’agression). Bien plus, chaque citoyen, chaque particulier en vient à se construire un statut d’ « intouchable » avec des moyens du bord à sa portée (trafic d’influence, corruption, tromperies, fraudes, etc.) pour assurer son « impunissabilité » ou se prémunir contre les agressions arbitraires des agents de l’Etat.
2. La Constitution n’a jamais vraiment été appliquée
Au fond, tout au long de ses huit années d’existence, la Constitution n’a jamais vraiment été appliquée dans sa lettre et moins encore dans son esprit et donc a rarement été respectée. En octobre 2006, sept mois après la promulgation de la nouvelle Constitution, nous en avions, la professeure SITA et moi-même, planifié dans une étude parue aux éditions du Ce- pas la mise en œuvre en listant les lois indispensables à son application. Le constat aujourd’hui est incontestablement l’isolement de la Constitution dans un océan de normes préexistantes ou nouvelles qui ne concourent nullement à la construction du nouvel ordre socio-politique et juridique voulu par le Constituant. On se trouve ainsi face à des violations permanentes, structurelles ou substantielles de la Constitution dont il n’est pas possible, vu le statut hiérarchique de cette dernière, de dire qu’elles sont négligeables, mineures ou majeures Celle par exemple qui consiste à conférer au Chef de l’Etat la qualité d’«autorité morale » d’un parti politique et qui viole immanquablement l’article 96 de la Constitution, en son alinéa 2, rendant incompatible le mandat du Président de la République avec toute responsabilité au sein d’un parti politique, est-elle une violation mineure ou majeure?
Il serait intéressant de prendre au moins les avis de la nouvelle Cour constitutionnelle sur ces différents cas de violation de la Constitution qui sont de véritables cas de rébellion au regard de l’ordre constitutionnel. Il devrait en découler normalement des mises en garde et des recommandations de redressement de ces transgressions.
Finalement, tout ceci conduit à « faire planer » un « procès d’intention » au « tribunal de la déraison » contre la Constitution à laquelle on confère désormais une fonction exutoire de « bouc émissaire ». L’argumentaire principal de ce « procès » est naturellement politique, mais aussi économique.
L’argument politique conduit à un rétrécissement du concept de bien public, bien commun ou intérêt général, désormais « chargé de presque n’importe quel contenu suggéré par les intérêts du groupe dirigeant » ou, pour paraphraser François MITTERAND, dicté par « la toute puissance d’un clan appuyé par des lois électorales suspectes » : la plupart des amendements réalisés par la révision du 20 janvier 2011 correspondent à ce modèle, soit qu’il s’agisse pour un parlementaire de retrouver son mandat après l’exercice d’une fonction politique incompatible (article 110), soit qu’il s’agisse de renforcer les pouvoirs du Président de la République (articles 197, 198, 218) ou d’organiser l’élection du Président de la République à la majorité simple des suffrages exprimés (article 71).
Il n’est peut-être pas superfétatoire de se demander si d’une certaine façon cette révision n’affecte pas immanquablement l’article 220 de la Constitution, dans la mesure où elle frustre les citoyens de la possibilité qui leur était jadis donnée d’exprimer éventuellement à deux reprises le vote de la personne à qui ils entendent conférer la charge de la magistrature suprême de l’Etat, « réduisant ainsi forcément les droits et libertés de la personne en violation de l’article 220 de la Constitution. Il est par ailleurs évident que toutes ces révisions modifient dangereusement les équilibres institutionnels négociés difficilement par la Constitution dans sa formulation originelle de 2006 et, mises les unes à côté des .autres, pourraient s’analyser comme participant à termes en des actes préparatoires à une tentative de renversement de l’ordre ou du régime constitutionnel qui constitue, selon le prescrit de l’article 64 alinéa 2 de la Constitution, « une infraction imprescriptible contre la nation et l’Etat ». Autrement dit, elle peut être poursuivie à tout moment, sans limitation dans le temps.
En définitive, les règles du jeu socio-politique restent, à peu de choses près, inchangées, dominées par les anachronismes autocratiques, sécuritaristes, patrimonialistes, liberticides, « justicides », ethnicistes, immoraux et donc suicidaires de la démocratie et de la République. Tout se passe comme si les valeurs constitutionnelles que nous nous sommes imposées en 2006 sont au-dessus de nos forces et, toute honte bue, nous en sommes réduits à chercher à tailler progressivement la Constitution à la mesure des antivaleurs que par ailleurs nous décrions depuis la Conférence nationale souveraine ; à élever à la vertu de normes constitutionnelles des pratiques rebelles au projet de société que le peuple souverain a légitimé par référendum. Pour nous en donner bonne conscience, nous nous convainquons de ce que cette constitution serait la propriété des belligérants qui, apparemment, auraient fumé à Sun City le calumet de la paix entre eux au détriment du peuple souverain. Nous oublions allégrement que ce sont des congolaises et des congolais, adultes responsables, jeunes et vieux, qui ont adopté par référendum cette constitution.
La tâche serait au-dessus de nos forces c’est aussi ce que suggère l’argument économique avancé pour justifier notamment le changement de certaines modalités du scrutin et du système électoral. Autrement dit, nous déclinons notre capacité d’assumer une démocratie à la hauteur de nos ambitions aussi entendons-nous nous contenter d’une démocratie « au taux du jour », celui-ci étant apprécié au rythme des cycles électoraux
En tout état de cause, il est clair qu’il existe dans notre pays une solide permanence de tradition monarchique léopoldienne que Joseph KASAVUBU a, le premier tenté d’incarner et qui l’a amené à se défaire de son premier ministre Patrice-Emery LUMUMBA. Ensuite, Joseph-Désiré MOBUTU l’a mise en œuvre dans une rude autocratie trentenaire que Laurent-Désiré KABILA a récupérée à son compte et qui vaudra à ce dernier une fronde sanglante en 1998. Son successeur, Joseph KABILA, passera le plus clair de son règne à gérer les suites et les conséquences de cette fronde sans néanmoins pouvoir s’affranchir de cette tradition monarchique léopoldienne dans laquelle lumumbistes et néo-lumumbistes, mobutistes et néomobutistes, kabilistes et néo-kabilistes semblent se reconnaître et qui les amènent à cultiver un rapport singulier à la Constitution, aux lois de la République, à la gouvernance et à l’Etat de droit... Rapport singulier de mépris de la norme établie justifiant un régime de « coup d’Etat permanent » contre l’ordre constitutionnel.
Il.- Régime de « coup d’Etat permanent » contre l’ordre constitutionnel
Ce régime procède par accaparement progressif du pouvoir, en déforçant petit-à-petit la Constitution dans le cadre de règles d’apparence démocratique, pour instaurer un pouvoir autocratique durable au nom d’une certaine idée de l’intérêt général, de la grandeur de la nation, de sa sécurité et de son développement. Parmi les orfèvres les plus talentueux de ce modèle « démocratique », l’histoire universelle évoque notamment le nom d’Adolf HITLER qui, devenu démocratiquement chancelier en 1933, établira par 3 suite et par étapes successives une dictature personnelle t totalitaire qui fera de lui « la loi » et l’amènera en 1938 à préparer et à exécuter avec minutie son plan d’élargissement de l’« espace vital » allemand avec les conséquences que l’on sait.
Dénonçant le régime de Charles de GAULLE comme un « coup d’Etat permanent », François MITTERAND caractérise ce modèle politique comme une dictature « parce que, tout compte fait, c’est à cela qu’il ressemble le plus, parce que c’est vers un renforcement continu du pouvoir personnel qu’inéluctablement, il tend, parce qu’il ne dépend plus de [son chef] de changer de cap. Je veux bien, précise-t-il, que cette dictature s’instaure en dépit de Gaulle. Je veux bien, par complaisance, appeler ce dictateur d’un nom plus-aimable consul, podestat, roi sans couronne, sans chrême et sans ancêtres. Alors, elle m’apparaît plus redoutable encore. Peut-être, en effet, de Gaulle se croit-il assez fort pour échapper au processus qu’il a de son propre mouvement engagé. Peut-être pense-t-il qu’il n’y aura pas de dictature sans dictateur, puisqu’il se refuse à remplir cet office. Cette conception romantique d’une société politique à la merci de l’humeur d’un seul homme n’étonnera que ceux qui oublient que de Gaulle appartient plus au XIXe siècle qu’au XXe, qu’il s’inspire davantage des prestiges du passé que des promesses de l’avenir. Ses hymnes à la jeunesse, ses élégies planificatrices, ont le relent ranci des compliments de circonstance. Sa diplomatie se délecte à recomposer l’Europe de Westphalie. Ses audaces sociales ne vont pas au-delà de l’Essai sur l’extinction du paupérisme. Au rebours de ses homélies “sur le progrès”, les hiérarchies traditionnelles, à commencer par celle de l’argent, jouissent sous son règne d’aises que la marche accélérée du siècle leur interdisait normalement d’escompter. » Plus loin, MITTERAND poursuit : « Il y a en France des ministres. On murmure même qu’il y a encore un Premier Ministre. Mais il n’y a plus de gouvernement. Seul le président de la République ordonne et décide. Certes les ministres sont appelés rituellement à lui fournir assistance et conseils. Mais comme les chérubins de l’Ancien Testament, ils n’occupent qu’un rang modeste dans la hiérarchie des serviteurs élus et ne remplissent leur auguste office qu’après avoir attendu qu’on les sonne. » Il insiste aussi sur « tes abus en matière de justice et de police, le gaullisme devenant « de Gaulle plus la police ». Il dénonce par exemple l’utilisation de provocateurs, la multiplication des bavures et brutalités policières, les officines en tous genres (comme le SAC et les réseaux Foccart), les tribunaux d’exception (Haut Tribunal militaire, remplacé par une Cour militaire de justice puis par la Cour de sûreté de l’État, cette dernière ayant été supprimée dès l’été 1981 par la gauche), le mépris du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État, ou encore le recours abusif au délit d’offense au chef de l’État.
L’Afrique est un continent prolixe dans la production de régime politique s’abreuvant dans le « coup d’Etat permanent ». Mais MOBUTU SESE SEKO est sans doute l’un de ses meilleurs praticiens. Maître Jean-Claude KATENDE, avocat au barreau de Lubumbashi et Président national de l’ASADHO (Association Africaine de Défense des Droits de l’Homme) en fait une description saisissante :
« Les querelles entre les leaders politiques et les troubles sociaux politiques qui avaient caractérisé le Congo après son accession à l’indépendance, en 1960, avaient conduit le Général MOBUTU à prendre le pouvoir en 1965 au motif qu’il voulait mettre de l’ordre dans le pays. De 1967 à 1990, la stratégie choisie par le Général MOBUTU, devenu Maréchal, était de réviser petit-à- petit et régulièrement la constitution (1967, 1970, 1974...) pour confisquer le pouvoir, en supprimant toute possibilité pour les autres acteurs politiques d’y accéder pendant plus de 30 ans ». Il pouvait par ailleurs compter, précise KATENDE, sur l’hypocrisie de ses proches et l’appui des courtisans de tout bord, parmi lesquels il y avait des professeurs d’universités, des personnalités politiques de renom... lis ont fabriqué toutes sortes de slogans pour encourager le Maréchal Président à garder le pouvoir pendant longtemps. De slogans tels que « Président MOBUTU, totombeli yo 100 ans » ont été entendus. Mais quand l’AFDL est arrivée et que le Président MOBUTU a été chassé du pouvoir, les mêmes courtisans l’avaient abandonné et s’étaient rapidement reconvertis aux nouveaux maîtres de la R.D.Congo pour lesquels ils ont recommencé à chanter. De tels individus, qu’ils soient professeurs d’universités, politiciens, acteurs de la société civile, pasteurs ou prêtres sont un grand danger pour notre jeune et fragile démocratie ».
Pour KATENDE, « il ne fait aucun doute que le Président Joseph KABILA procède aussi de la même façon. Par la révision constitutionnelle progressive, il veut mettre fin au régime démocratique voulu par le peuple congolais en 2005. En 2011, il fait réviser 8 articles de la Constitution dont les articles 71, 197, 197 et 218. II fait supprimer le deuxième tour de l’élection présidentielle, ce qui augmente ses chances de se maintenir à la tête du pays (article 71) en lieu et place d’une compétition plus ouverte voulue par le peuple. Il se fait octroyer le pouvoir de dissoudre les Assemblées Provinciales, de révoquer les Gouverneurs de province (articles 197 et 198) et de convoquer le referendum (article 218). En prévision de l’élection présidentielle de 2016, les ténors de la Majorité présidentielle (Messieurs Aubin MINAKU et Evariste BOSHAB) annoncent une autre révision constitutionnelle, par referendum, pour faire sauter l’article 220 de la Constitution qui fixe la durée et le nombre de mandats du président de la République. Que vont-ils proposer? On ne le sait pas encore. Mais il ne fait aucun doute qu’ils vont donner la possibilité au Président Joseph KABILA de se représenter afin de rester encore à la tête du pays ».
« Au regard de ce qui précède, conclut-il, et si le peuple ne fait pas attention, le Président Joseph KABILA nous ramènerait à un scénario que nous avons déjà vécu avec le Président MOBUTU : l’installation d’un seul homme au pouvoir pour de très longues années, un régime que nous avions décrié sous le Président MOBUTU, un régime qui n’a été profitable qu’à lui-même, à sa famille et certains de ses courtisans. Faisons attention, car sous nos yeux, l’histoire risque de se répéter encore. »
La mise en perspective historique que nous présente Maître KATENDE du débat sur la révision constitutionnelle profile nettement le processus criminel de tentative de renversement du régime constitutionnel et emporte, à nos yeux, deux conséquences majeures. La première est qu’elle cristallise cette dernière infraction dans tous ses éléments constitutifs et ouvre ainsi, à tout moment, la voie à des poursuites pénales du chef de cette qualification qui, faut-il le rappeler encore une fois, est imprescriptible. La deuxième conséquence est que, de la même manière que les lois référendaires ou constitutionnelles prises en violation de la Constitution sont susceptibles de requête en annulation pour inconstitutionnalité, les révisions opérées en 2011 dans les conditions qui énervent la Constitution ne sont pas à l’abri de la même sanction. Encore faut-il qu’une requête en ce sens soit formée par toute partie intéressée devant la Cour constitutionnelle. Ce serait un test pour apprécier l’impartialité et la hauteur intellectuelle des membres de cette haute juridiction et leur indépendance vis-à-vis de l’exécutif et du législatif.
Conclusion
Quatre points en guise de conclusion.
1. Il est clair que ces développements ne nous empêchent pas aujourd’hui de convoquer à nouveau le peuple en consultation référendaire pour quelques nouveaux amendements dont la validité, la pertinence et l’opportunité ne sont pas toujours nettement justifiées. Mais le peuple qu’on entend appeler ainsi en consultation référendaire pour éventuellement l’amener à se dédire ou à « défaire ce qu’il a fait » il y a moins de dix ans, est- il réellement acquis à l’idée de ces nouveaux amendements, voire de changement pur et simple de la Constitution ? « Pour que le « oui » du peuple puisse devenir une condition de l’entrée en vigueur d’une nouvelle norme fondamentale, il faut donner à ce peuple une occasion de dire « non », relève notamment Andreas AUER, professeur de droit public à l’Université de Zurich. Quel crédit les hommes politiques peuvent- ils engranger dans cette opération alors même qu’ils se sont battus, il n’y a pas si longtemps, pour arracher l’adhésion du peuple au projet constitutionnel de 2006 qu’ils n’arrivent pas aujourd’hui à appliquer !
La question qu’il convient alors de se poser est de savoir si nous devons purement et simplement prendre acte de notre incapacité foncière à construire la nouvelle société congolaise ou encore si nous avons pris l’option de nous situer dans ce que le Constituant appelle « violation intentionnelle de la Constitution » et qu’il qualifie de « haute trahison »? Dans tous ces cas, sommes-nous prêts à en assumer les conséquences ? Politiques Pénales, éventuellement?
S’il ne s’agissait que de cette trahison là, on pourrait encore s’en remettre à la Constitution elle-même qui détermine les voies et moyens de sa résolution politique et de sa répression pénale. Mais il s’agit bien davantage de ce que Ka MANA appelle « les mécanismes de la trahison culturelle», ou encore ce que le Père Ekwa appelait « la mentalité sorcière », c’est-à- dire un « esprit collectif de destruction ..., de rupture concrète entre, d’une part les valeurs nourricières traditionnelles idéalisées par les [Congolais et les Congolaises] quand ils partent de leur identité originelle et séculaire, et d’autre part les pratiques sociales qu’ils vivent au jour le jour, réalités qui manifestent leur être aujourd’hui comme un être profondément en crise, soumis à l’anomie et dénué de repères solides face aux défis gigantesques que la culture, l’économie, la politique et les réalités mondiales actuelles placent devant [le Congo] et son avenir ». « En clair la culture [congolaise] concrètement vécue apparaît comme le lieu de la trahison des valeurs [congolaises] par [les Congolais et les Congolaises], tels qu’ils affrontent leur destin dans l’ordre mondial contemporain. Un fossé entre [le Congo] et lui-même, entre ce qu’il affirme comme son identité historique et ce qu’il manifeste de cette identité face aux questions de fond auxquelles il doit faire face dans les multiples crises du monde ».
M’zee Laurent-Désiré KABILA avait sans doute à l’esprit cette « traître » composante de notre personnalité nationale quand 1 faisait cette ultime recommandation à ses compatriotes
« ne jamais trahir le Congo », que de nombreux panneaux publicitaires à travers la capitale rappellent opportunément ces temps-ci à notre souvenir. Bien plus insidieuse que la trahison qui consiste à « passer à l’ennemi » ou à « entretenir des intelligences coupables avec l’ennemi », la trahison culturelle ou identitaire est un acte de parjure et de félonie qui produit deux résultats. D’une part, elle mène au reniement des valeurs fondatrices de son pays, des valeurs régulatrices de la vie sociale de son pays, des valeurs donatrices de sens à la société vécue comme communauté de destin. D’autre part, elle conduit à la fragilisation et à la précarisation des équilibres essentiels ou fondamentaux de la société, équilibres qu’il ne faut pas considérer « comme des réalités concrètement assumées, mais comme des idéaux et des utopies pour dire ce que la société juge essentiel et projette comme son être dans son accomplissement plénier ».
Enfin, prenons garde de ne pas qualifier, notre Constitution d’ handicapante alors que les textes de sa mise en œuvre n’ont pas encore été tous mis en place ; alors que le modèle de société que le peuple s’est choisi en 2006, celui-ci n’aura même pas eu l’opportunité de l’expérimenter et d’en goûter qu’on lui demande déjà de changer!
2. J’interpelle ainsi les républicains et les démocrates authentiques de ce pays, quelques soient leurs horizons professionnels, académiciens, politiciens, entrepreneurs privés, fonctionnaires, ouvriers, etc., sur la nécessité de s’interroger et de prendre conscience des valeurs de gouvernance instituées par la Constitution de 2006, surtout en ce moment où ces valeurs se trouvent balloter dans une multitude de discours d’où il ressort que, face au péril suprême que représenterait l’alternance au pouvoir, tous les moyens sont bons, à commencer par l’usage de la ruse et de la manipulation cynique de la science juridique qui nous conduiraient inexorablement et sûrement vers la modification des modalités de la dévolution de la souveraineté et de la typologie du pacte qui en découle. Il n’est déjà plus possible aujourd’hui de dire si le régime constitutionnel de la 3ème république est le parlementarisme ou le présidentialisme et donc si, dans les faits, nous ne sommes pas déjà un pied dans la 4ème république!
J’en appelle à la conscience des juristes et des constitutionnalistes qui ont le sens de devoir de faire honneur à leur science et à leur société et les conjure d’unir leurs intelligences pour préparer et former un pourvoi en inconstitutionnalité des révisions constitutionnelles de 2011 et de celles projetées actuellement, sur la base des éléments développés dans’ le présent article. Sous d’autres cieux, des universitaires, intellectuels, artistes, hommes et femmes du monde de la culture - artistes, musiciens, écrivains, etc. - et du monde des medias initieraient et cosigneraient une lettre collective aux Parlementaires les adjurant de protéger la Constitution, notre Pacte social et politique commun, contre les velléités de dérives autocratiques. Pourquoi les universitaires et intellectuels congolais n’auraient ce même réflexe de responsabilité s’appuyant sur ce qui est un droit et un devoir sacrés de notre citoyenneté, de notre dignité et de notre liberté eux qui devraient savoir mieux que quiconque que l’inertie des peuples est la forteresse de la tyrannie.
3. « Réviser la Constitution » oui, peut être respectable, s’il est question de corriger un ordre en vue de garantir que les principes sur lesquels il repose seront appliqués de façon cohérente et constante, et à condition qu’au plan scientifique - c’est le seul angle de vue que la compétence dont je me prévaut me permet -: - les règles opèrent véritablement comme valeurs suprêmes parce qu’elles servent des fins privées inconnues, c’est-à-dire en définitive le bien commun ou la prospérité générale et non des fins privées connues;
- toute critique ou amélioration valable de règles de conduite se situe à l’intérieur d’un système donné de telles règles et qu’elle ne découle pas d’une sorte de nébuleuse politique qui dissimule la réalité de son jeu et, en fin de compte, brouille sa rationalité intrinsèque;
- l’on comprenne que, pour remplir leurs fonctions et pouvoir faire l’objet d’une évaluation valide en vue d’une éventuelle révision, les règles mettant le peuple d’accord sur des objectifs concrets communs doivent être appliquées assidument et sur la longue durée;
- l’on accepte enfin que l’Etat de droit se construit autour d’un tronc solide de normes hiérarchisées au sommet desquelles se place la Constitution à laquelle toutes les autres normes inférieures doivent obéir et à laquelle doit se plier tout citoyen, sous le regard attentif d’une justice impartiale et équitable.
Il restera de garantir la loyauté, la sincérité, la vérité et la transparence des urnes, pour se mettre à l’abri du soupçon d’accaparement de la souveraineté nationale qui appartient au peuple, de qui émane tout pouvoir de l’Etat ; ce qui, en définitive, en fait véritablement le « gardien constitué » de la Constitution. Il reste à voir si l’on aura, à la manière de Charles de GAULLE, la volonté de jouer le jeu de la souveraineté, de la volonté du peuple et du respect dû au souverain primaire jusqu’au bout, en rendant à ce dernier son tablier en cas de revers de fortune ! On sait cependant que la culture de la démission n’est malheureusement pas inscrite dans nos mœurs politiques.
4. Pour finir, retenons que conduire la révision au mépris de ces garde-fous substantiels ne peut être qualifié de respectable au regard de la Constitution. Plusieurs cas d’impostures sont en effet possibles. On peut respecter en apparence la procédure de révision prévue par la Constitution tout en la détournant pour des fins contraires aux valeurs ou principes structurants de cette dernière. On peut aussi faire prendre par le parlement des lois constitutionnelles de révision après avoir réuni les deux chambres sans aucun égard pour leur règlement intérieur. Francis DELPEREE, sénateur belge et professeur de droit constitutionnel à l’ULB rappelle ceci à propos du respect dû à la Constitution : « La Constitution parle d’elle-même. Elle établit son propre statut en déterminant de manière précise qui révise la constitution, ce qui peut être révisé et quelle est la procédure à observer de manière impérative. Personne, gouvernement ou gouverné, ne peut méconnaitre ce message ».
De sorte que, même en cas de recours au référendum comme mécanisme de révision constitutionnelle - qu’ii s’agisse de référendum « d’eh haut » c’est-à-dire celui déclenché par les pouvoirs publics ou de référendum « d ‘en bas » déclenché par une initiative populaire, les « tables de valeurs substantielles définies dans a norme fondamentale ». Ainsi même le peuple et ses représentants doivent respecter les prescriptions constitutionnelles en matière de révision.
Il faut donc bien comprendre qu’à partir du moment où le peuple, pouvoir constituant originel, a voté par référendum la Constitution, le même peuple, devenu pouvoir constitué, ne peut, sauf hypothèse de révolution ou de coup d’Etat, être appelé à modifier le même texte en violation de ses valeurs et principes structurants.
En d’autres termes, le peuple ne peut pas être utilisé comme un instrument de blanchiment des hérésies juridiques opérées en vue de modifier la Constitution. Le recours au référendum très souvent « pipé d’avance » sert aux imposteurs pour « purger » une inconstitutionnalité ou pour « s’auto-légitimer Il peut ainsi astucieusement servir une fraude au non d’une pseudo-souveraineté populaire, une souveraineté galvaudée, vidée de sons sens, pour contourner des normes en vigueur ; servir de manœuvre malveillante contre le principe de la primauté du droit. Voilà pourquoi, il est institué aujourd’hui des mécanismes de contrôle juridictionnel du référendum ; contrôle exercé sur les objets relatifs à la méthode de questionnement tels que la clarté, l’homogénéité et l‘univocité de la question (Canada, Suisse, Etats-Unis, Italie) ; ou la conformité de l‘expression référendaire aux normes hiérarchiquement supérieures issues du droit européen (Irlande, France) du droit international (Suisse) ou du droit constitutionnel (Italie, Portugal, Etats-Unis, France). Il y a même des pays où le référendum est interdit (Belgique) ; et si le Parlement veut réviser des dispositions constitutionnelles, il doit préalablement s’auto-dissoudre. Notons enfin que des pays comme l’Allemagne, l’Italie, le Portugal, qui ont fait l’expérience du totalitarisme (nazisme, fascisme, etc.) ont institué des dispositions immuables, intangibles et il y est possible d’invalider des lois constitutionnelles même référendaires. Il y est donc institué l’obligation de conformité de l‘expression référendaire à des normes qui ne peuvent pas être modifiées par le peuple;
Retenons donc que les lois référendaires et les lois de révision constitutionnelles votées en violation de la Constitution restent susceptibles de pourvoi en inconstitutionnalité. Les interventions du juge dans le processus référendaire participent au phénomène de rationalisation normative dans la mesure où elles limitent la portée du référendum en conditionnant l’expression référendaire au respect des normes hiérarchiquement supérieures. Il s’agit d’éviter les risques évidents d instrumentalisation du peuple et traquer tout ce qui peut ressembler à des dérives plébiscitaires.
Bien de Cours constitutionnelles africaines, telles celle du Bénin, d’Afrique du Sud, du Mali, du Niger, notamment, se sont donné le pouvoir d’apprécier la constitutionnalité de ces lois référendaires ou de révision. Notre jeune Cour constitutionnelle saura-t-elle faire montre d’autant d’audace, si nécessaire à la construction de la démocratie; de l’Etat de droit et de l’autorité de la justice; et si indispensable à la promotion d’une pédagogie de respect de la norme constitutionnelle ? Comprendra-t-elle qu’aujourd’hui nous sommes passés d’une démocratie fondée sur une pseudo-volonté référendaire du peuple à une démocratie axée sur la primauté de certains droits et valeurs préétablis et qualifies de fondamentaux ? Se donnera-t-elle les moyens de s’assurer, au-delà des apparences de forme ou de procédure, de l’authenticité de l’expression référendaire ? Les temps prochains nous fixeront.
Pierre AKELE ADAU
Professeur ordinaire et Doyen honoraire de la Faculté de Droit de l’Université de Kinshasa
Professeur invité à la Faculté de Droit de La Sorbonne, Paris 1
Chef du Département de Droit pénal & Criminologie
Si « réviser la Constitution est la respecter », il ne s’agit certainement pas de ce respect révérencieux qui sied aux choses du sacré auxquelles l’on ne devrait toucher, à l’image de nos ancêtres suppliant un arbre de la forêt qu’ils souhaitaient couper de leur en donner l’autorisation, qu’avec appréhension et frayeur, convaincu néanmoins ‘au fond de soi-même de la nécessité de ce geste au profit du bien commun; C’est qu’il existe plusieurs degrés de respects dont la variation dépend de la force que l’on se reconnait, de l’amplitude de son pouvoir et de la perception que. l’on se fait de l’objet à respecter, également de l’idée que l’on se fait du regard ou de la réaction de ceux que l’on considère à tort ou à raison comme des personnes tierces dans le rapport du sujet et de l’objet. Mais je ne doute certainement pas de la portion congrue du respect de la Constitution dans des révisions qui, vu leur fréquence, leur récurrence, leur forme et leur contenu, s’analysent en des actes sournois de profanation et consistent en réalité en plusieurs coups de buttoirs assenés méthodiquement à la loi fondamentale pour en modifier progressivement - et finalement radicalement - les valeurs et normes intangibles convenues par le pouvoir constituant originel.
Je ne suis pas constitutionnaliste. Ma chapelle est le droit pénal et Pa criminologie qui présentent en sciences juridiques cet avantage unique d’avoir les fenêtres de ses sombres ateliers largement ouvertes sur les autres droits, y compris le droit constitutionnel, auxquels elles apportent la garantie de la sanction pénale. Autrement dit, le droit pénal est la sanction de tous les autres droits en cas de violation grave et manifeste de ceux-ci. La fonction de la science criminelle étant de veiller à la cohérence de l’ordonnancement juridique en en sanctionnant impérativement les écarts dans le chef de ceux qui y sont assujettis
- et dans un Etat de droit tout citoyen sans exclusif y est assujetti - les pénalistes restent les gendarmes et les derniers remparts de la Constitution contre toute-, transgression délibérée. Notre situation nous offre un observatoire pratique des comportements anomiques au regard de tout droit et nous oblige, par devoir de conscience, de vérité et d’honnêteté scientifique et au nom de l’ordre public, de dire, contre vents, et marées, à temps et à contretemps, qui est « coupable » et qui ne l’est pas. C’est tout le sens du leadership juridique que nous devons assumer et que ceux qui nous identifient comme « intellectuels » ou « savants » de notre société attendent que n.ous portions
2. « Polémique » et bavardage, brouillent l’essentiel
Se serait trahir gravement et déshonorer la corporation et la société que de garder silence devant ce que, déjà en 1820, HEGEL dans ses « Principes de la philosophie du droit », évoquait comme l’infini bavardage qui a vu le jour dans la période récente à propos de la constitution ». Le contexte actuel est bien celui de « bavardage » sur la nécessité et l’opportunité d’apporter à notre loi fondamentale, en l’espace de deux législatures, des amendements jugés par certains comme mineurs et utiles, voire comme indispensables à la survie de la nation, par d’autres comme majeurs et nuisibles.
La Constitution du 18 février 2006 a été modifiée par la loi n° 11)002 du 20 janvier 2011 portant révision de huit de ses articles - On parle de nouveau aujourd’hui de la nécessité de la réviser dans des dispositions dont certaines avaient déjà été modifiées en 2011. Ces projets de révision seraient justifiés, pour le gouvernement, par des raisons d’économie, tandis que l’opposition y voit des manœuvres, au minimum, pour étirer le mandat présidentiel et contourner ainsi l’article 220 de la Constitution.
On peut dès lors légitimement se demander si le texte constitutionnel soumis le 18 décembre 2005 au référendum populaire était un texte « équilibré » comme l’avait affirmé à l’époque la « communauté internationale », ou ‘au contraire « une copie à reprendre » selon le mot du Professeur MAMPUYA. Il n’était sans doute pas « un document parfait », reconnaissait l’éditorialiste du Congo-Afrique. On sait néanmoins que, appelé en consultation référendaire, le peuple souverain a massivement tranché, à 83% en faveur de ce texte. Au fond, qu’ils aient, au référendum, voté « oui » ou « non », qu’ils se soient abstenus au moyen d’un bulletin blanc ou par le boycott électoral, les Congolais avaient apparemment tous le même message et la même préoccupation changer la configuration des institutions dans un sens qui apporte le renouveau sécuritaire et socio-économique. A tort ou à raison, ils se sont fort peu intéressés aux discussions sur le « sexe » et la « couleur » des institutions; aux polémiques sur le régime politique, la forme de l’Etat, l’équilibre des pouvoirs, etc. L’essentiel résidait dans le geste électoral si longtemps attendu et pour lequel bien de compatriotes ont payé de leur sang ; ce qui comptait c’était l’expression citoyenne libre de participation du corps électoral à la vie politique et démocratique de a nation ».
L’essentiel, c’était aussi la formation d’un « contrat social » autour des fondements référentiels et axiologiques de la nouvelle société congolaise la République, l’Etat de droit, la démocratie, la bonne gouvernance, le respect de la dignité de la personne humaine, la protection des libertés publiques et des droits fondamentaux de la personne et de la famille, la paix, la sécurité, l’unité nationale, l’intégrité du territoire, le développement socio-économique, la libre entreprise et la juste redistribution des richesses nationales, la justice et la lutte contre la corruption et l’impunité, l’alternance démocratique, la parité en vue de la participation conséquente de la femme au pouvoir et au développement, etc.
L’essentiel, enfin, c’était l’après référendum le devoir de tout citoyen de préserver cette Constitution, de la mûrir et de lui donner effet comme la norme de base et de référence de l’édification de l’Etat de droit et de la nouvelle société congolaise ; devoir qui se décline en obligations constitutionnelles majeures : respecter la Constitution et se conformer aux lois de la République ; défendre le pays et son intégrité territoriale faire échec à tout individu ou groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l’exerce en violation des dispositions de la Constitution ; loyauté envers l’Etat; sauvegarder, promouvoir et renforcer l’unité et la solidarité nationales ainsi que la tolérance républicaine; protéger la propriété, les biens et intérêts publics ainsi que la propriété d’autrui.
3. Rébellion contre la Constitution ou coup de force constitutionnel?
Ce positionnement citoyen en pointe, portant à pleine main la nouvelle Constitution, paraît aujourd’hui décliner quand on voit les conditions, le contenu et l’impact des révisions de 2011 et quand on écoute le « bavardage » du moment, par la majorité au pouvoir et le gouvernement, sur le projet de nouvelles révisions, ou carrément sur le changement de la Constitution. On voudrait sans doute qu’il s’essouffle pour finalement se dédire par rapport à ses choix constitutionnels de 2006 ce qui, en soi, est gravement préoccupant au plan politique comme au plan pénal.
Il faut à cet égard se garder de tout jugement hâtif induit par une mauvaise appréhension des tribulations actuelles autour des modifications à apporter ou non à la Constitution. Enfermés dans une exégèse dogmatique et technique de la Constitution, bien de ceux qui, dans les milieux politiques, de la société civile, voire du monde académique, débattent du sujet, ne montrent pas assez que la fonction de la Constitution n’est pas seulement d’instituer une nouvelle organisation étatique, dotée d’institutions fortes et stables, assortie d’un contrôle social efficace, mais aussi et peut-être davantage, d’en améliorer les règles du jeu, voire de mettre en place, le plus durablement possible, un jeu socio-politique d’une autre nature. « L’histoire universelle nous apprend en effet que, par exemple, le passage du système féodal au système capitaliste, ne s’est pas accompli par un changement des règles du jeu féodal qui aurait donné plus de liberté au vassal face à son seigneur, ou qui aurait renversé les rôles. Il s’est opéré par l’apprentissage d’un nouveau type de jeu complètement différent. Le jeu capitaliste n’est pas une amélioration du jeu féodal, c’est un jeu d’une autre nature ».
Or, à la question de savoir si le jeu de la 3ème république et un jeu différent, meilleur ou d’une autre nature que celui de la 2ème république, le constat est doublement effrayant : d’une part on s’installe dans un refus systématique de donner plein effet à la ‘Constitution ; d’autre part on s’installe plus radicalement encore dans diverses attitudes et pratiques contraires à la Constitution. Dès lors, le problème se trouve-t-, il dans le manque de volonté d’appliquer scrupuleusement la Constitution, dans le manque de capacité de gérer cette Constitution ou dans des infirmités ou vices rédhibitoires que contiendrait cette dernière ? Quoiqu’il. en soit, il y a manifestement un réel refus de donner plein effet à la Constitution, pour tout dire, une « rébellion contre la Constitution » qui prend des allures d’un « coup de force »en vue de déforcer à termes la Constitution et à opérer inexorablement et irrésistiblement un « renversement du régime constitutionnel ». Très clairement, d’un point de vue pénal, on se trouve là dans un processus criminel majeur et préoccupant, qui cache son jeu et risque de nous installer dangereusement dans ce que François MITTERAND avait nommé, dans le contexte de la France des années 1960 « le coup d’Etat permanent ».
Ce processus criminel s’analyse en des actes répréhensibles de violations délibérées, consommées et impunies de la Constitution qu’en des actes préparatoires et/ou des actes de commencement d’exécution valant tentative punissable de renversement de l’ordre constitutionnel. Le « bavardage » actuel sur la révision ou le changement de la Constitution ignore ces deux aspects de la question. Le présent article voudrait les souligner particulièrement.
I. Refus systématique de donner plein effet à la Constitution ou violation délibérée de la Constitution
Le refus systématique de donner plein effet à la Constitution s’observe à l’égard des règles constitutionnelles les plus importantes caractérisant le nouveau système juridique. Quelques exemples suffisent à le montrer.
1. Quelques cas d’illustrations
Au niveau des droits de la personne - qui constitue l’élément dominant du nouvel ordre public assurant désormais la primauté de la personne humaine, contrairement à l’ordre ancien bâti sur la primauté de l’Etat - la Constitution proclame le caractère sacré de la personne et le caractère intangible du droit à la vie auquel, en aucun cas, il ne peut être dérogé. Ce qui rend conséquemment inconstitutionnelle la peine de mort que nos juridictions continuent à appliquer avec la bénédiction de la Cour suprême de justice agissant comme Cour de cassation et comme Cour constitutionnelle. Par ailleurs, le gouvernement se bloque dans le processus de la révision obligatoire du code pénal parce qu’il se convainc, à tort ou à raison, qu’il ne saurait assumer l’option abolitionniste face à l’opinion de sa base populaire. Chacun se renvoie la balle et en appelle à l’arbitrage du Chef de l’Etat qui pourtant avait en son temps déclaré attendre la décision du parlement à laquelle il se conformerait.
Au niveau du pouvoir judiciaire, alors que le Constituant originel avait fait le choix de la radicalisation de l’indépendance de ce dernier en étendant le bénéfice jusqu’aux parquets, l’amendement apporté à l’article 149 confère désormais cette importante vertu aux seuls cours et tribunaux. Le Constituant dérivé de 2011 a en effet estimé qu’il fallait remettre en harmonie l’article 149 avec les articles 150 et 151 qui proclament l’indépendance du seul magistrat du siège dans sa mission de dire le droit ainsi que dans son inamovibilité. En réalité, la logique de l’ancienne formulation de cette disposition constitutionnelle entendait tirer conséquence de la nature hybride de l’officier du ministère public en le faisant participer pleinement à l’expression de l’indépendance du pouvoir judiciaire lorsqu’il agissait en qualité de magistrat. Ceci devait amener un réaménagement législatif des rapports entre le parquet et le pouvoir exécutif; mais c’eût été pour le gouvernement accepter de prendre le risque de perdre le contrôle du parquet, maillon essentiel de son influence ou de ses interférences sur te pouvoir judiciaire. De sorte que l’on peut se demander si cet amendement-là n’a pas été le premier essai réussi du contournement du « fameux » article 220 qui continue à affirmer que l’indépendance du pouvoir judiciaire ne peut faire l’objet d’aucune révision, et donc un cas patent de haute trahison par violation intentionnelle de la Constitution, infraction prévue par l’article 165 de la Constitution.
On peut encore évoquer, au niveau du pouvoir judiciaire le refus des juridictions militaires de laisser les justiciables qui ne sont pas membres des Forces armées ou de la Police nationale hors de portée de leur compétence personnelle, sauf naturellement en cas de suspension législative de l’action répressive des Cours et Tribunaux de droit commun conformément aux articles 85, 143, 144 et 156. Le même refus d’application est opposé à l’article 153 qui confère à la Cour de cassation compétence de connaître des pourvois en cassation formés contre les arrêts et jugements rendus en dernier ressort par les Cours et Tribunaux civils et militaires. Et, on est étonné du silence et de l’inaction de la Cour suprême de justice devant ces résistances constitutives de violations flagrantes de la Constitution.
Il s’agit d’un silence complice qui laisse petit-à-petit une épaisse couche d’antivaleurs plomber la Constitution pour la rendre délibérément ineffective. C’est ainsi que l’option constitutionnelle de la décentralisation a été très vite grugée par une vision tribaliste, ethniciste voire claniste du découpage territorial, bloquant en fin de compte l’idée d’une démocratie à la base, chère au constituant de 2006 et apportant la preuve que, en tant que nation, nous ne sommes pas encore préparés à émerger de la société tribale et de nos allégeances tribales pour accéder à une société plus ouverte. Et, ce n’est pas la loi de programmation des modalités d’installation de nouvelles provinces, loi introduite par la révision de 2011 (article 226) qui va régler ce dérapage. De même, la volonté constitutionnelle de la lutte contre l’impunité est loin de se faire réellement porter par une volonté gouvernementale, législative et judiciaire non équivoque en matière notamment de la répression de la corruption ou des violations graves du droit international humanitaire (génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre, crimes d’agression). Bien plus, chaque citoyen, chaque particulier en vient à se construire un statut d’ « intouchable » avec des moyens du bord à sa portée (trafic d’influence, corruption, tromperies, fraudes, etc.) pour assurer son « impunissabilité » ou se prémunir contre les agressions arbitraires des agents de l’Etat.
2. La Constitution n’a jamais vraiment été appliquée
Au fond, tout au long de ses huit années d’existence, la Constitution n’a jamais vraiment été appliquée dans sa lettre et moins encore dans son esprit et donc a rarement été respectée. En octobre 2006, sept mois après la promulgation de la nouvelle Constitution, nous en avions, la professeure SITA et moi-même, planifié dans une étude parue aux éditions du Ce- pas la mise en œuvre en listant les lois indispensables à son application. Le constat aujourd’hui est incontestablement l’isolement de la Constitution dans un océan de normes préexistantes ou nouvelles qui ne concourent nullement à la construction du nouvel ordre socio-politique et juridique voulu par le Constituant. On se trouve ainsi face à des violations permanentes, structurelles ou substantielles de la Constitution dont il n’est pas possible, vu le statut hiérarchique de cette dernière, de dire qu’elles sont négligeables, mineures ou majeures Celle par exemple qui consiste à conférer au Chef de l’Etat la qualité d’«autorité morale » d’un parti politique et qui viole immanquablement l’article 96 de la Constitution, en son alinéa 2, rendant incompatible le mandat du Président de la République avec toute responsabilité au sein d’un parti politique, est-elle une violation mineure ou majeure?
Il serait intéressant de prendre au moins les avis de la nouvelle Cour constitutionnelle sur ces différents cas de violation de la Constitution qui sont de véritables cas de rébellion au regard de l’ordre constitutionnel. Il devrait en découler normalement des mises en garde et des recommandations de redressement de ces transgressions.
Finalement, tout ceci conduit à « faire planer » un « procès d’intention » au « tribunal de la déraison » contre la Constitution à laquelle on confère désormais une fonction exutoire de « bouc émissaire ». L’argumentaire principal de ce « procès » est naturellement politique, mais aussi économique.
L’argument politique conduit à un rétrécissement du concept de bien public, bien commun ou intérêt général, désormais « chargé de presque n’importe quel contenu suggéré par les intérêts du groupe dirigeant » ou, pour paraphraser François MITTERAND, dicté par « la toute puissance d’un clan appuyé par des lois électorales suspectes » : la plupart des amendements réalisés par la révision du 20 janvier 2011 correspondent à ce modèle, soit qu’il s’agisse pour un parlementaire de retrouver son mandat après l’exercice d’une fonction politique incompatible (article 110), soit qu’il s’agisse de renforcer les pouvoirs du Président de la République (articles 197, 198, 218) ou d’organiser l’élection du Président de la République à la majorité simple des suffrages exprimés (article 71).
Il n’est peut-être pas superfétatoire de se demander si d’une certaine façon cette révision n’affecte pas immanquablement l’article 220 de la Constitution, dans la mesure où elle frustre les citoyens de la possibilité qui leur était jadis donnée d’exprimer éventuellement à deux reprises le vote de la personne à qui ils entendent conférer la charge de la magistrature suprême de l’Etat, « réduisant ainsi forcément les droits et libertés de la personne en violation de l’article 220 de la Constitution. Il est par ailleurs évident que toutes ces révisions modifient dangereusement les équilibres institutionnels négociés difficilement par la Constitution dans sa formulation originelle de 2006 et, mises les unes à côté des .autres, pourraient s’analyser comme participant à termes en des actes préparatoires à une tentative de renversement de l’ordre ou du régime constitutionnel qui constitue, selon le prescrit de l’article 64 alinéa 2 de la Constitution, « une infraction imprescriptible contre la nation et l’Etat ». Autrement dit, elle peut être poursuivie à tout moment, sans limitation dans le temps.
En définitive, les règles du jeu socio-politique restent, à peu de choses près, inchangées, dominées par les anachronismes autocratiques, sécuritaristes, patrimonialistes, liberticides, « justicides », ethnicistes, immoraux et donc suicidaires de la démocratie et de la République. Tout se passe comme si les valeurs constitutionnelles que nous nous sommes imposées en 2006 sont au-dessus de nos forces et, toute honte bue, nous en sommes réduits à chercher à tailler progressivement la Constitution à la mesure des antivaleurs que par ailleurs nous décrions depuis la Conférence nationale souveraine ; à élever à la vertu de normes constitutionnelles des pratiques rebelles au projet de société que le peuple souverain a légitimé par référendum. Pour nous en donner bonne conscience, nous nous convainquons de ce que cette constitution serait la propriété des belligérants qui, apparemment, auraient fumé à Sun City le calumet de la paix entre eux au détriment du peuple souverain. Nous oublions allégrement que ce sont des congolaises et des congolais, adultes responsables, jeunes et vieux, qui ont adopté par référendum cette constitution.
La tâche serait au-dessus de nos forces c’est aussi ce que suggère l’argument économique avancé pour justifier notamment le changement de certaines modalités du scrutin et du système électoral. Autrement dit, nous déclinons notre capacité d’assumer une démocratie à la hauteur de nos ambitions aussi entendons-nous nous contenter d’une démocratie « au taux du jour », celui-ci étant apprécié au rythme des cycles électoraux
En tout état de cause, il est clair qu’il existe dans notre pays une solide permanence de tradition monarchique léopoldienne que Joseph KASAVUBU a, le premier tenté d’incarner et qui l’a amené à se défaire de son premier ministre Patrice-Emery LUMUMBA. Ensuite, Joseph-Désiré MOBUTU l’a mise en œuvre dans une rude autocratie trentenaire que Laurent-Désiré KABILA a récupérée à son compte et qui vaudra à ce dernier une fronde sanglante en 1998. Son successeur, Joseph KABILA, passera le plus clair de son règne à gérer les suites et les conséquences de cette fronde sans néanmoins pouvoir s’affranchir de cette tradition monarchique léopoldienne dans laquelle lumumbistes et néo-lumumbistes, mobutistes et néomobutistes, kabilistes et néo-kabilistes semblent se reconnaître et qui les amènent à cultiver un rapport singulier à la Constitution, aux lois de la République, à la gouvernance et à l’Etat de droit... Rapport singulier de mépris de la norme établie justifiant un régime de « coup d’Etat permanent » contre l’ordre constitutionnel.
Il.- Régime de « coup d’Etat permanent » contre l’ordre constitutionnel
Ce régime procède par accaparement progressif du pouvoir, en déforçant petit-à-petit la Constitution dans le cadre de règles d’apparence démocratique, pour instaurer un pouvoir autocratique durable au nom d’une certaine idée de l’intérêt général, de la grandeur de la nation, de sa sécurité et de son développement. Parmi les orfèvres les plus talentueux de ce modèle « démocratique », l’histoire universelle évoque notamment le nom d’Adolf HITLER qui, devenu démocratiquement chancelier en 1933, établira par 3 suite et par étapes successives une dictature personnelle t totalitaire qui fera de lui « la loi » et l’amènera en 1938 à préparer et à exécuter avec minutie son plan d’élargissement de l’« espace vital » allemand avec les conséquences que l’on sait.
Dénonçant le régime de Charles de GAULLE comme un « coup d’Etat permanent », François MITTERAND caractérise ce modèle politique comme une dictature « parce que, tout compte fait, c’est à cela qu’il ressemble le plus, parce que c’est vers un renforcement continu du pouvoir personnel qu’inéluctablement, il tend, parce qu’il ne dépend plus de [son chef] de changer de cap. Je veux bien, précise-t-il, que cette dictature s’instaure en dépit de Gaulle. Je veux bien, par complaisance, appeler ce dictateur d’un nom plus-aimable consul, podestat, roi sans couronne, sans chrême et sans ancêtres. Alors, elle m’apparaît plus redoutable encore. Peut-être, en effet, de Gaulle se croit-il assez fort pour échapper au processus qu’il a de son propre mouvement engagé. Peut-être pense-t-il qu’il n’y aura pas de dictature sans dictateur, puisqu’il se refuse à remplir cet office. Cette conception romantique d’une société politique à la merci de l’humeur d’un seul homme n’étonnera que ceux qui oublient que de Gaulle appartient plus au XIXe siècle qu’au XXe, qu’il s’inspire davantage des prestiges du passé que des promesses de l’avenir. Ses hymnes à la jeunesse, ses élégies planificatrices, ont le relent ranci des compliments de circonstance. Sa diplomatie se délecte à recomposer l’Europe de Westphalie. Ses audaces sociales ne vont pas au-delà de l’Essai sur l’extinction du paupérisme. Au rebours de ses homélies “sur le progrès”, les hiérarchies traditionnelles, à commencer par celle de l’argent, jouissent sous son règne d’aises que la marche accélérée du siècle leur interdisait normalement d’escompter. » Plus loin, MITTERAND poursuit : « Il y a en France des ministres. On murmure même qu’il y a encore un Premier Ministre. Mais il n’y a plus de gouvernement. Seul le président de la République ordonne et décide. Certes les ministres sont appelés rituellement à lui fournir assistance et conseils. Mais comme les chérubins de l’Ancien Testament, ils n’occupent qu’un rang modeste dans la hiérarchie des serviteurs élus et ne remplissent leur auguste office qu’après avoir attendu qu’on les sonne. » Il insiste aussi sur « tes abus en matière de justice et de police, le gaullisme devenant « de Gaulle plus la police ». Il dénonce par exemple l’utilisation de provocateurs, la multiplication des bavures et brutalités policières, les officines en tous genres (comme le SAC et les réseaux Foccart), les tribunaux d’exception (Haut Tribunal militaire, remplacé par une Cour militaire de justice puis par la Cour de sûreté de l’État, cette dernière ayant été supprimée dès l’été 1981 par la gauche), le mépris du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État, ou encore le recours abusif au délit d’offense au chef de l’État.
L’Afrique est un continent prolixe dans la production de régime politique s’abreuvant dans le « coup d’Etat permanent ». Mais MOBUTU SESE SEKO est sans doute l’un de ses meilleurs praticiens. Maître Jean-Claude KATENDE, avocat au barreau de Lubumbashi et Président national de l’ASADHO (Association Africaine de Défense des Droits de l’Homme) en fait une description saisissante :
« Les querelles entre les leaders politiques et les troubles sociaux politiques qui avaient caractérisé le Congo après son accession à l’indépendance, en 1960, avaient conduit le Général MOBUTU à prendre le pouvoir en 1965 au motif qu’il voulait mettre de l’ordre dans le pays. De 1967 à 1990, la stratégie choisie par le Général MOBUTU, devenu Maréchal, était de réviser petit-à- petit et régulièrement la constitution (1967, 1970, 1974...) pour confisquer le pouvoir, en supprimant toute possibilité pour les autres acteurs politiques d’y accéder pendant plus de 30 ans ». Il pouvait par ailleurs compter, précise KATENDE, sur l’hypocrisie de ses proches et l’appui des courtisans de tout bord, parmi lesquels il y avait des professeurs d’universités, des personnalités politiques de renom... lis ont fabriqué toutes sortes de slogans pour encourager le Maréchal Président à garder le pouvoir pendant longtemps. De slogans tels que « Président MOBUTU, totombeli yo 100 ans » ont été entendus. Mais quand l’AFDL est arrivée et que le Président MOBUTU a été chassé du pouvoir, les mêmes courtisans l’avaient abandonné et s’étaient rapidement reconvertis aux nouveaux maîtres de la R.D.Congo pour lesquels ils ont recommencé à chanter. De tels individus, qu’ils soient professeurs d’universités, politiciens, acteurs de la société civile, pasteurs ou prêtres sont un grand danger pour notre jeune et fragile démocratie ».
Pour KATENDE, « il ne fait aucun doute que le Président Joseph KABILA procède aussi de la même façon. Par la révision constitutionnelle progressive, il veut mettre fin au régime démocratique voulu par le peuple congolais en 2005. En 2011, il fait réviser 8 articles de la Constitution dont les articles 71, 197, 197 et 218. II fait supprimer le deuxième tour de l’élection présidentielle, ce qui augmente ses chances de se maintenir à la tête du pays (article 71) en lieu et place d’une compétition plus ouverte voulue par le peuple. Il se fait octroyer le pouvoir de dissoudre les Assemblées Provinciales, de révoquer les Gouverneurs de province (articles 197 et 198) et de convoquer le referendum (article 218). En prévision de l’élection présidentielle de 2016, les ténors de la Majorité présidentielle (Messieurs Aubin MINAKU et Evariste BOSHAB) annoncent une autre révision constitutionnelle, par referendum, pour faire sauter l’article 220 de la Constitution qui fixe la durée et le nombre de mandats du président de la République. Que vont-ils proposer? On ne le sait pas encore. Mais il ne fait aucun doute qu’ils vont donner la possibilité au Président Joseph KABILA de se représenter afin de rester encore à la tête du pays ».
« Au regard de ce qui précède, conclut-il, et si le peuple ne fait pas attention, le Président Joseph KABILA nous ramènerait à un scénario que nous avons déjà vécu avec le Président MOBUTU : l’installation d’un seul homme au pouvoir pour de très longues années, un régime que nous avions décrié sous le Président MOBUTU, un régime qui n’a été profitable qu’à lui-même, à sa famille et certains de ses courtisans. Faisons attention, car sous nos yeux, l’histoire risque de se répéter encore. »
La mise en perspective historique que nous présente Maître KATENDE du débat sur la révision constitutionnelle profile nettement le processus criminel de tentative de renversement du régime constitutionnel et emporte, à nos yeux, deux conséquences majeures. La première est qu’elle cristallise cette dernière infraction dans tous ses éléments constitutifs et ouvre ainsi, à tout moment, la voie à des poursuites pénales du chef de cette qualification qui, faut-il le rappeler encore une fois, est imprescriptible. La deuxième conséquence est que, de la même manière que les lois référendaires ou constitutionnelles prises en violation de la Constitution sont susceptibles de requête en annulation pour inconstitutionnalité, les révisions opérées en 2011 dans les conditions qui énervent la Constitution ne sont pas à l’abri de la même sanction. Encore faut-il qu’une requête en ce sens soit formée par toute partie intéressée devant la Cour constitutionnelle. Ce serait un test pour apprécier l’impartialité et la hauteur intellectuelle des membres de cette haute juridiction et leur indépendance vis-à-vis de l’exécutif et du législatif.
Conclusion
Quatre points en guise de conclusion.
1. Il est clair que ces développements ne nous empêchent pas aujourd’hui de convoquer à nouveau le peuple en consultation référendaire pour quelques nouveaux amendements dont la validité, la pertinence et l’opportunité ne sont pas toujours nettement justifiées. Mais le peuple qu’on entend appeler ainsi en consultation référendaire pour éventuellement l’amener à se dédire ou à « défaire ce qu’il a fait » il y a moins de dix ans, est- il réellement acquis à l’idée de ces nouveaux amendements, voire de changement pur et simple de la Constitution ? « Pour que le « oui » du peuple puisse devenir une condition de l’entrée en vigueur d’une nouvelle norme fondamentale, il faut donner à ce peuple une occasion de dire « non », relève notamment Andreas AUER, professeur de droit public à l’Université de Zurich. Quel crédit les hommes politiques peuvent- ils engranger dans cette opération alors même qu’ils se sont battus, il n’y a pas si longtemps, pour arracher l’adhésion du peuple au projet constitutionnel de 2006 qu’ils n’arrivent pas aujourd’hui à appliquer !
La question qu’il convient alors de se poser est de savoir si nous devons purement et simplement prendre acte de notre incapacité foncière à construire la nouvelle société congolaise ou encore si nous avons pris l’option de nous situer dans ce que le Constituant appelle « violation intentionnelle de la Constitution » et qu’il qualifie de « haute trahison »? Dans tous ces cas, sommes-nous prêts à en assumer les conséquences ? Politiques Pénales, éventuellement?
S’il ne s’agissait que de cette trahison là, on pourrait encore s’en remettre à la Constitution elle-même qui détermine les voies et moyens de sa résolution politique et de sa répression pénale. Mais il s’agit bien davantage de ce que Ka MANA appelle « les mécanismes de la trahison culturelle», ou encore ce que le Père Ekwa appelait « la mentalité sorcière », c’est-à- dire un « esprit collectif de destruction ..., de rupture concrète entre, d’une part les valeurs nourricières traditionnelles idéalisées par les [Congolais et les Congolaises] quand ils partent de leur identité originelle et séculaire, et d’autre part les pratiques sociales qu’ils vivent au jour le jour, réalités qui manifestent leur être aujourd’hui comme un être profondément en crise, soumis à l’anomie et dénué de repères solides face aux défis gigantesques que la culture, l’économie, la politique et les réalités mondiales actuelles placent devant [le Congo] et son avenir ». « En clair la culture [congolaise] concrètement vécue apparaît comme le lieu de la trahison des valeurs [congolaises] par [les Congolais et les Congolaises], tels qu’ils affrontent leur destin dans l’ordre mondial contemporain. Un fossé entre [le Congo] et lui-même, entre ce qu’il affirme comme son identité historique et ce qu’il manifeste de cette identité face aux questions de fond auxquelles il doit faire face dans les multiples crises du monde ».
M’zee Laurent-Désiré KABILA avait sans doute à l’esprit cette « traître » composante de notre personnalité nationale quand 1 faisait cette ultime recommandation à ses compatriotes
« ne jamais trahir le Congo », que de nombreux panneaux publicitaires à travers la capitale rappellent opportunément ces temps-ci à notre souvenir. Bien plus insidieuse que la trahison qui consiste à « passer à l’ennemi » ou à « entretenir des intelligences coupables avec l’ennemi », la trahison culturelle ou identitaire est un acte de parjure et de félonie qui produit deux résultats. D’une part, elle mène au reniement des valeurs fondatrices de son pays, des valeurs régulatrices de la vie sociale de son pays, des valeurs donatrices de sens à la société vécue comme communauté de destin. D’autre part, elle conduit à la fragilisation et à la précarisation des équilibres essentiels ou fondamentaux de la société, équilibres qu’il ne faut pas considérer « comme des réalités concrètement assumées, mais comme des idéaux et des utopies pour dire ce que la société juge essentiel et projette comme son être dans son accomplissement plénier ».
Enfin, prenons garde de ne pas qualifier, notre Constitution d’ handicapante alors que les textes de sa mise en œuvre n’ont pas encore été tous mis en place ; alors que le modèle de société que le peuple s’est choisi en 2006, celui-ci n’aura même pas eu l’opportunité de l’expérimenter et d’en goûter qu’on lui demande déjà de changer!
2. J’interpelle ainsi les républicains et les démocrates authentiques de ce pays, quelques soient leurs horizons professionnels, académiciens, politiciens, entrepreneurs privés, fonctionnaires, ouvriers, etc., sur la nécessité de s’interroger et de prendre conscience des valeurs de gouvernance instituées par la Constitution de 2006, surtout en ce moment où ces valeurs se trouvent balloter dans une multitude de discours d’où il ressort que, face au péril suprême que représenterait l’alternance au pouvoir, tous les moyens sont bons, à commencer par l’usage de la ruse et de la manipulation cynique de la science juridique qui nous conduiraient inexorablement et sûrement vers la modification des modalités de la dévolution de la souveraineté et de la typologie du pacte qui en découle. Il n’est déjà plus possible aujourd’hui de dire si le régime constitutionnel de la 3ème république est le parlementarisme ou le présidentialisme et donc si, dans les faits, nous ne sommes pas déjà un pied dans la 4ème république!
J’en appelle à la conscience des juristes et des constitutionnalistes qui ont le sens de devoir de faire honneur à leur science et à leur société et les conjure d’unir leurs intelligences pour préparer et former un pourvoi en inconstitutionnalité des révisions constitutionnelles de 2011 et de celles projetées actuellement, sur la base des éléments développés dans’ le présent article. Sous d’autres cieux, des universitaires, intellectuels, artistes, hommes et femmes du monde de la culture - artistes, musiciens, écrivains, etc. - et du monde des medias initieraient et cosigneraient une lettre collective aux Parlementaires les adjurant de protéger la Constitution, notre Pacte social et politique commun, contre les velléités de dérives autocratiques. Pourquoi les universitaires et intellectuels congolais n’auraient ce même réflexe de responsabilité s’appuyant sur ce qui est un droit et un devoir sacrés de notre citoyenneté, de notre dignité et de notre liberté eux qui devraient savoir mieux que quiconque que l’inertie des peuples est la forteresse de la tyrannie.
3. « Réviser la Constitution » oui, peut être respectable, s’il est question de corriger un ordre en vue de garantir que les principes sur lesquels il repose seront appliqués de façon cohérente et constante, et à condition qu’au plan scientifique - c’est le seul angle de vue que la compétence dont je me prévaut me permet -: - les règles opèrent véritablement comme valeurs suprêmes parce qu’elles servent des fins privées inconnues, c’est-à-dire en définitive le bien commun ou la prospérité générale et non des fins privées connues;
- toute critique ou amélioration valable de règles de conduite se situe à l’intérieur d’un système donné de telles règles et qu’elle ne découle pas d’une sorte de nébuleuse politique qui dissimule la réalité de son jeu et, en fin de compte, brouille sa rationalité intrinsèque;
- l’on comprenne que, pour remplir leurs fonctions et pouvoir faire l’objet d’une évaluation valide en vue d’une éventuelle révision, les règles mettant le peuple d’accord sur des objectifs concrets communs doivent être appliquées assidument et sur la longue durée;
- l’on accepte enfin que l’Etat de droit se construit autour d’un tronc solide de normes hiérarchisées au sommet desquelles se place la Constitution à laquelle toutes les autres normes inférieures doivent obéir et à laquelle doit se plier tout citoyen, sous le regard attentif d’une justice impartiale et équitable.
Il restera de garantir la loyauté, la sincérité, la vérité et la transparence des urnes, pour se mettre à l’abri du soupçon d’accaparement de la souveraineté nationale qui appartient au peuple, de qui émane tout pouvoir de l’Etat ; ce qui, en définitive, en fait véritablement le « gardien constitué » de la Constitution. Il reste à voir si l’on aura, à la manière de Charles de GAULLE, la volonté de jouer le jeu de la souveraineté, de la volonté du peuple et du respect dû au souverain primaire jusqu’au bout, en rendant à ce dernier son tablier en cas de revers de fortune ! On sait cependant que la culture de la démission n’est malheureusement pas inscrite dans nos mœurs politiques.
4. Pour finir, retenons que conduire la révision au mépris de ces garde-fous substantiels ne peut être qualifié de respectable au regard de la Constitution. Plusieurs cas d’impostures sont en effet possibles. On peut respecter en apparence la procédure de révision prévue par la Constitution tout en la détournant pour des fins contraires aux valeurs ou principes structurants de cette dernière. On peut aussi faire prendre par le parlement des lois constitutionnelles de révision après avoir réuni les deux chambres sans aucun égard pour leur règlement intérieur. Francis DELPEREE, sénateur belge et professeur de droit constitutionnel à l’ULB rappelle ceci à propos du respect dû à la Constitution : « La Constitution parle d’elle-même. Elle établit son propre statut en déterminant de manière précise qui révise la constitution, ce qui peut être révisé et quelle est la procédure à observer de manière impérative. Personne, gouvernement ou gouverné, ne peut méconnaitre ce message ».
De sorte que, même en cas de recours au référendum comme mécanisme de révision constitutionnelle - qu’ii s’agisse de référendum « d’eh haut » c’est-à-dire celui déclenché par les pouvoirs publics ou de référendum « d ‘en bas » déclenché par une initiative populaire, les « tables de valeurs substantielles définies dans a norme fondamentale ». Ainsi même le peuple et ses représentants doivent respecter les prescriptions constitutionnelles en matière de révision.
Il faut donc bien comprendre qu’à partir du moment où le peuple, pouvoir constituant originel, a voté par référendum la Constitution, le même peuple, devenu pouvoir constitué, ne peut, sauf hypothèse de révolution ou de coup d’Etat, être appelé à modifier le même texte en violation de ses valeurs et principes structurants.
En d’autres termes, le peuple ne peut pas être utilisé comme un instrument de blanchiment des hérésies juridiques opérées en vue de modifier la Constitution. Le recours au référendum très souvent « pipé d’avance » sert aux imposteurs pour « purger » une inconstitutionnalité ou pour « s’auto-légitimer Il peut ainsi astucieusement servir une fraude au non d’une pseudo-souveraineté populaire, une souveraineté galvaudée, vidée de sons sens, pour contourner des normes en vigueur ; servir de manœuvre malveillante contre le principe de la primauté du droit. Voilà pourquoi, il est institué aujourd’hui des mécanismes de contrôle juridictionnel du référendum ; contrôle exercé sur les objets relatifs à la méthode de questionnement tels que la clarté, l’homogénéité et l‘univocité de la question (Canada, Suisse, Etats-Unis, Italie) ; ou la conformité de l‘expression référendaire aux normes hiérarchiquement supérieures issues du droit européen (Irlande, France) du droit international (Suisse) ou du droit constitutionnel (Italie, Portugal, Etats-Unis, France). Il y a même des pays où le référendum est interdit (Belgique) ; et si le Parlement veut réviser des dispositions constitutionnelles, il doit préalablement s’auto-dissoudre. Notons enfin que des pays comme l’Allemagne, l’Italie, le Portugal, qui ont fait l’expérience du totalitarisme (nazisme, fascisme, etc.) ont institué des dispositions immuables, intangibles et il y est possible d’invalider des lois constitutionnelles même référendaires. Il y est donc institué l’obligation de conformité de l‘expression référendaire à des normes qui ne peuvent pas être modifiées par le peuple;
Retenons donc que les lois référendaires et les lois de révision constitutionnelles votées en violation de la Constitution restent susceptibles de pourvoi en inconstitutionnalité. Les interventions du juge dans le processus référendaire participent au phénomène de rationalisation normative dans la mesure où elles limitent la portée du référendum en conditionnant l’expression référendaire au respect des normes hiérarchiquement supérieures. Il s’agit d’éviter les risques évidents d instrumentalisation du peuple et traquer tout ce qui peut ressembler à des dérives plébiscitaires.
Bien de Cours constitutionnelles africaines, telles celle du Bénin, d’Afrique du Sud, du Mali, du Niger, notamment, se sont donné le pouvoir d’apprécier la constitutionnalité de ces lois référendaires ou de révision. Notre jeune Cour constitutionnelle saura-t-elle faire montre d’autant d’audace, si nécessaire à la construction de la démocratie; de l’Etat de droit et de l’autorité de la justice; et si indispensable à la promotion d’une pédagogie de respect de la norme constitutionnelle ? Comprendra-t-elle qu’aujourd’hui nous sommes passés d’une démocratie fondée sur une pseudo-volonté référendaire du peuple à une démocratie axée sur la primauté de certains droits et valeurs préétablis et qualifies de fondamentaux ? Se donnera-t-elle les moyens de s’assurer, au-delà des apparences de forme ou de procédure, de l’authenticité de l’expression référendaire ? Les temps prochains nous fixeront.
Pierre AKELE ADAU
Professeur ordinaire et Doyen honoraire de la Faculté de Droit de l’Université de Kinshasa
Professeur invité à la Faculté de Droit de La Sorbonne, Paris 1
Chef du Département de Droit pénal & Criminologie