Bruxelles, le 2 février 2012
Fort de son travail d’observation électorale des scrutins présidentiel et législatif du 28
novembre en coopération avec les organisations de la société civile congolaise d’AETA
(dont nous soutenons la prise de position énoncée dans le communiqué joint en annexe),
et dans la continuité des communiqués précédents des 28 novembre, 1er et 19 décembre,
le Réseau européen pour l’Afrique Centrale (EurAc) tient à exprimer son inquiétude par
rapport au déroulement du processus électoral. La crise politique ainsi engendrée
hypothèque la stabilité institutionnelle du pays, peut mener à la violence et donne des
arguments à ceux qui cherchent le désordre.
Le fait que dans certaines provinces et certains bureaux de vote les opérations
électorales se sont déroulées dans le calme et dans le respect de la volonté de la
population congolaise qui a voté avec enthousiasme ne suffit pas à atténuer la perception
générale d’un processus qui est loin d’inspirer beaucoup de confiance.
Il résulte des élections congolaises un Président faible qui souffre d’une grave crise de
légitimité et qui, dans la situation actuelle, n’est pas à même de répondre aux défis
majeurs auquel fait face la RDC tant en terme de maintien de l’ordre et de la sécurité
qu’en terme de développement.
EurAc a accueilli avec une grande satisfaction la nomination de l’Ambassadeur Koen
Vervaeke comme coordinateur pour la région des Grands Lacs au sein du Service Action
Extérieure de l’UE. Nous sommes confiants que son expérience importante dans la
région et ses qualités et qualifications lui permettront de diriger l’action européenne dans
la région des Grands Lacs dans les meilleures conditions. EurAc espère qu’en tant que
responsable d’une région n’ayant pas réussi à tourner définitivement la page du conflit,
l’Ambassadeur Vervaeke pourra faciliter l’harmonisation des différentes approches
européennes. Cela nous semble le seul gage d’une politique cohérente permettant un
développement positif dans des domaines tels que: la lutte contre l’impunité, la réforme
du secteur de sécurité, la lutte contre les violences sexuelles, la démocratisation et
l’exploitation illégale des ressources naturelles.
Compte tenu de la situation actuelle, l’Union Européenne et ses Etats membres devraient
adopter une position forte et cohérente, exprimée dans un cadre de solidarité
multilatérale. L’UE devrait contribuer à trouver une solution à l’impasse dans laquelle se
trouve la RDC pour éviter un épilogue qui plonge le pays dans une crise de violence et
d’instabilité avec des conséquences extrêmement néfastes pour la population.
L’Union Européenne devrait donc donner un signal fort pour:
Eviter que le pays retombe dans les divisions entre les communautés et dans la
violence envers la population;
Contribuer à renforcer le dialogue entre les acteurs politiques congolais tout en
favorisant l’implication de la société civile et encourager ces derniers à trouver
une solution concertée et réaliste à cette crise postélectorale;
Assurer que la voix de la majorité silencieuse de la population soit prise en
compte dans les concertations quelle qu’en soit la nature afin de rétablir la
confiance rompue entre les congolais et les institutions censées les représenter;
Peser afin que le processus électoral, qui n’est pas encore clôturé, soit conduit de
façon à évaluer et tirer des leçons du processus tel qu’il a été mené jusqu’à
présent. Il s’avère fondamental de s’assurer que la RDC remette sur pied une
Commission Electorale Nationale Indépendante crédible et légitime et adopte une
loi électorale qui puisse assurer le respect des fondements démocratiques et la
participation active de tous les acteurs politiques et sociaux dans la tenue des
élections provinciales et locales;
Peser afin que le cycle électoral aille à son terme avec la tenue d’élections
provinciales et locales et afin que soit mis en place un processus de
décentralisation effectif, seule garantie d’une participation effective des citoyens à
la vie politique du pays et d’une amélioration de la gouvernance démocratique;
S’engager dans le soutien à l’éducation civique, seule manière de réaliser
l’appropriation du processus de démocratisation par la population et de protéger
celle-ci des manipulations qui ont engendrés des violences lors des échéances
précédentes. C’est un enjeu d’autant plus important que le risque est grand
qu’une classe politico-militaire s’approprie le processus au détriment des principes
de démocratie et de justice, pour lesquels les acteurs de la société civile
congolaise se battent depuis longtemps ;
Prendre position vis-à-vis du processus électoral et des résultats du scrutin
présidentiel de manière forte, cohérente et concertée entre tous ses Etats
membres et profiter de la programmation du Fond Européen de Développement
(FED), prévue en 2012, pour définir une stratégie politique commune à la mesure
de l’importance de la RDC dans la région.
Elections 2012 : Nous avons échoué
(Claude BUSE Misambo - Dia - 02 Février 2012)
A quelque chose, malheur est bon ! Les élections qui viennent de se passer nous jettent
une vérité à la figure : nous avons échoué ! Tous ! Non pas un échec de chiffres, mais
nous n’avons pas pu bien faire les choses. Les élections ont été la célébration, à leur
paroxysme, de nos turpitudes, nos insuffisances, nos pratiques de corruption, etc. Tous
ces éléments auxquels nous nous sommes accommodés comme acteurs, auteurs et/ou
victimes. Attendant toujours que ce soit notre tour d’être vainqueurs.Les élections qui
viennent de se passer me rappellent la délibération aux sessions d’examen dans nos
universités, bien illustrés par l’Université de Kinshasa, la mère de toutes. Avec des points sexuellement transmissibles, du favoritisme pour enfants de professeurs, du tribalisme et
du clientélisme… 10 ans après Mobutu, on n'a jamais pu harmoniser, par exemple, le
calendrier académique dans différents départements, facultés d'une seule et même
université... Nous pensons toujours que la corruption, la tricherie, n’arrivent ou ne sont
que le fait destinés aux autres… Jusqu’à ce que cela nous arrive à nous !
Nous avons créé une société de profitage, de bénéficiaires bénévoles, une société de
mensonge, de chance éloko pamba, etc.
Les députés du Parlement – Pprd-Mlc – pensaient se partager le gâteau, préparer un
renouvellement de mandat… Ils ont levé le principe d’un Bureau de la CENI à vocation
politique. Et ils n’ont pas confié l’organisation des élections à la société civile comme on
l’aurait voulu… Mal leur en prit avec l’arrivée de l’Udps…
La CENI est la conséquence de ce Parlement de profiteurs qui se sont partagé les moyens
de l'Etat, les postes, les primes... La CENI, une bâtarde prématurée ou précipitée, née en
retard, tout son travail ne sera qu’à peu près, la classe politique se contentera par
consensus de passer l’éponge sur tous les dysfonctionnements et les imperfections de
date, de matériel, etc. Jusqu’à ce que le jour J on se rende compte que tout était dans
l’imperfection : repérage, listes, principe d’action…. Puis la grande déflagration, avec en
arrière-fond l’appel du leader maximo à ne rien respecter : si on considère déjà comme
légitime le droit de corriger un homme en uniforme et en arme même dans le camp et
devant femme et enfants… que peut-on faire devant des civils? Tout a été foutu en l’air !
Malheureusement, jusqu’à ce jour il n’y a aucun mea culpa. Tout le monde pense bien
faire. Tout le monde pense avoir bien agi. Même le pasteur président de la CENI ne
pense pas pouvoir demander pardon ne fut-ce qu’à cause de « ses » collaborateurs dont
les fautes leur ont valu l’emprisonnement pour défaillance. Le pasteur président ne pense
pas que le manque de professionnalisme qui a caractérisé le scrutin mérite des excuses.
Des excuses à toutes ces personnes arrivées de très bonne heure et qui ont dû, sous la
pluie, déambuler de Bureau en Bureau pour chercher leurs noms introuvables sur des
listes avant de se faire permettre d’élire, deux heures plus tard, et qui entendent qu’il y a
tripatouillage !
Et la série continue : tricherie, accusation sans preuve, tripatouillage. Pendant ce temps,
les uns, sur la Rtnc, profèrent injures, propos délictueux, mensonges, imputations
dommageables, menaces, traînant dans la boue tout celui qui n’entre pas dans leur cadre
idéologique (si seulement on peut parler ainsi)… Ailleurs on pense à la violence aveugle,
sans objectifs précis, sans cibles précises… Si la frustration est réelle, la solution ne
semble pas toujours recouvrer sa pertinence par rapport à ce qui devait être pensé
comme efficacité… Là encore nous continuons à traîner, mieux, à entretenir notre échec !
Au Congo, Kabila écrase l'opposition sur fond de tueries post-électorales
(MEHDI MEDDEB - Mediapart - 02 février 2012)
Kinshasa, de notre envoyé spécial
Dimanche 21 janvier, l'opposant Etienne Tshisekedi tente de sortir de chez lui pour
rendre visite à sa famille. En vain. Un cordon de policiers congolais l’en empêche. « Nous
sommes maintenant entourés par une dizaine de barrages qui interdisent toute entrée
vers la résidence du président de l’UDPS, explique le secrétaire général de l'Union pour la
démocratie et le progrès social. Notre président, Etienne Tshisekedi est clairement en
résidence surveillée. » Jacquemain Shabani craint maintenant le pire pour son chef.
Persuadé d’avoir été spolié lors de l’élection présidentielle couplée aux élections
législatives du 28 novembre 2011, Etienne Tshisekedi s’est autoproclamé président élu,
dénonçant des « fraudes et tricheries, un véritable hold-up électoral ». Ce jeudi 2 février,
la commission électorale a annoncé les résultats quasi-définitifs des élections législatives.
Le parti de Joseph Kabila et ses formations alliées ont obtenu la majorité absolue avec
environ 260 sièges sur les 500 de l'Assemblée nationale, et l'opposition autour de 110.
Ces législatives sont considérées comme «nulles» par Tshisekedi.
Isolé dans sa résidence, « le Sphinx de Limété » tente depuis « de bousculer le
pouvoir », et le président en titre, Joseph Kabila. Incapable de mobiliser ses troupes,
harcelées et traquées par les forces de Kabila, Tshisekedi vient d’annoncer la formation
de son gouvernement, et qu’il procéderait par ordonnances. Extravagant.
« Ces annonces en tout cas déstabilisent le régime en place, explique le numéro deux de
l’UDPS. En représailles, la répression s’intensifie. » Une étape aurait été franchie avec
« des massacres en préparation » sans que Jacquemain Shabani en apporte la moindre
preuve.
La répression actuelle n’en verse pas moins dans le tribalisme. « Il est clair que parmi les
personnes enlevées, arrêtées, un certain nombre provient des rangs de l’UDPS ou du
Kasaï, région d’origine de Tshisekedi, indique Anneke Van Woudenberg, enquêtrice à
Human Rights Watch. Mais les Kassaïens sont loin d’être systématiquement pris pour
cible. »
Depuis l’annonce de la victoire de Joseph Kabila, sa garde rapprochée, la très redoutée
garde républicaine, opère dans la plus grande discrétion. « La GR, ce sont des escadrons
de la mort, raconte un militant qui préfère garder l’anonymat. Ils ciblent les quartiers où
des opposants sont minoritaires. Ils les prennent et on n'entend plus parler d’eux. »
En un mois et demi la répression a fait des dizaines de victimes, rien que dans la
capitale. Les enlèvements, les disparitions forcées, les arrestations arbitraires se
multiplient. Profitant de l’incertitude post-présidentielle, la « GR » n’hésite pas à semer le
terreur. « Il y a une chasse aux sorcières qui s’organise, affirme Dolly Ibefo Mbanga,
président de « la Voix des Sans-Voix ». « Les Congolais sont enlevés. Tous les jours, on
vient me voir pour me signaler une disparition à Kinshasa. »
Le président de « la Voix des Sans-Voix » cite au téléphone les noms des disparus, et
dénonce une impunité totale. « Combien d’arrestations sommaires, combien de
détentions illégales dans des camps militaires à Kinshasa ? Et je ne vous parle même pas
des exactions dans les autres provinces, dans le Katanga, au Kasaï oriental toujours en
état de siège, ou encore à Bukavu. » Interpellé sur ces exactions, le ministre congolais
de la justice a promis l’ouverture d’une enquête dont les conclusions sont connues
d’avance.
Car il va sans dire que les institutions du pays sont à la botte de Kabila, soucieux de
régler au plus vite ses comptes avec son principal opposant, après une réélection dont tout le monde ou presque a dénoncé les fraudes. Les observateurs sont unanimes. De la
mission de l’Union européenne à la Fondation Carter, jusqu’à la très influente Eglise
catholique congolaise, tous ont critiqué ce scrutin présidentiel.
La Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) a en dénoncé « des tricheries
avérées et vraisemblablement planifiées ». Habituellement très mesurée, la CENCO a
appelé la commission électorale (Céni) à rectifier les « graves erreurs » ou à
« démissionner ». Dans ce concert de condamnations, il y a une fausse note : les voisins
de la RDC et les chancelleries occidentales ont fait preuve d’un silence coupable.
« Jusqu’au jour du vote, aucun diplomate n’a officiellement et publiquement appelé au
report des élections qui allaient droit dans le mur, précise Jean-Claude Willame, alors que
rien n’était prêt. »
Rendre inaudible l’opposant « historique »
Les Nations unies savaient dix jours avant la présidentielle que c’était infaisable, et n’ont
rien fait. « Depuis, seules quelques chancelleries ont désapprouvé officiellement, réagit le
spécialiste belge de la RDC. Mais c’est hypocrite. » Dans un pays qui a connu deux
guerres ces vingt dernières années, et dont la stabilité est toute relative, les diplomates
ont laissé faire pour ne pas voir la région de nouveau s’embraser au risque de produire
l’inverse.
« La communauté internationale fait preuve de faiblesse, renchérit Anneke Van
Woudenberg. En privé, certains diplomates disent qu’ils désapprouvent les exactions,
mais en public, personne ne dit rien. Du coup, le clan Kabila se sent encore plus libre
d’étouffer tranquillement l’opposition. Empêcher Tshisekedi de s’exprimer dans la presse,
l’interdire de se déplacer est la tactique observée. L’arrêter en ferait un martyr. »
La stratégie du pouvoir s’attache à rendre inaudible l’opposant « historique » – l’homme
qui a toujours dit non à Kabila mais pas tout le temps à Mobutu. « Il est surtout le
président de son jardin », raille un Kinois. Car Etienne Tshisekedi se voit coupé de ses
relais médiatiques, et les atteintes à la liberté de la presse ont pris des proportions
inquiétantes. Isolé, quasi réduit au silence, Tshisekedi laisse pourtant perplexe.
« Les Congolais sont pris entre la peste et le choléra, d’après Jean-Claude Willame.
Tshisekedi est une personnalité polémique et qui divise. Il surestime son rôle de chef de
l’opposition. » C’est tout le drame de la RDC, coincée entre un dirigeant vorace et
revanchard, et un quasi-octogénaire charismatique, populiste, et dont les appels à la
mobilisation ne sont guère suivis. « Les Congolais ont peur de l’affrontement, notent
plusieurs observateurs. Ils savent qu’en face, ce sont des balles réelles qui les attendent
dans les rues. »
« Si le mécontentement est grand, observe le professeur émérite de l’université
catholique de Louvain, on est très loin encore d’un printemps congolais. » Dans un pays
classé bon dernier sur l’échelle du développement des Nations unies, la priorité numéro
un reste en effet la survie.
Face à l’impératif de se débrouiller au jour le jour, l’UDPS ne se démobilise pas pour
autant. Jeudi 26 janvier, le parti appelait ses « combattants » (surnom des militants) à
accompagner le « Vieux » jusqu’au Palais présidentiel. Nouvel échec. Les forces de
l’ordre l’ont empêché de sortir de son quartier. Et ses militants ont été dispersés, la
presse interdite d’accès. Kabila tient dans sa main l’opposant de 79 ans, réduit à des
gesticulations contre-productives faute de mieux. Il est loin le temps où des milliers de
supporters accueillaient leur héros de retour d’exil. « Avec les résultats des législatives
prévient Anneke Van Woudenberg, on redoute des conflits locaux. Cela a déjà commencé
dans le Nord-Kivu où certaines populations instrumentalisent leur défaite et désignent
une autre ethnie comme responsable. »
Dans les provinces de l’équateur ou dans l’est, les affrontements entre groupes armés et
les militaires congolais ont provoqué la mort de dizaines de personnes, les Nations unies
déplorant déjà le déplacement de 170.000 personnes ! Même si aucun diplomate n’ose
prononcer officiellement le mot « crise », le pays traverse bel et bien une crise électorale
dont l’escalade en tueries menace le pays. Interrogé par Mediapart, le Quai d’Orsay se
borne à condamner des « violences ». Très peu présente en RDC, la France fait un vœu pieux cachant piteusement une neutralité mal assumée. Au risque que la RDC se remette
à brûler