"Joseph Kabila"
Lors de la réunion tenue le 25 août dernier dans la ferme de Kingakati, «Joseph Kabila» - qui n’a jamais habitué ses «troupes» à la culture du débat - a été surpris par la liberté de ton adoptée par certains «manitous» de la "majorité présidentielle" (MP). Des hommes, à ses yeux, qui lui doivent leur ascension sociale. Le successeur de Mzee a réalisé la «solitude du pouvoir» face à de nombreux membres de la "MP" qui ne se tiennent plus au «garde à vous». La grande majorité de ceux-ci ont compris un peu tard que la population du Congo profond goûte très peu la volonté de l’actuel chef de l’Etat de faire réviser la Constitution rien que pour lui permettre de briguer un troisième mandat. Contre toute attente, le parti «Scode» (Solidarité congolaise pour la démocratie et le développement) de l’avocat Lushois Jean-Claude Muyambo Kyassa dit «Non !» à la révision de la Constitution. C’est la première voix hétérodoxe venue de la Province du Katanga. Selon des bonnes sources, d’autres personnalités "katangaises" pourraient faire de même. Et pas des moindres. «Ces personnalités se tâtent encore», entend-on dire. Question : «Joseph Kabila», proclamé «Muluba du Katanga à 100%» par le Grand Chef Kasongo Nyembo, en février 2006, serait-il en passe de perdre son «fief» du Katanga après les deux Kivu et le Maniema ? Selon des sources, le « raïs » aurait mis sur pied une sorte de «Légion étrangère» composée uniquement de «Rwandophones». Dirigée par le général Gabriel Amisi Kumba, cette « force spéciale » serait basée entre l’aéroport de Ndjili et la ferme de Kingakati. Un contingent serait déjà présent à Kasapa à Lubumbashi. Demain l’apocalypse ?
« Atuone kitu kwetu »
Une anecdote. Mi-août dernier, le ministre de l’Intérieur, le PPRD Richard Muyej s’est rendu à Manono et Ankoro. Cette dernière localité est le lieu de naissance de feu LD Kabila. Objectif : mettre fin au conflit qui oppose des membres de la communauté pygmée aux bantous. Selon des témoins, Muyej a été hué à plusieurs reprises au cours d’un «rassemblement populaire». D’abord à Ankoro lorsqu’il a transmis aux habitants les «salutations» de «Joseph Kabila»: «Chef anatutuma tumilamukiye» (le chef de l’Etat nous a demandé de vous transmettre ses salutations). Réponse en chœur : «Tunakatala !» (On refuse !). A Manono, Muyej a vécu la même déconvenue : «Batoto ya Manono jambo yenu ! Habari ?» (Les enfants de Manono, je vous salue. Comment allez-vous?) Réponse : «Mubaya» (mal !). La foule d’ajouter bruyamment : «Atuone kitu kwetu ». (Nous n’avons vu aucune réalisation chez nous). Cette histoire apparemment anodine est révélatrice du grand désamour dont souffre «Joseph Kabila» dans son "fief". Lors de sa visite fin novembre 2013 dans les deux Kivu, l’homme a eu à affronter un accueil glacial. A Goma, il avait répondu à ceux qui lui posaient des questions sur les "Cinq chantiers" que tous les projets de reconstruction ont été «suspendus à cause de la guerre».
«Joseph Kabila » l’homme (presque) seul
La symbolique est forte. L’annonce faite samedi 30 août par la Scode - un parti de la majorité - prend le relief d’un coup de tonnerre. Sans recourir à des périphrases, le parti «Solidarité congolaise pour la démocratie et le développement» de Jean-Claude Muyambo Kyassa a dit son opposition à toute révision de la Constitution «avant les élections». En prenant cette position, Muyambo et ses amis clament leur volonté de "préserver la paix" et le "fonctionnement harmonieux des institutions".
A en croire Muyambo, d’autres personnalités de la «MP» murmureraient tout bas ce qu’il a, lui, dit tout haut. Pour lui, il faut assurer l’alternance démocratique. Dans une déclaration à radio Okapi, le juriste de pester : « En 2011, nous avons changé la Constitution avant les élections. Qu’on la change en 2016 avant les élections ? Non. Là on ne veut pas la stabilité ». Ajoutant : «S’il faut changer, il faut changer après les élections.»
"Silence vrombissant"
Des observateurs s’étonnent du mutisme vrombissant qu’affichent certains «bonzes» du «clan des katangais». On cite pêle-mêle : Moïse Katumbi Chapwe, l’actuel gouverneur du Katanga ; Charles Mwando Nsimba, vice-président de l’Assemblée nationale et…le très fantasque Gabriel Kyungu wa Kumwanza, président de l’assemblée provinciale de l’ex-Shaba. Même mutisme est perceptible à l’association «Buluba-i-Bukata» qui regroupe les «Balubakats». Loin est donc l’époque où l’ancien président de ce groupement, Nday Ngoy Matembo, comparait «Joseph Kabila» à une «mine d’or» pour le peuple luba du Nord Katanga.
Ouvrons la parenthèse. En 2003, les partisans de Kyungu avaient organisé une «marche de colère» à Lubumbashi aux cris de «Joseph Kabila, Rwandais !». Le problème ? Kyungu n’avait pas obtenu le poste de gouverneur du Katanga. Lors des travaux du dialogue inter-congolais à Sun City, en Afrique du Sud, le poste fut attribué au «Maï Maï» Kisula Ngoy. C’est bien ça le "mal congolais" : la duplicité. A la fin de cette année, le même Kyungu est surpris à Kinshasa en train d’exhiber des pas de danse traditionnelle lors d’une manifestation organisée par l’association culturelle «Buluba-i-Bukata» en l’honneur de…Joseph Kabila. Celui-ci est redevenu «Mtoto wetu» (notre fils). Lors de l’élection présidentielle de 2006, Kyungu tonne : «Kabila ou rien». L’histoire ne dit pas la contrepartie de ce revirement. Fermons la parenthèse.
Débat à Kingakati
Lors de la réunion à huis clos organisée le 25 août à Kingakati sous la présidence de "Joseph Kabila", on a assisté à un pré-affrontement entre ceux que l’on pourrait qualifier de «sages» (Bahati Lukwebo, Bolengetenge du MSR, Baudouin Banza Mukalay) décidés à faire prévaloir une certaine idée de l’intérêt général et les «autres» (Aubin Minaku, Lambert Mende Omalanga, Tryphon Kin-Kiey Mulumba, Christophe Mboso Nkodia, Adolphe Lumanu Mulenda etc). Des partisans de la "ligne dure". Des "Jusqu’au-boutistes" dont le combat paraît motivé par un certain «situationnisme». Ils défendent les intérêts du «raïs» et les leurs. Un refrain revient sans cesse : "conserver le pouvoir". Pour proposer quel nouveau "rêve"? Les réponses sont évasives.
A Kingakati, Minaku a fredonné son credo selon lequel la majorité présidentielle «dispose du meilleur projet de société et doit conserver le pouvoir.». Il tempère néanmoins son ardeur en ajoutant qu’il faudrait se référer au peuple congolais pour «tout changement fondamental.» Une allusion implicite à l’article 220 de la Constitution qui "verrouille" les grands principes. A savoir notamment : le suffrage universel, le nombre et la durée du mandat présidentiel. On apprend ainsi que les «durs» du régime kabiliste ont convaincu le «raïs» à instaurer non seulement le suffrage universel indirect pour l’élection présidentielle mais aussi à faire modifier l’article 72 de la loi fondamentale en ajoutant une nouvelle condition pour être candidat. Le prétendant à la Présidence devrait également être «Congolais de père et de mère». Une manière pour «Joseph Kabila» d’écarter de la course «tous les sangs mêlés».
Ministre du Travail, Modeste Bahati Lukwebo a fait preuve d’une lucidité plutôt rare dans le petit microcosme kabiliste où il vaut mieux agiter l’encensoir plutôt que la critique. Mettant le doigt où ça fait mal, «Modeste» de relever qu’«une partie de l’opinion considère qu’on ne fait pas assez pour la satisfaction des besoins des populations». Pour lui, il faut mener une enquête indépendante sur le terrain pour «jauger la population». Une méfiance évidente à l’égard des "services", réputés à caresser le "raïs" dans le sens du poil en lui rapportant es vérités frelatées.
Le député national MSR Bolengetenge - dont la formation politique est à l’origine de cette rencontre – ne s’est pas privé de donner une belle leçon de démocratie censée exister dans les partis. C’est ce qu’il appelle le «leadership collectif». Bref, la culture du débat. C’est suite à un débat interne avec ses 26 fédérations que ce parti «a dressé le constat suivant : Sur les 26 fédérations, 3 d’entre elles conseillent de modifier la Constitution ; 4 fédérations considèrent que le contexte est difficile et qu’il ne faut rien changer à la Constitution au risque de glisser vers les dispositions intangibles, et 19 fédérations appellent au respect de la Constitution, notamment son Titre VII ». Bolengetenge d’ajouter :« Forts de ces échanges, nous avons rendu publique notre déclaration du 12 août (…).» Pour lui, la mouvance kabiliste est en droit de conserver le pouvoir «mais il faut rester en phase avec la population et avec ceux qui sont au-delà de nos frontières».
Ancien dignitaire du régime Mobutu, Banza Mukalay Sungu - qui a connu les affres de l’exil - s’est dit favorable à la «conservation démocratique du pouvoir». "Il faut éviter la politique d’affrontement avec les puissances, ajoute-t-il. C’est un débat ouvert et on ne peut s’arrêter à un seul scénario. Pour le peuple, ce qui compte le plus c’est ce qu’il ait à manger ».
Les "Jusqu’au-boutistes"
«Joseph Kabila» peut encore compter sur quelques «Jusqu’au-boutistes». Les partisans de la "ligne dure". Des hommes et des femmes décidés à mouiller la chemise ou la blouse afin que le «raïs» demeure calife à la place du calife. La compétition est rude au moment où «Joseph Kabila» cherche des «combattants» pour constituer le fameux gouvernement dit de «cohésion nationale».
Président de l’Interfédérale du PPRD/ Province Orientale, Médard Autsaï Asenga, se trouve en campagne dans son fief. Il veut obtenir l’adhésion de la population de cette région à l’initiative de «Joseph Kabila» de modifier la Constitution. Dimanche 31 août, l’ancien gouverneur Autsaï, a fustigé la Constitution actuelle. Pour lui, «c’est d’abord une mauvaise constitution parce qu’elle a été rédigée par des belligérants. » Un argumentaire un peu sommaire. «Elle doit être révisée», ajoute-t-il. Quid de l’article 220 ? Selon lui, le peuple souverain devrait «le déverrouiller». Question : Est-ce la charte fondamentale du pays qui est «mauvaise» où c’est le leadership qui est incapable de fixer un cap et de montrer le chemin?
Fidèle à l’image qu’il s’est donnée de «dernier des kabilistes», Lambert Mende Omalanga, ministre des Médias, lance que « la Majorité doit s’assumer ». Celle-ci doit, selon lui, «se fixer un objectif de façon sereine en prenant en compte le rapport des forces internes». Car elle a un meilleur projet et «il n’y en a pas de meilleur (…).» A l’instar de Minaku, « Lambert » reste muet sur les grandes lignes de ce «projet».
Le député national Christophe Mboso Nkodia a été tout sauf original. En bon opportuniste, il s’est contenté de dire ces mots : « L’opposition cherche à nous chasser. Il faut résister et y aller méthodiquement avec une stratégie raffinée ». C’est à croire que cet ancien cadre du MPR parti-Etat n’a jamais entendu parler du vocable «alternance».
Le ministre des PTT, Kin-kiey Mulumba, s’est lancé dans des comparaisons hasardeuses en rappelant dans un premier temps le cas du 32ème Président des Etats Unis, Franklin D. Roosevelt, qui a exercé quatre mandats successifs. Kinkiey de marteler : « âgé, malade, en fauteuil roulant, le Président Roosevelt a été élu à trois reprises. Il a conduit la deuxième guerre mondiale, affronté une crise économique majeure et affronté 13 millions de chômeurs. Avec l’appui de son parti, le Parti Démocrate, il a été élu à un quatrième mandat ». Dans le second temps, il cite le cas de l’Algérien Abdelaziz Bouteflika qui est allé « voter en fauteuil roulant ». Poursuivant sa logique tirée par les cheveux, Kin-Kiey de s’interroger : «Avons-nous un Président âgé, malade, en fauteuil roulant ? Avons-nous aujourd’hui un candidat autre. On ne peut le fabriquer en un an. Les élections c’est bientôt. Veut-on se préparer à perdre le pouvoir ?». On se demande bien ce qu’il a voulu démontrer alors que l’article 70 de la Constitution congolaise est univoque : "Le président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois". Sous d’autres cieux, il n’y aurait pas débat. Roosevelt a été reconduit quatre fois d’abord parce que le nombre de mandat n’était pas encore limité aux Etats-Unis. Ensuite, l’homme avait un excellent bilan. S’agissant de l’Algérie, la situation socio-économique est plutôt bonne et la Constitution n’a pas été modifiée. Plus grave, Kin-Kiey Mulumba s’est réjouit de la situation sécuritaire : «Il y a la paix. La ville n’a jamais été aussi calme». Calme ? De quelle paix parle-t-il? Parle-t-il de la paix des cœurs et des esprits ou de la fausse paix suscitée par la brutalité et l’arbitraire des forces dites de sécurité ?
Le secrétaire permanent du PALU a raté l’occasion de se taire. Selon lui, le parti lumumbiste a été la première formation politique à évoquer la révision de la Constitution. Au motif que le texte a été «inspiré par l’étranger».
Dans sa conclusion, « Joseph Kabila », peu habitué à la confrontation des opinions, a commencé par relever que la conservation du pouvoir est «devenue une question de survie ». Survie de l’individu «Kabila» et de son clan ou de la nation congolaise ? Et d’ajouter :« On a encore besoin de stabilité dans ce pays.» Questions : Peut-on parler de stabilité sans le bien-être? Voudrait-il dire c’est lui ou l’apocalypse?
"La Légion rwandophone"
Au lieu de s’arrêter là, «Joseph» s’est cru en droit de blâmer le MSR passant ainsi à côté de la controverse qui opposent les partisans et les opposants à la révision de la Constitution. « A mes amis du MSR, dira-t-il, je ne sais pas si vous êtes bien placés pour parler de ce parti le MSR. (…). Ce parti a été créé par moi et par feu professeur Samba Kaputo, (...)». Les Anglophones auraient répliqué : «So what ?» Et alors ?
Dans une interview accordée au mensuel bruxellois «Notre Afrik» n°47, daté de septembre 2014, l’ex-MLC Olivier Kamitatu Etsu, redevenu réaliste, tempère l’enthousiasme de Minaku et consort : "(...). Si sur le plan de la sécurité et de la stabilité macro-économique les résultats sont largement positifs, on ne peut pas en dire autant pour ce qui est des actions de développement. Il nous faut faire plus, faire mieux pour convaincre la population congolaise". Un pari fou et impossible. Peut-on réaliser en deux ans ce qu’on n’a pu faire en quatorze ans?
Selon des sources bien informées, "Joseph Kabila" est décidé à "passer en force". Il aurait mis sur pieds une "force spéciale" composée de 7.000 hommes parlant uniquement le kinyarwanda. Cette unité, serait basée entre l’aéroport de Ndjili et la ferme de Kingakati. Elle serait commandée par le général Gabriel Amisi Kumba, alias "Tango four". Info ou intox? L’avenir le dira. En attendant, "Joseph Kabila" est plus que jamais un homme (presque) seul...
Baudouin Amba Wetshi
© Congoindépendant 2003-2014
|