Un groupe d'organisations non gouvernementales a demandé samedi aux autorités de République...
Un groupe d'organisations non gouvernementales a demandé samedi aux autorités de République démocratique du Congo (RDC) de protéger le gynécologue Denis Mukwege, réputé pour son aide aux femmes violées, qui a échappé jeudi à une tentative d'assassinat dans l'est du pays.
"La Campagne internationale pour mettre fin aux viols et à la violence fondée sur le genre en situation de conflit appelle le gouvernement" congolais à "prendre des mesures immédiates pour protéger le docteur Mukwege et sa famille", demande ce mouvement, dans un communiqué.
Le gynécologue a été "évacué" samedi de Bukavu "mais on ne sait pas encore pour quelle destination", a déclaré à l'AFP un membre de l'équipe de communication du Dr Mukwege. Un médecin proche du gynécologue a pour sa part affirmé à l'AFP qu'il était parti "avec sa famille".
La société civile du Sud-Kivu prépare une journée "ville morte", mercredi, pour protester contre la tentative d'assassinat du Dr Mukwege et l'insécurité à Bukavu où l'on a recensé au moins quatre assassinats ces derniers jours.
Jeudi soir, des hommes armés et en civil - quatre ou cinq personnes, selon les sources - s'étaient introduits chez le médecin, directeur de l'hôpital Panzi qui soigne chaque année environ 3.000 femmes victimes de violences sexuelles à Bukavu, capitale de la province instable du Sud-Kivu.
Un "domestique" avait été tué dans cette attaque, selon une source policière. Le gynécologue en était sorti indemne bien que psychologiquement affecté, selon ses proches.
Le Dr Mukwege est membre fondateur du comité consultatif de la Campagne internationale pour mettre fin aux viols et à la violence fondée sur le genre en situation de conflit qui, depuis son lancement en mai 2012, a réuni des centaines d'organisations à travers le monde.
Les membres de la Campagne craignent que la "tentative d’assassinat" de jeudi "puisse avoir un lien avec les activités du Dr Mukwege qui, en septembre, avait soutenu le plaidoyer pour la Campagne à l’ONU où il a mis en lumière la montée des viols et de la violence fondée sur le genre dans l’Est", indique le texte.
Vendredi, le ministre belge des Affaires étrangères, Didier Reynders, avait appelé "les autorités congolaises à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour assurer la sécurité du Dr Mukwege, pour rapidement présenter les auteurs de cette attaque à la justice".
Le Dr Mukwege a créé l'hôpital et la fondation Panzi pour les femmes violées dans l'Est congolais par des groupes armés locaux et étrangers, et par certains soldats de l'armée. Ses activités lui ont valu plusieurs nominations pour le Prix Nobel de la paix et il a notamment reçu le prix de l'ONU pour les droits humains.
© 2012 AFP
http://www.starafrica.com/fr/actualites/detail-news/view/rdcongo-tentative-dassassinat-dun-med-258763.html
Le Dr Denis Mukwege échappe à la mort
« Vivre, c’est relatif… Vaut-il la peine de vivre jusque 80 ans en voyant ce que je vois chaque jour… »Lundi dernier à Bruxelles, le Dr Denis Mukwege, médecin-chef de l’hôpital de Panzi à Bukavu, concluait par cette phrase désabusée une soirée-débat où, une fois de plus, il avait témoigné du sort des femmes du Kivu victimes de violences sexuelles et s’était interrogé sur l’impuissance de la communauté internationale.
Deux jours plus tard, soit jeudi soir, alors qu’il venait de rentrer à Bukavu, quatre hommes en civil, lourdement armés, le guettaient dans sa maison du quartier de Muhumba, commune d’Ibanda. Peu avant 18 heures, il avaient forcé la porte, menacé les deux filles du médecin et leur ami, les obligeant à se coucher sur le sol en attendant le retour de leur père. Trente minutes plus tard, alors que la voiture approchait, les deux hommes se mirent en position de tir et se dirigèrent vers la porte de la maison. C’est alors que la sentinelle se précipita vers le véhicule, hurlant au docteur qu’il était menacé. Le malheureux gardien fut abattu sur le champ. Quittant la maison, les tueurs s’approchèrent alors du Dr Mukwege, l’arrachèrent de sa voiture en prenant les clés du véhicule. Le médecin se jeta au sol, tentant d’échapper aux tirs. C’est de justesse qu’il eut la vie sauve. En effet, les cris de la sentinelle, le bruit du coup de feu avaient alerté le quartier et les voisins se précipitèrent sur les lieux. Les deux assaillants prirent alors la fuite dans le 4X4 de leur victime et l’ abandonnèrent peu après pour un autre véhicule après y avoir mis le feu.
Sous le choc, le Docteur Mukwege appela alors ses amis et collègues de Bruxelles, qu’il avait quitté la veille, en particulier Louis Michel. Ce dernier poussa la Monusco à dépêcher vers Ibanda des équipes de protection tandis que le gouverneur du Sud Kivu, Marcellin Cishambo, s’activait de son côté. Dans les heures qui suivirent, les Casques bleus, qui n’avaient jamais accordé de protection particulière à un homme particulièrement menacé, s’affairèrent à prendre des photos des lieux du crime et à préparer des rapports.
Ce soir là, la sentinelle du Dr Mukwege ne fut pas la seule victime : des sources locales nous ont rapporté un autre assassinat dans le quartier populaire de Kadutu tandis que plus au sud, la ville d’Uvira, voisine du Burundi, était déclarée ville morte à cause de l’insécurité.
Si l’on ignore l’identité des tueurs en civil, équipés d’armes de guerre, la population du Sud Kivu redoute d’être victime à son tour d’une stratégie de la tension, à l’instar de Goma, la capitale du Nord Kivu, endeuillée par une vague d’assassinats jusqu’à ce que les autorités se décident à fermer la frontière avec le Rwanda.
Les circonstances de l’agression, manquée de justesse, contre le Dr Mukwege rappellent la manière dont d’autres personnalités de premier plan furent assassinées à Bukavu, dont l’évêque Mgr Munzihirwa, qui avait dénoncé, lors de la première guerre du Congo, les menées d’intérêts étrangers désireux de prendre le contrôle des ressources du pays.
Le médecin-chef de l’hôpital de Panzi était, lui aussi, devenu de plus en plus précis dans sa dénonciation de la stratégie de la terreur, expliquant comment le viol est utilisé comme arme de guerre, pour démoraliser, humilier et finalement soumettre une population.
C’est que Denis Mukwege, gynécologue formé à Angers en France, estimait qu’il ne suffisait pas, inlassablement, de porter secours aux femmes détruites par les violences sexuelles, de les guérir de la fistule et de traiter leurs atroces blessures : il avait décidé d’utiliser sa notoriété, les nombreux prix internationaux ( Prix Olof Palme, prix de la Fondation Roi Baudouin, prix Jean Rey et bien d’autres) qui avaient couronné son action, pour prendre à témoin l’opinion internationale. Cette année encore, le Docteur Mukwege s’était adressé à l’Assemblée générale de l’ONU, il avait voyagé dans les pays scandinaves où son nom avait été cité pour le Prix Nobel, il avait été reçu en 2011 par le roi Albert II qui, dans une démarche tout à fait inhabituelle, s’était adressé personnellement au secrétaire général de l’ONU pour lui demander de prendre en compte le témoignage du médecin-chef de Panzi.
Le seul à n’avoir jamais reçu en audience particulière l’un des plus connus des Congolais est le président Kabila, qui, à plusieurs reprises, a cependant visité l’hôpital de Panzi et fait des dons privés à certaines de ses sections, dont la maternité, tout en refusant de se rendre dans les salles réservées aux femmes victimes de violences sexuelles. C’est que le Docteur Mukwege ne dérange pas seulement les voisins du Congo et en particulier le Rwanda, considéré comme la matrice de la violence qui déferle sur la région depuis 1994. Il dérange aussi le pouvoir de Kinshasa, qui, depuis les accords de paix conclus avec Kigali en 2009, aurait voulu faire croire que la région allait retrouver la paix et faisait preuve d’un optimisme que les populations locales ne partageaient guère.
La guerre menée aujourd’hui au Nord Kivu par les mutins du M23, soutenus par le Rwanda, les tentatives de déstabilisation du Sud Kivu, confirment, tragiquement, les mises en garde du Docteur Mukwege qui a failli être victime du fait d’avoir eu raison car il répercutait, lui, le cri de désespoir des victimes et non les impératifs de la raison d’Etat.