Le Point.fr - Publié le
Pressentie pour être à la tête de la diplomatie américaine, elle sème le trouble sur les dossiers du Congo et du Mali.
Par Michel Colomès
Si l'on en croit Foreign Affairs, la meilleure revue américaine de politique étrangère, la réunion qui s'est déroulée il y a deux mois au siège de la mission française aux Nations unies a été considérée comme extrêmement agitée au regard de l'échelle de Richter des rencontres diplomatiques. Les mots, parfois accompagnés d'adjectifs peu amènes, ont volé comme autant de missiles entre les trois participants à cette réunion : le représentant de la France à l'ONU, Gérard Araud, son homologue britannique et l'ambassadrice américaine aux Nations unies, Susan Rice. En cause, les massacres et les atrocités en tout genre, commis dans le nord-est de la République démocratique du Congo, l'ancien Congo belge, par un groupe d'insurrection qui s'est baptisé M23. Un mouvement soutenu et armé par le Rwanda, voisin et ennemi du président congolais Kabila.
Ce n'est pas la première fois qu'une rébellion armée menace le pouvoir central de Kinshasa, la capitale. C'est même devenu une sorte de rituel qui revient périodiquement pour mettre en cause l'unité de ce pays constitué d'une incroyable mosaïque ethnique, depuis que dans les années 60 un leader nommé Moïse Tshombe avait proclamé la sécession du riche Katanga du pouvoir central alors dirigé par Patrice Lumumba, le Che Guevara de l'Afrique.
Conflit d'intérêts ?
Mais ce qui agace les pays occidentaux ayant un passé avec l'Afrique, c'est que, plutôt que de chercher à calmer le jeu en brandissant quelques menaces de sanctions contre les protagonistes de l'actuelle insurrection et ceux qui les soutiennent, les États-Unis se refusent à condamner publiquement l'intervention des Rwandais aux côtés des rebelles. Hillary Clinton a bien critiqué le M23 quand le mois dernier il s'est aventuré jusqu'à la ville de Goma, jetant sur les routes près de 300 000 civils qui fuyaient les combats et les massacres qui les accompagnaient. Mais pas un mot pour mettre en garde Paul Kagame, le président rwandais. Alors que les États-Unis ont tous les moyens de pression possibles, puisqu'ils aident militairement le Rwanda et que ce sont leurs armes qui sont utilisées par le M23.
Une partie de l'explication, mais pas la seule, vient du sentiment de culpabilité ressenti par Washington pour avoir laissé commettre en 1996 un épouvantable génocide contre la population tutsi du Rwanda. Celle qui est au pouvoir aujourd'hui. Une affaire dans laquelle la France avait d'ailleurs été accusée d'avoir favorisé les massacres en ne retenant pas le bras des Hutu qui les commettaient. L'autre raison tient à la personnalité de Susan Rice, la représentante des États-Unis à l'ONU. Cette femme est aujourd'hui pressentie pour remplacer Hillary Clinton à la tête de la diplomatie américaine. Or, pendant les années Bush, Rice, qui était la spécialiste des affaires africaines du président Clinton, a travaillé pour une société d'analyse stratégique, un think tank opérationnel basé à Washington du nom d'"Intellibridge". Or, qui retrouve-t-on dans les clients de la société d'analyse : Paul Kagame, président du Rwanda !
Escarmouche diplomatique
On comprend mieux dès lors pourquoi les noms d'oiseaux ont volé bas lors de la réunion à la mission française à l'ONU lorsque Gérard Araud a demandé fermement à Susan Rice "de qualifier de honteuse" l'attitude du Rwanda dans l'actuelle insurrection au Congo. Réponse cynique de Rice : "N'y comptez pas ! Ce n'est que le Congo. Si ça n'avait pas été le M23, ça aurait été un autre mouvement insurrectionnel." Et dans la foulée, Susan Rice s'est employée à ce que le Conseil de sécurité ne fasse aucun lien dans ses résolutions entre le Rwanda et le M23.
Cette escarmouche diplomatique ne mériterait pas beaucoup de commentaires si l'intéressée n'était pas sur le point d'être nommée secrétaire d'État par Obama. Et si son action qui commence à apparaître comme hostile aux positions classiques de la France en Afrique ne l'amenait pas maintenant à critiquer l'attitude de Paris sur une affaire encore plus sensible que celle du Congo. Il s'agit du Mali, où les États-Unis ont fait savoir qu'il n'était pas urgent d'intervenir militairement via une force interafricaine pour s'opposer à la poussée et aux exactions en tout genre de djihadistes proches d'al-Qaida qui occupent déjà plus de la moitié de ce pays, ami de la France. Étrangement, le Premier ministre malien, Cheick Modibo Diarra, qui était d'accord avec la position de Laurent Fabius appelant à "un déploiement rapide d'une force de stabilisation", a été démis de ses fonctions et mis en résidence surveillée il y a deux jours.