Polydor-Edgar M. M. KABEYA
Mis en ligne le 18/01/2012
Tous nous crions au "hold-up électoral". Va-t-on entrer dans une nouvelle zone de grosses turbulences ?
Depuis son arrivée au pouvoir en janvier 2001, lorsqu'il succéda à son père dans des conditions quasi dynastiques, le désamour (un euphémisme !) reste total entre Joseph Kabila et la diaspora congolaise. Cette dernière le considère - à tort ou à raison - comme un usurpateur, voire l'homme qu'il ne faut pas à la place qu'il faut. Les élections de juillet 2006, ponctuées par l'affrontement armé entre la garde présidentielle et celle de Jean-Pierre Mbemba, ainsi que celles de novembre 2011, entachées de nombreuses irrégularités et des fraudes manifestes lors de la compilation des votes transmis à la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) n'y ont rien changé. Au contraire !
En tout état de cause, la diaspora congolaise ne cesse de fulminer : elle ne comprend toujours pas les raisons sibyllines invoquées par le législateur congolais pour lui priver d'exercer son droit de vote. En effet, contrairement à la déclaration désinvolte du ministre congolais des Affaires étrangères, Alexis Tambwe Muamba, lors de son séjour à Bruxelles (le mardi 14 décembre 2011), tous les Congolais vivant à l'étranger n'ont pas adopté la nationalité de leur pays d'accueil ! Pourquoi, dès lors, ceux-ci doivent-ils nécessairement rentrer au pays pour se faire enrôler comme électeurs et voter sur place ? Et aux frais de qui ? N'existe-t-il pas des missions diplomatiques congolaises (ou des structures ad hoc) capables d'assumer ce rôle ? Les Belges, les Américains ou les Français qui vivent en RDC reviennent-ils dans leur pays d'origine à chaque échéance électorale ? A la suite du "printemps arabe", les Marocains et Tunisiens vivant en Belgique, aux Etats-Unis ou en France ont pu exercer leur droit de vote depuis leur lieu de résidence. Pourquoi les citoyens congolais vivant dans ces mêmes pays ne peuvent-ils le faire ?
Au demeurant, ce ministre feint d'ignorer que, face à la dernière place occupée par la RDC dans le rapport 2011 du PNUD concernant l'indice de développement humain (IDH) et face à l'incurie et à l'impéritie du gouvernement auquel il appartient - notamment dans le domaine social et économique - ce sont ces ressortissants congolais vivant à l'étranger qui permettent à leurs familles restées sur place, de nouer les deux bouts, de payer les frais scolaires ou médicaux, d’enterrer dignement leurs morts, de financer des petits projets, de lancer un petit commerce pour, un tant soit peu, avoir une activité lucrative dans ce pays où la débrouille quotidienne tient lieu de travail !
De Bruxelles à Paris, Londres, Rome, Amsterdam, Genève, Séoul, Tokyo, Washington, Ottawa, Johannesburg (pour ne citer que les villes les plus remuantes et allergiques à celui qui se fait appeler le "Raïs" alors qu'il ne préside pas un pays arabe), la diaspora congolaise, à l'image de la majorité de ses frères et sœurs vivant au pays, avait pris fait et cause pour le changement et l'alternance. Et c'est avec une attention particulière que cette diaspora a suivi la campagne électorale, le déroulement du scrutin ainsi que la proclamation des résultats.
Le changement du mode de scrutin, en un tour au lieu de deux, préfigurait déjà une volonté - dans le chef de la majorité présidentielle - de se maintenir au pouvoir avec ce calcul machiavélique : 50 % des suffrages iraient au président sortant ; les autres 50 % seraient à partager entre les différents candidats de l'opposition. Et tous les moyens étaient bons pour faire triompher ce stratagème : corruption, intimidations, manipulation du fichier électoral et des résultats. Nous étions "observateur de la diaspora congolaise de Belgique" à ces élections. Les résultats annoncés par la Ceni et confirmés par la Cour suprême constituent un véritable déni de démocratie, car ils ne reflètent pas le verdict des urnes.
Au fur et à mesure que les résultats, tels que consignés dans les procès-verbaux des bureaux de vote, étaient connus non seulement des observateurs sur le terrain, mais aussi et surtout dans les états-majors de partis, Etienne Tshisekedi restait en tête. C'était la douche froide, nous pouvons en témoigner, dans la majorité présidentielle qui demeura silencieuse pendant au moins quarante-huit heures. Plusieurs membres et cadres de cette majorité osèrent même nous confier leur désillusion : "Quelle déception ! Surtout au Katanga et à Kinshasa où, pourtant, nous avons beaucoup investi dans les infrastructures". Comment expliquer que, lorsque la Ceni décida en catastrophe (car cela n'était pas prévu) de commencer à publier quotidiennement des résultats partiels, cette tendance se soit subitement inversée ? L'annonce des résultats provisoires était prévue pour le 6 décembre 2011 ; il ne fallait donc pas être le "grand sorcier du village" pour comprendre que, prise de vitesse et au dépourvu, la Ceni - en se prévalant du fait d'être la seule habilitée à publier les résultats - préparait doucement l'opinion à la victoire de Joseph Kabila, en court-circuitant ceux contenus dans les procès-verbaux et affichés devant les bureaux de vote qui circulaient déjà.
Avant ce qu'il est convenu d'appeler sa prestation de serment, Joseph Kabila lui-même avait reconnu "des fautes et des erreurs", sans pour autant - puisque constitutionnellement il représente le symbole de l'unité nationale - en tirer la seule conséquence logique : la nullité de ces élections. D'autant plus que non seulement, malgré les tripatouillages, 52 % des suffrages exprimés ne portaient pas sur son nom, mais encore et surtout, parce que ces "fautes et erreurs" émanaient de la puissance publique, de l'Etat et de la loi à travers la Ceni, institution censée organiser des élections libres, transparentes, équitables et apaisées !
Fraus omnia corrumpt (la faute corrompt tout), dit un adage latin connu de tous les juristes. Un sprinteur qui commet une faute due à deux faux départs consécutifs ne participe plus à la compétition ; un vainqueur du Tour de France convaincu de dopage se voit retirer le Maillot jaune - même plusieurs mois après l'épreuve pour l'avoir remportée frauduleusement ! Alors, l'argutie qui consiste à faire accroire à l'opinion nationale et internationale en avançant la thèse saugrenue selon laquelle les irrégularités et autres manipulations ne modifient pas le classement ou ne remettent pas en cause l'ordre d'arrivée des candidats s'assimile à une infantilisation du corps électoral congolais qui, lui, ne se reconnaît pas dans ce bulletin falsifié. Comment expliquer, pour prendre un exemple, des suffrages atteignant les 100 % en faveur de tel ou tel candidat ? La ficelle est bien grosse puisque destinée, justement, à évacuer tout soupçon de tricherie en excipant du fait que les "fautes et erreurs" auraient bénéficié à tous les prétendants au pouvoir ! Seulement, il nous est difficile de concevoir que, dans un bureau de vote, même les propres témoins de la majorité ou de l'opposition aient pu tous - et sans exception aucune ! - voter contre leur propre camp pour donner un score aussi stalinien à leur adversaire ! Ou alors, à l'instar de bureaux fictifs, il existait également des bureaux de vote composés exclusivement de membres (président, secrétaire, assesseurs, témoins...) appartenant à la famille politique d'un seul candidat !
Un examen entaché de fraude, de "fautes et erreurs" devient-il valable et crédible sous prétexte que ces irrégularités ne changeraient pas le classement des élèves ? Les électeurs congolais (la majorité et l'opposition en ont bien conscience) ne sont pas dupes. Ils savent à quel candidat ils ont accordé leur préférence. Voilà pourquoi ils crient, comme en Russie, au "hold-up électoral" ; voilà pourquoi ils ne peuvent donner quitus ni à la Ceni - qui a publié des résultats provisoires faussés, ni à la Cour suprême - qui a davantage concassé sa crédibilité par un arrêt scandaleux qui érige la tricherie électorale comme mode d'accès au pouvoir !
Il va sans dire que le désamour entre Joseph Kabila, la diaspora congolaise et les 52 % d'électeurs (au moins !) qui s'estiment lésés va rentrer dans une nouvelle zone de grosses turbulences...
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