Par AUGUSTIN MATATA PONYO
Premier ministre de la république démocratique du Congo
http://www.liberation.fr/monde/2012/12/11/aidez-la-republique-democratique-du-congo_866831
Et si chacun admettait, une bonne fois pour toutes, que la
république démocratique du Congo (la RDC) est un pays traversé par des
dynamiques éventuellement antagonistes et des rapports de force
occasionnellement régressifs ? Bref, un pays comme tous les autres, à ceci près
qu’il est une nouvelle fois victime d’ingérence. Les observateurs toujours aussi
intransigeants lorsqu’ils étudient le cas congolais peuvent signaler les
faiblesses de notre armée. Nous leur demandons seulement d’ajouter à leurs
savantes équations que nous sommes régulièrement attaqués au nom d’obscurs
intérêts qui relèvent avant tout du pillage. La rébellion du M23 n’est pas une
créature congolaise, mais rwandaise. Les experts des Nations unies l’ont
démontré. La RDC mérite donc un peu d’égard.
Nous parlons, en effet, d’un
géant de 72 millions d’habitants (dont plus de la moitié a moins de 20 ans),
grand comme quatre fois la France, ravagé par vingt années de gabegie économique
puis sapé dans ses fondements par une décennie de guerres et de crises
politico-militaires dont les origines étaient, pour certaines, exogènes. Dans
ces conditions, à quoi sert-il d’avoir un jugement univoque sur un pays et ses
dirigeants ? A pas grand-chose, si ce n’est à satisfaire des opinions publiques
internationales guère au fait de la redoutable complexité congolaise.
L’obligation de vérité incombe à tous. Faisons ensemble ce nécessaire travail
d’introspection. Les accords de paix signés au début des années 2000 ont certes
mis un terme aux affrontements meurtriers, mais ils ont converti des miliciens
en militaires qu’il faut encore aujourd’hui démobiliser ou discipliner. Ils ont
conduit à transformer des groupes armés en partis politiques, mais pour certains
entrepreneurs politiciens, le logiciel mêlant violence et affairisme n’a
malheureusement pas fondamentalement changé. Ils ont aussi ouvert la voie à la
stabilité politique, mais l’organisation d’élections libres reste un défi dans
un pays dépourvu de routes dans certaines régions et traumatisé dans son
histoire par la culture du parti unique.
La démocratie ne peut être un
diktat, elle ne repose que sur des valeurs partagées et des principes admis par
tous. Voilà notre héritage. «Rome ne s’est pas faite en un jour.» Pourquoi
faudrait-il que l’immense Congo se reconstruise en une demi-journée ! Sous
l’autorité du chef de l’Etat, Joseph Kabila, le gouvernement congolais poursuit
et accélère un processus de redressement entamé dès 2006, au sortir de la
transition et du premier scrutin présidentiel pluraliste depuis l’indépendance.
Admettons-le d’office, tout cela n’est pas allé sans heurts. La situation des
droits de l’homme demeure insatisfaisante malgré la détermination des autorités
et l’engagement d’une partie de la société civile. Le niveau de pauvreté reste
trop élevé dans un pays présenté dans les manuels scolaires comme un «scandale
géologique» du fait de ses abondantes réserves de minerais. La corruption
constitue un frein au développement et à l’esprit d’entreprise. Ces défis sont
identifiés. Ils sont notre priorité. D’ailleurs, les résultats économiques
obtenus devraient convaincre les plus sceptiques que nous sommes sur la bonne
voie. Entre 2009 et 2012, le taux de croissance annuel est passé de 2,8 % à 7,2
%, l’inflation a été ramenée de 46 % à 3 %, le franc congolais est resté stable,
les investissements ont sensiblement augmenté, les recettes publiques -
sanctuarisées malgré d’intenses pressions venues d’opérateurs privés, congolais
et étrangers, peu scrupuleux - ont plus que doublé, tandis que la richesse
nationale a été multipliée par deux. Une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) a été
créée, en échange de quoi l’impôt sur les sociétés a été simplifié et adouci. La
RDC a rejoint l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des
affaires (Ohada) pour sécuriser les investissements étrangers. Des zones
spéciales d’activités accordant des allègements fiscaux ont vu le jour pour
dynamiser le marché de l’emploi et le secteur économique formel. Le gouvernement
a lancé une série de programmes afin d’améliorer les conditions de vie de la
population. Le versement du traitement des fonctionnaires a été «bancarisé» pour
sécuriser ce transfert d’argent et irriguer les circuits bancaires. Dernier
exemple de ce redressement, la production minière renoue avec les niveaux
historiques des années 1970-1980.
C’est cette mise en mouvement qu’il
faut consolider, accélérer, mais aussi sauver à certains égards car la situation
dans les Kivus est une nouvelle menace. Etait-ce voulu par certains de nos
voisins désireux de nous maintenir en situation de faiblesse ? La chronologie
des événements depuis le lancement du M23, en avril, fournit de précieuses
indications. Nous le déplorons. Nous le dénonçons.
Nous demandons à
chacun de se ressaisir au nom de la stabilité régionale. Mais nous sommes aussi
prêts à discuter, et nous implorons la communauté internationale. Il n’est pas
question de compassion, mais d’esprit de responsabilité. L’heure n’est pas aux
anathèmes, contre-productifs et offensants, lancés loin de Kinshasa pour
dénoncer à bon compte nos dysfonctionnements dans le système de gouvernance ;
fustiger un procès avant même qu’il ne soit achevé ; exiger sans délai un retour
à la sécurité dans un pays menacé dans son intégrité ; critiquer une armée
affaiblie par des félonies sponsorisées depuis l’étranger ; ou bien encore fixer
les termes de référence d’une transparence électorale que certaines nations du
Nord ne parviennent même pas à satisfaire. La RDC a besoin de partenaires
exigeants mais compréhensifs, présents mais respectueux, critiques mais lucides.
«L’Afrique a la forme d’un revolver dont la gâchette se trouve au Congo», disait
l’intellectuel Frantz Fanon. Que nos amis se souviennent de cette phrase avant
de nous juger. La RDC regorge de minerais, certes, mais aussi d’hommes et de
femmes de bonne volonté. Il serait dommage de ne pas leur faire confiance. Ils
sont demandeurs d’un nouveau partenariat Nord-Sud, équilibré et débarrassé des
scories du passé. S’ils sont soutenus, ils en seront les artisans.
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