"On entre dans une période d’incertitude"
Le Pr. Omasombo analyse la récente déstabilisation du Congo.
Assauts armés à Kinshasa, au Katanga et à Kindu (Maniema); batailles rangées entre armée et séparatistes katangais; gouvernement "de cohésion nationale" annoncé en octobre et toujours introuvable… Les événements s’accélèrent au Congo. Pour les comprendre, nous avons interrogé le politologue Jean Omasombo, chercheur au Musée de Tervuren et professeur à l’université de Kinshasa.
Quelle est votre lecture des attaques du 30 décembre par des fidèles du pasteur Mukungubila ?
D’abord, je remarque que ce pasteur a pris la fuite et a disparu - comme l’auteur d’une autre tentative de coup d’Etat, un Luba également originaire du Nord-Katanga, Eric Lenge.
Rappelez-vous, les 10 et 11 juin 2004, ce major responsable du groupe commando d’élite de la garde présidentielle avait pris le siège de la radio nationale avant de disparaître sans être jamais inquiété. Maintenant c’est le pasteur qui a disparu selon le même schéma; on s’interroge bien sûr sur la qualité des services de sécurité, de la police, voire de l’armée. Et l’on s’étonne de la facilité avec laquelle les fidèles du pasteur ont à la fois occupé la radio-télévision et attaqué l’état-major général et l’aéroport international de Kinshasa.
On note aussi que la déstabilisation survient dans des provinces réputées encore favorables au président Kabila : attaques spectaculaires au Katanga et, cette fois, le Maniema a été touché. On sait que le Kivu et la Province orientale, les autres régions qui avaient voté massivement Kabila en 2006, s’en sont éloignés progressivement. Cela paraît significatif : le mécontentement gagne l’opinion.
Ces événements sont-ils liés à la longue attente d’un nouveau gouvernement ?
La lecture par l’opinion publique de la défaite du M23 au Kivu et "des concertations nationales" me semble avoir un lien avec ces événements. Dans les attaques du 30 décembre, on peut percevoir le mécontentement lié à la nomination à la tête de la police nationale du général Charles Bisengimana - un Tutsi, comme la majorité des combattants du M23. Cette promotion passe aux yeux de l’opinion pour une garantie donnée par le président Kabila au M23. Il y aurait des garanties formelles, signées par le gouvernement, et des garanties "réelles" ou alliances. Le CNDP, duquel est issu le M23, était devenu un parti politique de la majorité présidentielle en mars 2011, une alliance qui paraissait alors intéressante pour gagner les élections de novembre. Quelle participation au pouvoir était-elle convenue pour le CNDP ? Cette fois-ci, la promotion de Bisengimana à un poste trop en vue, succédant à un Katangais, John Numbi, survient à un moment très sensible, alors que depuis la clôture des concertations nationales, le 24 octobre, qui ont suscité énormément d’attente, il ne s’est rien passé sauf cette nomination, qui sonne dès lors comme une explosion.
Pourquoi le président Kabila a-t-il convoqué ces concertations nationales ?
Je pense qu’il a voulu s’en servir pour rebondir, à la fois réparer sa réélection contestée de 2011 et, surtout, se trouver une place pour la présidentielle de 2016. On sait qu’il a dû renoncer à modifier la Constitution pour se permettre un troisième mandat. Par les concertations nationales, il aurait espéré mettre en place une forme de transition organisant un nouveau cadre et, ainsi, repartir pour de nouveaux mandats comme en 2006, quand une nouvelle Constitution lui avait permis de se présenter à deux mandats, les cinq années de pouvoir effectuées auparavant étant "effacées".
Deux mois et demi après le discours de clôture des concertations nationales par M. Kabila, cependant, le gouvernement "d’union nationale" n’est toujours pas en vue.
Tout le monde attend ! Alors que le gouvernement est en affaires courantes, l’atmosphère est pesante à Kinshasa. Les concertations nationales ont échoué et en voulant en tirer coûte que coûte des résultats, le Président, qui annonce un gouvernement d’union nationale se crée lui-même de nouveaux problèmes. Qui prendre et qui laisser ? Kabila a face à lui 3 000 ou 10 000 candidats, alors que le gouvernement, même élargi, ne peut dépasser 60 places. Il sait qu’il devra nécessairement mécontenter de nombreux courtisans. Dans cette atmosphère, on peut se demander s’il ne sera pas pris en otage, comme Mobutu l’a été dans la phase décroissante de son pouvoir jusqu’à sa chute, en 1997. Sa garde présidentielle l’avait alors retenu à Gbadolite et il avait dû payer une rançon pour pouvoir fuir le pays.
Pourquoi n’y a-t-il pas de gouvernement ?
En raison de divers facteurs. D’abord, la quantité des demandes et des attentes. Et la diversité des réseaux à satisfaire. Sans compter la manière d’opérer du Président qui, en particulier depuis les élections de 2011, sort souvent du cadre légal pour s’attribuer des prérogatives que ne lui donne pas la Constitution. Contrairement à ce qu’elle prescrit, il a ainsi désigné ses Premiers ministres - Gizenga, Muzito, Matata - chaque fois en dehors du parti majoritaire au Parlement, le PPRD. Il faut souligner que Kabila prend toujours soin de se présenter comme au-dessus de la mêlée et ne prend pas la direction du PPRD, avec lequel il conserve une certaine distance. Il a, certes, besoin de ce parti comme instrument de propagande mais ne peut compter sur lui pour assurer et organiser son pouvoir réel. Ses conseillers, son énorme machine présidentielle, sa Maison militaire et sa garde sont pour lui des outils plus importants, qui échappent complètement à l’emprise d’un parti qui n’en est pas réellement un.
Aujourd’hui les principaux acteurs du PPRD sont mécontents du Premier ministre, dont ils exigent le départ, notamment parce qu’en bancarisant les fonds pour les institutions, Matata rend leur accès plus difficile. Ces gens ne sont plus, pour la plupart, que de simples députés. Formellement les alliés de Joseph Kabila, ils veulent qu’un Premier ministre soit nommé dans leurs rangs; cela en ferait plus ou moins le dauphin du Président pour 2016. Mais Kabila accepte-t-il ce schéma ?
Le chef de l’Etat est aujourd’hui dans une position où il risque de créer de nombreux Kamerhe (1) : des mécontents qui deviennent des rivaux dangereux parce qu’ils le connaissent bien.
Quelle conclusion tirez-vous de la situation ?
Joseph Kabila ne devance plus les événements, il court derrière le temps. Il se demande comment revenir à sa meilleure période, celle qui va de 2006 à environ 2009. En 2006, élu, il avait annoncé : "la récréation est finie" et présenté son programme de "cinq chantiers". Mais il s’est mis lui-même en récréation et a raté ses objectifs.
La question qui se pose aujourd’hui est : vers quel destin avance-t-il ? Les événements de 2013 semblent indiquer qu’on entre dans une période d’incertitude.
(1) Président de l’assemblée nationale (2006-2009) limogé, aujourd’hui président du parti d’opposition UNC.
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