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jeudi 13 février 2014

Les tribulations de Gipulu Yala Di Gisuengi

Les tribulations de Gipulu Yala Di Gisuengi

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo
Peu avant l’indépendance, Gipulu Yala Di Giswengi, un jeune homme du village Mbanza-Kipwala dans le Secteur Luniungu et le Territoire de Bulungu au Kwilu, trouva du travail comme domestique auprès d’un couple de Belges à Kisia, une bourgade des Huileries du Congo Belge (HCB), qui deviendront plus tard Plantations Lever au Congo (PLC) avant de mettre la clé sous le paillasson dans les années 80 sous la dénomination de Plantations Lever au Zaïre (PLZ). Comme domestique, les responsabilités de Gipulu incluaient entre autres le repassage. Un jour, ses employeurs rentrèrent de vacances avec un nouveau fer à repasser électrique et demandèrent à Gipulu de ranger l’ancien dans le débarras de la villa. Quand vint son tour d’aller en vacances dans son village, Gipulu se frotta les mains à l’idée d’aller épater ses frères et sœurs restés villageois. Dans ses bagages, l’ancien fer et une fiche électrique femelle qui traînait dans le débarras. Une fois au village, il annonça la bonne et grande nouvelle aux siens. Seuls les Basenzi repassaient du linge au fer à charbon de bois. Les hommes civilisés, eux, utilisaient le fer électrique. Joignant le geste à la parole, il leur exhiba le fer à repasser électrique. Pour faire fonctionner celui-ci chez ses maîtres, Gipulu n’avait qu’à plonger la fiche mâle du fer dans une fiche femelle encastrée dans un mur. Il encastra la fiche femelle dans un mur de la case familiale et plongea la fiche mâle dedans. Comme le fer ne chauffait pas, il vérifia si la fiche mâle était bien entrée dans la fiche femelle. Elle l’était. Mais le fer ne chauffait toujours pas. Gipulu se fâcha contre les villageois réunis autour de lui qu’il accusa d’avoir jeté un mauvais sort au fer. Les membres de sa famille se fâchèrent également. Ils s’en prirent aux autres habitants du village qu’ils accusèrent de mauvaise mentalité. Une mentalité incompatible avec le progrès. Ne pouvant supporter les accusations de Gipulu et des membres de sa famille, certains villageois rendirent Gipulu seul responsable du non-fonctionnement du fer, arguant que la présence d’un Blanc était nécessaire pour que le fer fonctionne.

Pourquoi racontons-nous cette histoire ? La joie de Gipulu Yala Di Giswengi dans la perspective d’épater les siens avec un fer à repasser électrique n’avait d’égal que celle de 99,9% de Congolais le 24 avril 1990, date officielle du lancement du processus de démocratisation dans leur pays. Les Congolais étaient heureux dans la perspective de vivre enfin dans un Etat démocratique. De même que Gipulu pensait qu’il suffisait d’encastrer une fiche femelle dans un mur de la case familiale pour que le fer électrique fonctionne, comme dans la villa de ses patrons, les Congolais s’imaginaient qu’il suffisait de créer des partis politiques, d’aller aux élections, d’installer les institutions dites démocratiques, comme chez les ex-colonisateurs, pour que la démocratie fonctionne. De même que Gipulu et les membres de sa famille qui, voyant le fer électrique refuser de fonctionner, blâmèrent les habitants du village pour leur mentalité perçue comme rétrograde, les Congolais, ceux-là mêmes qui s’étaient réjouis à l’annonce de la libéralisation de la vie politique par le Guide éclairé à la toque de léopard, s’illustrent dans mille et une explications pour justifier le désenchantement qui a élu domicile dans leur pays.

En effet, de même que le 5 juillet 1960, cinq jours après l’indépendance du Congo Belge, face aux gradés de Léopoldville (Kinshasa) et de Thysville (Mbanza Ngungu) assemblés dans une salle de cours du Camp Léopold (Kokolo), le Général Emile Janssens, commandant de la Force Publique, écrit au tableau noir : « Avant l’indépendance = Après l’indépendance », provoquant ainsi la révolte de la Force Publique sur toute l’étendue du territoire de la jeune nation, les Congolais assistent aujourd’hui impuissants au maintien et au renforcement du pouvoir personnel d’un individu alors qu’en se rendant aux urnes en 2006 puis en 2011, ils avaient espéré des lendemains qui chantent. Mais le désenchantement, qui était prévisible pour toute personne ayant une capacité d’analyse et d’anticipation, valide-t-il toute explication ?

Revenons à Gipulu Yala Di Giswengi. S’il était un homme doué de sagesse, quelle attitude aurait-il adoptée aussitôt que le fer refusait de fonctionner dans son village ? Il allait rentrer vite chez ses maîtres pour chercher à savoir le pourquoi. A-t-on déjà vu les Congolais se rendre chez les ex-colonisateurs pour chercher à savoir pourquoi en dépit de la belle copie des institutions démocratiques de ces derniers, la démocratie ne fonctionne pas au Congo après des élections dites démocratiques ? Non. Cette attitude est-elle responsable ? Nous ne pensons pas.

Qu’allait apprendre Gipulu Yala Di Gisuengi s’il s’était montré sage ? Ses maîtres allaient lui apprendre qu’il ne suffit pas d’encastrer une fiche femelle dans un mur et d’y loger la fichelle mâle du fer à repasser électrique pour que celui-ci fonctionne. Ils allaient lui apprendre que la fiche femelle doit être reliée à un réseau électrique et que l’électricité doit circuler dans le réseau pour que le fer fonctionne. Qu’auraient appris les Congolais s’ils allaient à leur tour consulter les ex-colonisateurs ? Répondre clairement à cette question, c’est découvrir pourquoi la démocratie a du mal à s’enraciner au Congo. C’est baliser le sentier d’un avenir meilleur pour notre nation. Non seulement les Congolais ne consultent pas les ex-colonisateurs dont ils copient le modèle démocratique, mais ils ne se posent même pas de question. Et quand il n’y a pas de question, il n’y a pas de débat.

Réagissant à notre article intitulé « Eyindi ! », Binsonji E Madilu nous a posé deux questions qui méritent d’être reprises ici pour nous conduire à la conclusion : « Pensez-vous que ce genre de débat soit de mise au moment où le sieur Joseph Kabila organise la boucherie de nos jeunes gens à Kinshasa et ailleurs au pays pour traumatiser davantage l’imagerie populaire, intimider le peuple congolais et lui faire avaler la pilule amère de la révision constitutionnelle ? Pensez-vous que nous avons le temps de discuter du sexe des anges pendant que les officiers qui ont mis en déroute le M23 aux côtés de Mamadou Mustapha Ndala sont aujourd’hui dans la ligne de mire de Joseph Kabila comme si c’étaient eux les rebelles ?

C’est justement parce que nous pensons que réfléchir sur la démocratie équivaut à discuter sur le sexe des anges que nous avons un même Joseph Kabila, avant et après les élections de 2006. Si nous avions réfléchi à la démocratie, c’est-à-dire si nous avions su qu’il y avait une grande différence entre la démocratie occidentale et la démocratie tout court, et que, par voie de conséquence, nous avions cherché à savoir comment concrétiser l’idéal démocratique dans notre pays pour que la démocratie soit effective, le pouvoir de Joseph Kabila après son élection en 2006 serait contrôlé au lieu d’être ce qu’il était avant ces élections. Nous pouvons certes mobiliser nos énergies dans le but de chasser l’autocrate actuel du pouvoir. Mais tant que le débat sur la démocratie n’aura pas lieu, tant que nous ne comprendrons pas la nécessité d’un tel débat, nous assisterons, toujours impuissants, à l’émergence d’une autre autocratie quand Joseph Kabila tombera à son tour devant l’ouragan de l’histoire. Nous assisterons à cette émergence même sous le leadership des individus perçus comme la démocratie faite homme.

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo 
© Congoindépendant 2003-2014


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