-Georges Lauwerijs : Et notre invité ce matin, c’est Augustin Matata, Premier ministre congolais. On va revenir, Bertrand Henne, sur la guerre à l'Est du Congo, mais aussi sur la situation des droits de l'Homme.
-BH : Bonjour Augustin Matata.
-AM : Bonjour.
-BH : Monsieur le Premier ministre, on a beaucoup parlé du Congo ces dernières semaines dans l’actualité, notamment avec la guerre à l’Est et puis avec le Sommet de la francophonie où la France avait critiqué assez durement la situation des droits de l’Homme dans votre pays. Le but de votre visite officielle en Belgique cette semaine, et puis en Allemagne, c’est quoi ? C’est redorer l’image de votre pays en Europe ?
-AM : Bien sûr, redorer l’image de notre pays, pas seulement en Europe mais dans le monde entier, parce que la RDC est en train de vivre un tournant décisif dans tous les domaines. Sur le plan de la démocratie, il y a des progrès énormes qui se font, tout comme dans les domaines des droits de l’Homme ou de l’opposition.
-BH : Vous dites aux détracteurs que c’est en train de changer, c’est ça votre message ?
-AM : Beaucoup de choses changent, et je pense que tout le monde qui est venu dans le cadre de la francophonie à Kinshasa l’a remarqué. Et donc nous considérons que les déclarations qui ont été faites étaient des déclarations fondées sur des appréciations relativement incomplètes.
-BH : Oui, François Hollande ne connaissait pas bien la situation du Congo, c’est ce que vous dites ?
-AM : Je ne sais pas le confirmer mais j’avoue qu’il n’avait pas suffisamment d’informations pour faire les premières déclarations qui ont été faites. Mais je pense, si vous l’avez remarqué, le lendemain, il a fait d’autres déclarations, toujours à la presse française, où il est revenu sur certaines appréciations notables dans le cas de la démocratie, des droits de l’Homme, comme le droit d’opposition.
-BH : Qu’est-ce qui s’est amélioré ces derniers mois et ces dernières années, Monsieur le Premier ministre ? Si on regarde le nombre de viols, par exemple, dans l’Est du Congo : je lisais presque 5 000 pour cette année 2012. Les droits de l’opposition, qu’est-ce qui s’est amélioré ? On a plutôt l’impression du contraire, mais c’est peut-être une impression, dites-nous !
-AM : C’est une impression, à mon avis, qui n’est pas fondée parce qu’aujourd’hui, en termes de démocratie par exemple, nous avons une Assemblée nationale qui est en fait le produit d’un exercice démocratique.
-BH : Très critiqué, on a parlé beaucoup de fraude.
-AM : C’est vrai qu’il y a eu des insuffisances dans le processus démocratique, mais au moins tout le monde a reconnu que les résultats, tels qu’ils ont été en tout cas récoltés, n’étaient pas fondamentalement différents des choix qu’auraient exprimés en tout cas l’ensemble de la population. Et puis, ce qu’il faut savoir, Monsieur le journaliste, c’est que lorsque vous prenez l’instrument de mesure pour évaluer les performances dans un pays comme la RDC qui est seulement à sa deuxième série d’élections, vous ne pouvez pas prendre les instruments de mesure d’un pays qui a une vieillesse de démocratie, qui a 100 ans de démocratie, qui a 200 ans de démocratie. Nous sommes seulement à une deuxième législature, et donc il y a possibilité d’avoir des insuffisances mais qui peuvent être améliorées dans le temps.
-BH : Vous demandez de la patience aux dirigeants européens ?
-AM : Peut-être pas de la patience. Il faut leur dire " mesurez-nous avec des instruments qui sont compatibles avec notre niveau de progrès ".
-BH : Sur la rébellion, ou je ne sais pas comment on va l’appeler, on va voir, sur la guerre en tout cas dans l’Est du Congo, quel terme vous utilisez, Monsieur le Premier ministre ? Vous dites quoi ? C’est une agression armée ? C’est une rébellion ? Une mutinerie ?
-AM : Ecoutez, dans ce cadre, je crois qu’il y a des usages diplomatiques. Mais si je me réfère au premier rapport du groupe d’experts des Nations unies, ils ont carrément cité, en tout cas, l’appui militaire, l’appui stratégique dont le mouvement M 23 a bénéficié en tout cas du Rwanda. Et le rapport qui vient de sortir, qui n’est pas encore diffusé mais dont nous avons tous eu des fuites, indique très bien que, en tout cas le mouvement M 23 continue à bénéficier des appuis, en tout cas, des personnes qui ont été nommément citées et qui occupent des fonctions officielles au Rwanda.
-BH : Le ministre de la Défense rwandais qui aurait participé au recrutement armé. Donc, ça veut dire que, pour vous, c’est une agression, ce qui se passe dans l’Est du Congo ? Une agression du Rwanda ?
-AM : Ecoutez, c’est une agression larvée parce que, bon, quand on parle d’une agression, je pense qu’il faut peut-être identifier des mouvements directs, des troupes directes mais vous le savez. C’est une agression larvée parce qu’il y a un mouvement M 23 et les officiels rwandais s’évertuent à dire qu’il s’agit d’un problème congolo-congolais. Mais lorsque vous vous référez aux preuves qui sont données par des sources aussi indépendantes, comme celles du groupe d’experts des Nations unies, on est loin d’imaginer qu’il s’agit d’un problème congolo-congolais, parce qu’il y a une intervention tout à fait vérifiable, vérifiée, avec des preuves à l’appui que, voilà, ces mouvements bénéficient en tout cas d’une initiative, d’un soutien, d’un entretien des officiels qui se trouvent au Rwanda.
-BH : L’armée congolaise n’est pas en mesure actuellement de régler le problème dans l’Est du Congo ?
-AM : Ecoutez, ici, dans ce sens, je crois qu’il faut relativiser parce que ce mouvement, il est né à Rutshuru. Et les troupes congolaises les ont déboutés. Ce mouvement est descendu à Bunagana.
-BH : Toujours dans l’Est, pour ceux qui ne connaissent pas le Congo.
-AM : Toujours dans l’Est. Et les forces armées congolaises les ont aussi déboutés. Jusqu’à ce que ce mouvement soit allé s’incruster à la frontière avec le Rwanda. C’est à ce moment-là que ce mouvement, curieusement, a retrouvé en tout cas de la vigueur, a trouvé des hommes, a trouvé des armes. Mais bon, allez comprendre quelque chose…
-BH : Qu’est-ce qu’il faut faire maintenant, Monsieur le Premier ministre, dans cette situation à l’Est ? Vous demandez quoi ? Qu’il y ait une force d’intervention internationale ? Il y a déjà des forces des Casques bleus sur place, c’est la Monusco. Qu’est-ce qu’il faut faire ?
-AM : Je pense qu’il faut relativiser les choses. Ce que nous demandons en premier lieu, c’est la justice. Nous sommes dans une communauté des nations où tout le monde est membre. Et les Nations unies, la philosophie des Nations unies, l’esprit, la lettre, c’est la paix, c’est la sécurité. Il est inacceptable qu’un pays qui est membre de la communauté des nations puisse en tout cas trouver le jeu de pouvoir déstabiliser la partie est de notre pays pour y trouver des intérêts économiques. Et là, nous demandons la justice. Et si la Monusco, qui est en fait une force des Nations unies qui est déjà sur place, peut être renforcée, si son mandat peut être redimensionné de manière à pouvoir, disons, sécuriser les frontières, parce qu’en réalité, le problème aujourd’hui, c’est que l’appui extérieur passe par des frontières qui sont très larges et qui sont poreuses.
-BH : Oui, une dernière question. C’est aujourd’hui que s’ouvre en appel, Monsieur le Premier ministre, le procès de l’assassinat du militant des droits de l’Homme Floribert Chebeya. C’est un procès très suivi ici, en Belgique, et aussi au Congo. Qu’est-ce que vous répondez à ceux qui pensent que la justice congolaise n’osera pas aller jusqu’au bout ?
-AM : Non, je pense qu’il faut éviter les préjugés. Aujourd’hui, il faut reconnaitre que les progrès qui sont réalisés dans ce domaine sont très significatifs. La justice, comme ici en Belgique, comme dans d’autres pays, est un pouvoir indépendant. Moi, je suis dans l’exécutif. Je ne peux pas, parce j’ai des prétentions, parce que j’ai des préjugés, influencer la justice. Je pense qu’aujourd’hui, tout ce que nous pouvons faire, c’est avoir confiance au processus en tout cas de la justice et nous devons attendre les résultats.
-BH : Même si ça doit remonter jusqu’au plus haut de l’Etat ?
-AM : Non, je ne pense pas. Il ne faut pas non plus être victime de la démagogie. Le président Kabila, il faut le reconnaitre, c’est un homme qui appuie, en tout cas de par sa volonté, le processus démocratique. Combien d’hommes politiques se réveillent le matin, critiquent le président Kabila, critiquent le pouvoir alors qu’ils n’ont jamais été agressés ? Et pourquoi est-ce que le président Kabila irait s’immiscer dans une opération d’un homme des droits de l’Homme ? Il y a des gens qui ont plus critiqué le président Kabila que celui-là.
-BH : Oui, la justice, en tout cas, va faire son travail là-dessus, on l’espère.
-AM : Nous y croyons.
-BH : Merci, Monsieur le Premier ministre.
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