CEUX QUI ISOLENT KABILA
Le PPRD a opté systématiquement pour les manières fortes pour rythmer la vie démocratique en République démocratique du Congo. La loi du plus fort est devenue un mode de gestion politique de tous les défis qui se posent à la marche du pays. Visiblement, la machine est contrôlée complètement par les durs, les faucons, qui ont juré de ne rien lâcher, ni céder. Ils se recrutent aussi bien dans le gouvernement que dans d’autres services de l’Etat. Croyant servir le chef de l’Etat, ils travaillent plutôt à son isolement, l’éloignant davantage du peuple et de la communauté internationale.
Parviendra-t-on à organiser les élections en cette année 2016 ? La population y croit. Au même moment, le PPRD multiplie des stratégies pour contourner le verrou constitutionnel qui empêche son autorité morale, le chef de l’Etat, Joseph Kabila, à prétendre à un troisième mandat. Auprès des partisans du président Kabila, on ne fait plus mystère sur le schéma en cours d’exécution. Lorsque les opposants scandent en argot kinois « Kabila yebela, mandat esili » (Kabila sache-le, le mandat est à son terme) ; à la majorité on rétorque « Opposition yebela, élection ekozala te » (Opposition sache-le, il n’y aura pas d’élection).
A l’Opposition, on ne dort pas sur ses lauriers et on s’organise. Dans ses rangs, deux importantes plateformes se sont créées, avec pour seul objectif de bloquer la route à la majorité au pouvoir en cas de forcing pour imposer Kabila à la prochaine présidentielle. Le « Front citoyen 2016 » et la Dynamique de l’Opposition travaillent en synergie pour barrer la voie à cette volonté manifeste de violer la Constitution et le « pacte républicain » issu de Sun City.
L’année 2016 est éminemment politique et risque d’être très agitée. Tous les signaux corroborent ces prédictions.
Dans le souci de faire glisser le cycle électoral, le PPRD n’a pas renoncé à son projet. Il multiplie les stratégies de glissement. En 2013, toutes les tentatives se sont butées à une résistance farouche de la population. Sans désarmer, le PPRD tente de faire les choses différemment en se saisissant de la vielle proposition de dialogue de l’opposition. Ayant compris la manœuvre, c’est un refus catégorique qui est embouché. Les concertations nationales ont été convoquées à cette fin. Mais, boycottée par une frange importante de l’Opposition, les Concertations nationales n’ont finalement accouché que d’une souris – loin des attentes de la Majorité. Même le conseil de sécurité, qui avait apporté sa caution par la présence des ambassadeurs qui le compose, a déchanté.
Malgré tous les appels de pied, le projet de convocation d’un dialogue, censé baliser la voie pour des élections libres et apaisées, passe mal dans l’opinion. Les difficultés d’attirer plus de monde possible autour de ce forum ont fait perdre son sang- froid à la MP. Certains de ses ténors ont pété le plomb en promettant le chaos si jamais le dialogue n’avait pas lieu.
Une Majorité sans âme
Dans la Majorité présidentielle, la crise née de la fronde du G7 a été révélatrice de graves tensions qui couvaient déjà dans la famille politique du chef de l’Etat. Loin d’être une solution, l’exclusion de ces sept partis a plutôt plongé la MP dans le désarroi. A voir de plus près, celle-ci est aux abois. Comme le diable dans un bénitier, elle se bat, plus pour sauver les apparences que défendre son idéologie. Et même, en fait d’idéologie, la MP n’en a plus. Elle n’a pour seul rêve que celui de tirer son autorité morale des griffes constitutionnelles qui ferment la voie à un probable troisième mandat.
C’est ainsi qu’apparaît au sein de la MP une nouvelle race composée de bagarreurs. Alors que le navire tangue, autour de son capitaine, les durs des durs rassurent en multipliant des stratégies les plus invraisemblables afin de tenter le tout pour le tout. Ils se recrutent aussi dans le gouvernement que dans diverses institutions de la République.
Le PPRD porte sur ses épaules la responsabilité des coups de semonce sur la Constitution et le bon fonctionnement de la démocratie. Baroudeur, il agit comme un tracteur qui voudrait percer les montagnes. Il n’hésite pas à affronter le danger, sans jamais se dédire. C’est avec lui, se rappelle-t-on, qu’a été lancé le projet de révision de la Constitution, sous les termes de l’inanition de la nation si l’on s’entêtait à emprunter cette voie. Quand il s’est agi de réviser quelques dispositions de la loi électorale en conditionnant la tenue des élections au recensement et à l’identification, c’est encore lui qui a été envoyé au front au Parlement.
Le PPRD apparaît comme le gardien du temple et le dernier rempart du pouvoir. C’est pourquoi il n’hésite pas à s’afficher chaque fois qu’il faut exhiber les moyens publics de répression. Il adule cet exercice, prêt à assumer jusqu’au bout sa loyauté envers l’autorité morale de la MP.
Si le PPRD quadrille le terrain, en reposant ses actes sur tous les services publics, il est appuyé directement par le porte-parole du gouvernement. Le rôle de ce dernier est de répondre au coup pour coup, lorsque la MP se sent en insécurité. Son terrain de prédilection est les médias.
Dans les coulisses, il est parmi les rares membres du gouvernement qui voient le chef de l’Etat à temps et à contretemps. Il n’a pas besoin d’une audience ou d’une autorisation de son chef hiérarchique pour voir le raïs, murmure-t-on. Au sein du gouvernement, il parait comme un électron libre qui n’a de comptes à rendre qu’à la plus haute hiérarchie.
En outre, la police nationale, l’armée et les services de renseignements sont tout autant au service du PPRD dans sa quête du glissement. Aussi ne lésine-t-il pas sur les moyens pour se mettre en branle. Sa marge d’action est certes énorme, mais sa stratégie semble l’éloigner davantage du peuple, seul détenteur du pouvoir.
En refusant toute contradiction dans ses rangs, la Majorité s’est recroquevillée sur elle-même, perdant le sens de compromis dans tout combat politique. En érigeant le dialogue comme l’unique solution à la crise, et en tenant absolument à le contrôler afin de faire passer son agenda caché de violation de la Constitution, elle est devenue un lion blessé dont les réactions sont imprévisibles parce qu’elle se trouve partagée entre la survie ou sa disparition.
Tous les observateurs de la scène politique sont convaincus que la fronde du G7 pouvait se régler autrement que par l’exclusion. La restriction des libertés individuelles ne profite pas non plus au pouvoir en place. Bien au contraire, elle l’isole davantage et dessert totalement le chef de l’Etat.
En pensant raffermir la forteresse (police, armée et services des renseignements) pour la sauvegarde de son pouvoir, le PPRD– son autorité morale avec lui – perd du terrain en termes d’assises populaires. Le peuple se reconnaît de moins en moins dans le pouvoir en place. En refermant le chef de l’Etat dans une logique de confrontation, le PPRD a presque perdu les repères. Ainsi, lorsqu’il appelle de tous ses vœux à la tenue du dialogue, il se contredit en traquant systématiquement au même moment ses opposants. L’Opposition est privée du droit de s’exprimer, d’exister. Cette violation des droits humains ne cesse de provoquer la colère de la communauté internationale.
D’une pierre deux coups, les faucons sont en train de reléguer le président Kabila à la situation de Mobutu vers les années 1990 !
Le passé qui peut inspirer
En politique, dit-on, on ne ferme jamais la porte à ses détracteurs. Pendant le long règne de la 2ème République, l’ex-président Mobutu a su matérialiser cette maxime. Dans son règne, il a cherché par tous les moyens à approcher ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ne partageaient pas son discours. Et les exemples sont légion. Mulele, Nguz, Mungul Diaka, Tshisekedi, Kibasa, Lihau, Mbwankiem, et bien d’autres ont échangé directement avec Mobutu sans que son pouvoir ne s’en ressente. Bien au contraire, le pays a bénéficié d’un apaisement qui a profité au règne du maréchal du Zaïre.
La politique de la pensée unique sur laquelle le PPRD a bâti toute sa stratégie de sauvegarde de « son » pouvoir ne lui sera pas profitable. Loin de là. Sans le savoir, il isole chaque jour qui passe son autorité morale. Il faut craindre que cet isolement visiblement perceptible à l’intérieur ne s’étende au-delà des frontières nationales.
Par ailleurs, le glissement que la MP appelle de tous ses vœux va créer un vide juridique dans lequel personne ne sortira vainqueur. Que vaudront alors les institutions issues d’élections de 2011 si la Constitution qui les sous-tend tombait caduque ? De quelle légitimité se prévaudront-elles face à d’éventuelles actions de désobéissance civile qui se profilent à l’horizon? C’est ce que le nouveau chef de la Monusco a invoqué le week-end passé en rappelant aux uns et aux autres que personne ne saurait maitriser la rue en cas de débordement.
Au PPRD, il n’est pas trop tard pour se ressaisir et changer de tactique. La meilleure façon de rendre service à Joseph Kabila est d’aller à l’écoute du peuple. Tout acte contraire serait périlleux.
LE POTENTIEL
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