Le dialogue national a échoué
INTERNATIONAL L’espace politique de Kabila ne s’en trouve pas élargi, juge le Pr Jean Omasombo.
Congo-Kinshasa Entretien Marie-France Cros
Avec une semaine
de retard, les concertations nationales voulues par Joseph Kabila, pour
"rétablir davantage la cohésion nationale" (voir "La Libre" du 4 septembre), se
sont terminées samedi. Lors de la cérémonie de clôture, le chef de l’Etat a
annoncé qu’il convoquait pour jeudi un Congrès des deux assemblées du Parlement
pour débattre de projets de loi fondés sur les recommandations des participants
au dialogue national, qui n’ont pas été rendues publiques. "Je vais soumettre ce
rapport et réunir les deux Chambres pour montrer au pays ce qui a été accompli,
afin que nous avancions sur ces mesures importantes", a-t-il dit, sans donner
plus de détails.
Rappelons que les dirigeants d’opposition, qui contestent la
validité de l’élection présidentielle de 2011, ont refusé de prendre part à ces
concertations. Nous avons demandé au politologue Jean Omasombo (Musée d’Afrique
centrale de Tervuren et université de Kinshasa) d’analyser les résultats de cet
exercice.
A quoi ont servi ces concertations ? Pas à
grand-chose, au vu des résultats, si ce n’est d’insister sur l’application de la
décentralisation, sur la création d’un gouvernement d’union nationale, sur le
rapatriement de la dépouille de Mobutu… La montagne a accouché d’une souris ?
Oui, parce que l’exercice était mal engagé. Dès avant l’ouverture de ce forum,
il y a eu une large opposition à ce qu’il aboutisse à modifier la Constitution,
parce qu’en juin dernier, le secrétaire général du parti présidentiel, Evariste
Boshab, avait publié un livre plaidant dans ce sens. Cela avait été compris
comme une préparation à l’autorisation, pour le chef de l’Etat, de briguer un
troisième mandat. Joseph Kabila a été, du coup, obligé de mettre ce point de
côté. Mais il a refusé de promettre, comme le demandait l’opposition pour
participer aux concertations - qu’elle a finalement largement boycottées - qu’il
n’y aurait pas de modification dans ce sens. C’est vrai, mais il n’a pas non
plus plaidé en sa faveur, alors qu’il n’aurait pas pu argumenter sur le thème :
la Constitution actuelle a été dictée dans un contexte de sortie de guerre qui
n’est plus de mise aujourd’hui.
Le coprésident des concertations, Léon
Kengo, a, lui, créé la surprise en annonçant que le forum se terminerait par la
formation d’un gouvernement d’union nationale… Il voulait montrer à Kabila qu’il
pouvait attirer dans l’orbite de la majorité présidentielle une partie au moins
de l’opposition. Il l’avait déjà fait en 1993-1994, et était parvenu, ainsi, à
prolonger le pouvoir de Mobutu. Mais seul le parti de Bemba a accepté. Cette
preuve de charisme se serait ajoutée à son autorité - élément qui manque dans le
camp Kabila - et au fait qu’il est écouté par la communauté internationale. Mais
sa proposition a provoqué la panique dans le camp présidentiel et au Katanga
(NdlR : province d’origine du Président), qui craignent que Kengo, plus rusé et
près de quarante ans plus vieux que Kabila, arrive à lui ravir le pouvoir et à
déplacer son centre vers l’Ouest.
Donc, au total, Joseph Kabila se
retrouve, après les concertations, au même point qu’avant. Il doit trouver
comment concrétiser la décentralisation prévue par la Constitution, alors qu’au
Katanga, le président de l’Assemblée provinciale, Gabriel Kyungu, a déjà refusé
celle-ci si l’accroissement prévu des ressources provinciales (NdlR : 40 % des
rentrées retenues à la source) ne l’accompagne pas. Il doit aussi changer son
gouvernement de technocrates - mais qui choisir comme Premier ministre ?
Reconduire Matata ? Prendre Kengo ? Ce serait se mettre en danger. Et l’ancien
gouverneur de la Banque centrale, Jean-Claude Masangu, aujourd’hui "chômeur",
réclame le poste au nom des Lubakat (Luba du Katanga) et du Katanga. Choisir le
Kasaïen Boshab, parce qu’il dirige le PPRD, parti du Président et officiellement
le plus important ? Le choix n’est pas évident…
Bref, la patate
chaude est à nouveau dans les mains du chef de l’Etat. Joseph Kabila est donc
dans une impasse ? Les concertations ne l’ont pas aidé - et pas à cause de
l’opposition. Il voulait élargir son espace politique, ce qu’il n’a pas obtenu.
Aujourd’hui, il n’a plus d’excuses. Il ne peut plus se retrancher derrière sa
jeunesse, sa virginité politique et l’espoir d’une démarcation par rapport à la
gestion de ses prédécesseurs. Depuis son élection en 2006, il peine à se trouver
un style, une apparence, un langage. Il ne possède pas la verve oratoire pugnace
et persuasive d’un Lumumba, ni le charisme et l’autorité d’un Mobutu ni la
richesse supposée d’un Tshombé. Ce n’est donc que par son action politique qu’il
devrait être reconnu. Maintenant, il doit se décider."
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