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SACREBOPOL

mercredi 29 janvier 2014

Muzungu anasema

                               Muzungu anasema

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo


Dans les années 70/80, les Kassapards (étudiants de l’Université de Lubumbashi) originaires de l’ouest avaient l’habitude de taquiner leurs camarades du Shaba (actuel Katanga) en les appelant « Muzungu anasema » (L’homme blanc a dit), question de souligner leur complexe d’infériorité vis-à-vis des Blancs. Le complexe du colonisé ne fut pas l’apanage du Katanga. Il fut et reste d’actualité sur toute l’étendue du Congo et de l’Afrique surtout dans un domaine névralgique, les institutions étatiques. C’est pour cette raison que nous avions conclu en ces termes l’énième article (Puisque cela marche ailleurs, ça devrait marcher chez nous) sur la thèse que nous avons toujours défendue à ce sujet : « Il faudrait peut-être que les Blancs, colonisateurs d’hier, viennent nous tenir ce langage pour que nous sortions enfin de notre hibernation et que nous nous posions les questions qu’imposent des processus de démocratisation toujours consternants à l’échelle non pas d’un pays mais de toujours un continent ».

Nous ne pensions pas si bien dire. Aussitôt que nous avions envoyé notre article à la rédaction de Congo Indépendant le 26 janvier dernier, nous avions pris place au salon devant l’écran de télévision pour suivre l’une de nos émissions préférées sur TV5 Monde (France, Belgique et Suisse). De 15h15 à 15h35, Xavier Colin, journaliste et producteur de Geopilitis à la Radio Télévision Suisse Romande (RTS), s’est penché sur les inégalités dans les monde. En 35 ans de journalisme dont 13 années à Europe N° 1 et depuis 1987 à la RTS, Colin est resté avant tout un journaliste toujours curieux et content de découvrir le monde, d’essayer de le comprendre et surtout de tenter de l’expliquer. Son principe est toujours le même : il veut expliquer ce qui se passe dans notre monde et le remettre dans son contexte.

L’émission nous apprenait que moins de 1% de la population terrestre détient 40% du patrimoine mondial qui se chiffrerait à 223 mille milliards de dollars. Les inégalités existent non seulement entre les nations, mais également à l’intérieur de celles-ci. Dans la ville de New York, par exemple, où vivent des centaines de millier de millionnaires, 21% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Concernant les inégalités entre les nations, force est de constater qu’en dépit ou à cause de la mondialisation, l’écart entre les pays riches et certains pays pauvres se réduit de plus en plus, cas des pays dits émergeant, tandis qu’il se creuse davantage par rapport à d’autres. Pourquoi ?

Aussitôt que Xavier Colin avait posé cette question, nous ne pouvions nous empêcher de penser à Kolomabele qui, critiquant notre diagnostic du mal congolais ou africain, a écrit : « Le problème du Congo ou de l’Afrique ne réside pas dans la démocratie importée de l’Occident. Nous devrions nous poser la question suivante : pourquoi les autres sociétés composées d’hommes et de femmes comme nous avancent alors que nous, on recule ». Sacré Kolomabele ! Pour répondre à cette question, Xavier Colin a invité un professionnel de la pensée ayant les deux pieds sur terre : Jean-Louis Arcand.

Quand on lance un moteur de recherche sur le nom ci-dessus, on tombe entre autres sur les informations suivantes : Jean-Louis Arcand est professeur d’économie du développement à l’Institut de Hautes Etudes Internationales et du Développement (IHEID) de Genève. Détenteur d’un doctorat en économie du Massachusetts Institute of Technology (MIT), Etats-Unis, il est éditeur associé du Journal of African Economies et de la Revue d’Economie du Développement, corédacteur de la revue European Journal of Development Research, membre fondateur de l’Union européenne Réseau Développement (EUDN) et Senior Fellow à la Fondation pour les études et recherches en Développement international (FERDI). Il dirige actuellement des évaluations d’impact, s’étalant sur plusieurs années, en Angola, au Burkina Faso, au Burundi, au Cameroun, en Gambie, au Mali, au Maroc et au Sénégal, où les sujets abordés vont du parrainage par les pairs comme stratégie de sensibilisation dans la lutte contre le VIH/SIDA, au renforcement des capacités des organisations paysannes afin d’améliorer la sécurité alimentaire.

Pour le professeur Arcand, deux facteurs expliquent pourquoi certains pays pauvres réduisent leur écart avec les pays riches tandis que d’autres, comme le nôtre, continuent à le creuser davantage. Il s’agit de la géographie et des institutions. Quand cette réponse était tombée, nous avions sauté sur un bloc-notes et un stylo pour ne rien perdre de ce que l’invité de Xavier Colin dirait d’important, car un article était déjà en gestation quelque part dans notre cerveau.

Le journaliste n’avait pas cherché à en savoir davantage quand le professeur avait expliqué que la situation géographique de certains pays pauvres, l’enclavement en particulier, constitue un réel handicap dans la création des richesses. Mais au sujet des institutions (politiques et économiques), Colin a posé la question de savoir qu’Est-ce qu’elles doivent avoir de spécial pour qu’un pays pauvre émerge enfin. Réponse du professeur : « Il s’agit là d’un chemin que chaque pays doit trouver lui-même ». Faut-il rappeler que c’est justement ce que nous nous efforçons de faire comprendre à nos compatriotes depuis le 24 avril 1990, date du coup d’envoi officiel du deuxième processus de démocratisation dans notre pays où la mauvaise gouvernance n’a jamais été en meilleure santé qu’aujourd’hui et cela après deux élections dites démocratiques ?

Les violations constitutionnelles par le premier magistrat du pays et les autres anti-valeurs que l’on peut observer et déplorer du sommet à la base de la pyramide sociale au Congo et ailleurs en Afrique ne sont pas inhérents à une quelconque culture congolaise ou africaine. Ce sont plutôt des résultats obligés de la culture de l’impunité, la fille aînée de mauvaises instituions qui placent automatiquement le président de la république au dessus de la loi ; ce qui lui donne l’occasion de distribuer, selon son bon vouloir, des parcelles de cette impunité à sa clientèle. Cela signifie que quand les institutions seront conçues avec réalisme, au lieu d’être importées aveuglement de l’Occident, les présidents africains deviendront justiciables, la culture de l’impunité reculera et avec elle, les autres antivaleurs.

On peut comprendre que quelques intellectuels passent à côté du bon diagnostic de la perpétuelle descente aux enfers du Congo et de l’Afrique. Mais que toute l’élite intellectuelle et politique du pays ou du continent ne trouve rien à reprocher aux institutions ; qu’aucun débat ne soit amorcé à ce sujet depuis l’indépendance au niveau des partis ou à celui de la nation entière lors de ses différents grands rendez-vous avec l’histoire, il y a de quoi désespérer de notre avenir. Nous osons espérer que cet article va enfin libérer les esprits, longtemps otages de la colonisation des cerveaux. Car désormais, « Muzungu anasema ».


Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo 
© Congoindépendant 2003-2014

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