Le câble daté du 8 mai 2009 (09KINSHASA453) relate une longue discussion entre l’ambassadeur américain en RDC William J. Garvelink et Kikaya Bin Karubi, ancien secrétaire particulier du président congolais Joseph Kabila. Au menu : l'affaire Kamerhe, les relations Rwanda-RDC, Africom... Traduction des principaux passages du document.
1) Résumé : Le 30 avril, l’ambassadeur William J. Garvelink a rencontré Kikaya Bin Karubi, ancien secrétaire privé du président Kabila et ambassadeur auprès du Royaume-Uni, pour une longue et franche discussion. Les sujets abordés comprenaient le statut de Freeport McMoran, les origines et conséquences de la crise autour de Kamerhe, le prochain remaniement ministériel, les relations entre la RDC et le Rwanda, la visite récente du général Ward [ex-commandant d’Africom, NDLR] et les coulisses de la présidence. Karubi croit que le conseiller Augustin Katumba est devenu l’unique point d’accès au président, causant l’isolement de Kabila par rapport aux dirigeants étrangers.
Sujet économiques : 2) Lors d’une rencontre le 30 avril avec l’ambassadeur, le DCM [deputy chief of mission, ambassadeur adjoint, NDLR] et le PolOff [Politic Officer, diplomate chargé des affaires politiques à l’ambassade, NDLR], Kikaya Bin Karubi (ancien secrétaire particulier du président Kabila, ayant obtenu un master et un doctorat en philosophie à l’université de Boston et actuellement ambassadeur en Grande-Bretagne) a déclaré avoir essayé de convaincre le président Kabila d’en faire plus pour attirer des investissements américaines en RDC. Il a fait remarquer que Freeport McMoran (contrairement à d’autres sociétés qu’il a qualifiées de « cowboys » venant en RDC dans le seul but de s’enrichir rapidement) avait une vision à long terme pour ses opérations dans le pays. L’ambassadeur a insisté sur le fait que la crise financière mondiale avait eu des conséquences sur Freeport et que, sans aucun signe positif de la part du gouvernement congolais dans le contrat, la société ne pouvait pas continuer à justifier ses opérations en RDC alors qu’elle licencie des employés aux États-Unis. L’ambassadeur a aussi souligné que, en général, les hommes d’affaires américains veulent venir en RDC mais hésitent en raison de l’investissent demandé et des conditions de sécurité.
L’affaire Kamerhe : 3) Karubi a déclaré que la récente saga avec l’ancien président de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe, était due à l’ambition excessive de celui-ci. Il a souligné que la famille de Karubi était responsable de l’ascension au pouvoir de Kamerhe au fil des années, laissant entendre que Kamerhe devait à Kabila sa loyauté. Karubi a insisté sur le fait qu’il n’aurait pas été difficile d’obtenir le soutien des parlementaires pour les opérations communes avec les Rwandais, si cela n’avait pas éveillé trop de mauvais sentiments. Démentant catégoriquement le fait que Kamerhe ait été pris au dépourvu quand l’opération contre le FDLN a commencé, Karubi a soutenu que Kabila avait informé directement Kamerhe sur l’affaire.
Kamerhe a intérêt à être préparé à l’exil permanent, sinon le cimetière de Gombe n’est pas loin.
4) Kamerhe est actuellement en Afrique du Sud et va bientôt partir en Grande-Bretagne, dit Karubi, peut-être pour préparer sa prochaine étape politique. Cependant, si Kamerhe pense vouloir prendre la place de Kabila par la force, il a intérêt à être préparé à l’exil permanent « sinon le cimetière de Gombe n’est pas loin ». De manière déconcertante, il a affirmé que les personnalités et les partis politiques en Afrique ont besoin de la force militaire pour réussir, soulignant que lors des élections présidentielles précédentes, le pouvoir est revenu aux deux camps qui avait des milices. « La non-violence ne fonctionne pas ici, a ajouté Karubi. Ce n’est pas les États-Unis, la Grande-Bretagne ou la France » (...)
Remaniement ministériel
6) Karubi a affirmé que le CNDP [Congrès national pour la défense du peuple, ex-rébellion, NDLR] serait représenté au sein du nouveau gouvernement, bien qu’il soit difficile de savoir quand il sera formé. Le parti UDEMO [Union des Démocrates Mobutistes, NDLR] de Joseph Nzanga Mobutu sera probablement le perdant de ce remaniement. Le Premier ministre Muzito gardera son poste jusqu’en 2011, étant donné le besoin d’alliés venant de la partie ouest du pays. La clique au pouvoir n’est pas populaire à Kinshasa, a admis Karubi ; pour cette raison, il aurait été préférable de trouver un Premier ministre originaire de la capitale. Mais, puisque personne ne remplit cette fonction, Kabila essaie de convaincre les populations locales par d’autres moyens – l’argent provenant de contrats chinois, par exemple, sera en partie consacré à la construction de routes à Kinshasa.
Relations Rwanda- RDC :
Les Rwandais peuvent garder Nkunda "comme un chien en laisse".
7) Karubi a affirmé que les Rwandais pouvaient garder Nkunda « comme un chien en laisse », prêt à le remettre en action si besoin. Malgré cela et malgré la situation tendue entre les deux pays, il a déclaré qu’il avait poussé Kabila à parler à Kagamé, il y a quelques années. C’était sur son téléphone que le bureau de Kagamé appelait pour joindre Kabila, a dit Karubi.
8) Le gouvernement congolais essaie désormais de trouver l’ambassadeur approprié pour le poste de Kigali. Kabila veut que ce nouvel ambassadeur soit une femme, dans le but de « séduire » ; il ne veut pas envoyer quelqu’un ayant une expérience militaire ou de sécurité. Le gouvernement de la RDC a expulsé des squatters à l’ambassade du Rwanda à Kinshasa et paiera pour les dégâts matériels. Sans entrer dans les détails, Karubi a déclaré que l’ambassadeur rwandais qui avait été proposé pour Kinshasa posait problème parce qu’il était Congolais et non Rwandais. (Note : Radio Okapi a rapporté le 7 mai que le gouvernement rwandais avait nommé Amandin Rugira comme nouvel ambassadeur à Kinshasa. Lors d’une rencontre le 7 mai avec le PolCouns [le conseiller de l’ambassade chargé des affaires politiques, NDLR] et le PolOff, le responsable du bureau pour l’Afrique et le Moyen-Orient de ministère congolais des Affaires étrangères a affirmé que son gouvernement avait soumis à l’approbation de la présidence un nom pour l'ambassade de Kigali.
Africom et problèmes de personnel à la présidence :
9) Karubi a affirmé qu’il avait dit à Kabila que Africom était l’occasion pour la RDC de jouer un rôle central en Afrique. Il a dit avoir déclaré au président que personne n’attaquerait la RDC si elle était considérée comme amie des États-Unis. L’ambassadeur a ensuite soulevé le fait que non seulement il n’y a eu aucune rencontre entre Kabila et le général Ward [ex-commandant d’Africom, NDLR] durant la dernière visite de ce dernier à Kinshasa, mais que la présidence ne lui avait donné aucune indication à propos d’une telle rencontre, malgré les multiples sollicitations d’aides et de conseillers haut-placés à la présidence. Karubi a promis de parler de ce sujet à Kabila.
Augustin Katumba Mwanke, conseiller présidentiel de l'ombre, a réussi à isoler Kabila de tout le monde.
10) Karubi a raconté qu’un membre haut-placé du gouvernement anglais avait rencontré le même problème. Celui-ci a signalé en vain l’importance d’une rencontre avec le président à l’entourage de ce dernier. Puis Karubi a simplement appelé Kabila directement, qui l’a interrogé sur la nécessité de cette rencontre. Il affirme que cette situation provient du drame avec le ministre belge des Affaires étrangères De Gucht ; touché par cet épisode, Kabila ne veut plus subir d’intimidation de la part de responsables étrangers. Selon Karubi, il y a cependant un problème annexe : Augustin Katumba Mwanke, conseiller présidentiel de l'ombre, a réussi à isoler Kabila de tout le monde. (…) Katumba nomme des gens qui lui sont fidèles à lui, et non pas au président.
11) Commentaire : à l’aise en anglais et détendu avec les Américains, Karubi nous témoigne un degré de franchise inhabituel chez les responsables congolais, ce qui en soi suffit à prouver son pouvoir et son influence. Il se voit clairement comme particulièrement proche du président, jusqu’à se voir comme l'égal (diplomatique) de Katumba Mwanke et confesser que de nombreux conseillers présidentiels, comme Seraphin Ngwej, n’ont en réalité pas accès à Kabila. Quoi qu'il en soit, ses remarques à propos de l’inefficacité de la non-violence, celles, désinvoltes, sur la sécurité de Kamerhe, et son absence de gêne à évoquer un manque de transparence vis-à-vis du Parlement apportent un éclairage, certes déconcertant, sur ce que sont probablement les considérations habituelles des membres de l’élite congolaise sur la nature de la politique en RDC, même si la plupart n’oseraient jamais en parler avec nous de manière aussi crue.
1) Résumé : Le 30 avril, l’ambassadeur William J. Garvelink a rencontré Kikaya Bin Karubi, ancien secrétaire privé du président Kabila et ambassadeur auprès du Royaume-Uni, pour une longue et franche discussion. Les sujets abordés comprenaient le statut de Freeport McMoran, les origines et conséquences de la crise autour de Kamerhe, le prochain remaniement ministériel, les relations entre la RDC et le Rwanda, la visite récente du général Ward [ex-commandant d’Africom, NDLR] et les coulisses de la présidence. Karubi croit que le conseiller Augustin Katumba est devenu l’unique point d’accès au président, causant l’isolement de Kabila par rapport aux dirigeants étrangers.
Sujet économiques : 2) Lors d’une rencontre le 30 avril avec l’ambassadeur, le DCM [deputy chief of mission, ambassadeur adjoint, NDLR] et le PolOff [Politic Officer, diplomate chargé des affaires politiques à l’ambassade, NDLR], Kikaya Bin Karubi (ancien secrétaire particulier du président Kabila, ayant obtenu un master et un doctorat en philosophie à l’université de Boston et actuellement ambassadeur en Grande-Bretagne) a déclaré avoir essayé de convaincre le président Kabila d’en faire plus pour attirer des investissements américaines en RDC. Il a fait remarquer que Freeport McMoran (contrairement à d’autres sociétés qu’il a qualifiées de « cowboys » venant en RDC dans le seul but de s’enrichir rapidement) avait une vision à long terme pour ses opérations dans le pays. L’ambassadeur a insisté sur le fait que la crise financière mondiale avait eu des conséquences sur Freeport et que, sans aucun signe positif de la part du gouvernement congolais dans le contrat, la société ne pouvait pas continuer à justifier ses opérations en RDC alors qu’elle licencie des employés aux États-Unis. L’ambassadeur a aussi souligné que, en général, les hommes d’affaires américains veulent venir en RDC mais hésitent en raison de l’investissent demandé et des conditions de sécurité.
L’affaire Kamerhe : 3) Karubi a déclaré que la récente saga avec l’ancien président de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe, était due à l’ambition excessive de celui-ci. Il a souligné que la famille de Karubi était responsable de l’ascension au pouvoir de Kamerhe au fil des années, laissant entendre que Kamerhe devait à Kabila sa loyauté. Karubi a insisté sur le fait qu’il n’aurait pas été difficile d’obtenir le soutien des parlementaires pour les opérations communes avec les Rwandais, si cela n’avait pas éveillé trop de mauvais sentiments. Démentant catégoriquement le fait que Kamerhe ait été pris au dépourvu quand l’opération contre le FDLN a commencé, Karubi a soutenu que Kabila avait informé directement Kamerhe sur l’affaire.
Kamerhe a intérêt à être préparé à l’exil permanent, sinon le cimetière de Gombe n’est pas loin.
4) Kamerhe est actuellement en Afrique du Sud et va bientôt partir en Grande-Bretagne, dit Karubi, peut-être pour préparer sa prochaine étape politique. Cependant, si Kamerhe pense vouloir prendre la place de Kabila par la force, il a intérêt à être préparé à l’exil permanent « sinon le cimetière de Gombe n’est pas loin ». De manière déconcertante, il a affirmé que les personnalités et les partis politiques en Afrique ont besoin de la force militaire pour réussir, soulignant que lors des élections présidentielles précédentes, le pouvoir est revenu aux deux camps qui avait des milices. « La non-violence ne fonctionne pas ici, a ajouté Karubi. Ce n’est pas les États-Unis, la Grande-Bretagne ou la France » (...)
Remaniement ministériel
6) Karubi a affirmé que le CNDP [Congrès national pour la défense du peuple, ex-rébellion, NDLR] serait représenté au sein du nouveau gouvernement, bien qu’il soit difficile de savoir quand il sera formé. Le parti UDEMO [Union des Démocrates Mobutistes, NDLR] de Joseph Nzanga Mobutu sera probablement le perdant de ce remaniement. Le Premier ministre Muzito gardera son poste jusqu’en 2011, étant donné le besoin d’alliés venant de la partie ouest du pays. La clique au pouvoir n’est pas populaire à Kinshasa, a admis Karubi ; pour cette raison, il aurait été préférable de trouver un Premier ministre originaire de la capitale. Mais, puisque personne ne remplit cette fonction, Kabila essaie de convaincre les populations locales par d’autres moyens – l’argent provenant de contrats chinois, par exemple, sera en partie consacré à la construction de routes à Kinshasa.
Relations Rwanda- RDC :
Les Rwandais peuvent garder Nkunda "comme un chien en laisse".
7) Karubi a affirmé que les Rwandais pouvaient garder Nkunda « comme un chien en laisse », prêt à le remettre en action si besoin. Malgré cela et malgré la situation tendue entre les deux pays, il a déclaré qu’il avait poussé Kabila à parler à Kagamé, il y a quelques années. C’était sur son téléphone que le bureau de Kagamé appelait pour joindre Kabila, a dit Karubi.
8) Le gouvernement congolais essaie désormais de trouver l’ambassadeur approprié pour le poste de Kigali. Kabila veut que ce nouvel ambassadeur soit une femme, dans le but de « séduire » ; il ne veut pas envoyer quelqu’un ayant une expérience militaire ou de sécurité. Le gouvernement de la RDC a expulsé des squatters à l’ambassade du Rwanda à Kinshasa et paiera pour les dégâts matériels. Sans entrer dans les détails, Karubi a déclaré que l’ambassadeur rwandais qui avait été proposé pour Kinshasa posait problème parce qu’il était Congolais et non Rwandais. (Note : Radio Okapi a rapporté le 7 mai que le gouvernement rwandais avait nommé Amandin Rugira comme nouvel ambassadeur à Kinshasa. Lors d’une rencontre le 7 mai avec le PolCouns [le conseiller de l’ambassade chargé des affaires politiques, NDLR] et le PolOff, le responsable du bureau pour l’Afrique et le Moyen-Orient de ministère congolais des Affaires étrangères a affirmé que son gouvernement avait soumis à l’approbation de la présidence un nom pour l'ambassade de Kigali.
Africom et problèmes de personnel à la présidence :
9) Karubi a affirmé qu’il avait dit à Kabila que Africom était l’occasion pour la RDC de jouer un rôle central en Afrique. Il a dit avoir déclaré au président que personne n’attaquerait la RDC si elle était considérée comme amie des États-Unis. L’ambassadeur a ensuite soulevé le fait que non seulement il n’y a eu aucune rencontre entre Kabila et le général Ward [ex-commandant d’Africom, NDLR] durant la dernière visite de ce dernier à Kinshasa, mais que la présidence ne lui avait donné aucune indication à propos d’une telle rencontre, malgré les multiples sollicitations d’aides et de conseillers haut-placés à la présidence. Karubi a promis de parler de ce sujet à Kabila.
Augustin Katumba Mwanke, conseiller présidentiel de l'ombre, a réussi à isoler Kabila de tout le monde.
10) Karubi a raconté qu’un membre haut-placé du gouvernement anglais avait rencontré le même problème. Celui-ci a signalé en vain l’importance d’une rencontre avec le président à l’entourage de ce dernier. Puis Karubi a simplement appelé Kabila directement, qui l’a interrogé sur la nécessité de cette rencontre. Il affirme que cette situation provient du drame avec le ministre belge des Affaires étrangères De Gucht ; touché par cet épisode, Kabila ne veut plus subir d’intimidation de la part de responsables étrangers. Selon Karubi, il y a cependant un problème annexe : Augustin Katumba Mwanke, conseiller présidentiel de l'ombre, a réussi à isoler Kabila de tout le monde. (…) Katumba nomme des gens qui lui sont fidèles à lui, et non pas au président.
11) Commentaire : à l’aise en anglais et détendu avec les Américains, Karubi nous témoigne un degré de franchise inhabituel chez les responsables congolais, ce qui en soi suffit à prouver son pouvoir et son influence. Il se voit clairement comme particulièrement proche du président, jusqu’à se voir comme l'égal (diplomatique) de Katumba Mwanke et confesser que de nombreux conseillers présidentiels, comme Seraphin Ngwej, n’ont en réalité pas accès à Kabila. Quoi qu'il en soit, ses remarques à propos de l’inefficacité de la non-violence, celles, désinvoltes, sur la sécurité de Kamerhe, et son absence de gêne à évoquer un manque de transparence vis-à-vis du Parlement apportent un éclairage, certes déconcertant, sur ce que sont probablement les considérations habituelles des membres de l’élite congolaise sur la nature de la politique en RDC, même si la plupart n’oseraient jamais en parler avec nous de manière aussi crue.
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