Mis en ligne le 17/02/2012
Marie-France Cros
Ils s’étaient regroupés tôt, jeudi matin, derrière leurs prêtres, abbés et religieuses, en des cortèges conduits par des soutanes blanches et brandissant des images saintes. La Marche des chrétiens, annoncée depuis le 7 janvier, entendait"réclamer la légitimité et la légalité du pouvoir au Congo" après les élections présidentielle et législative frauduleuses du 28 novembre. La police - par des gaz lacrymogènes et des arrestations -, parfois précédée de voyous munis d’armes blanches qui ont terrorisé et frappé les fidèles, a empêché la marche.
La protestation a bien été étouffée, mais pas l’indignation ni le rejet - même si les pays "amis du Congo" font semblant de croire que leur exhortation à organiser de manière crédible les élections provinciales (déjà remises sine die) et locales sera mieux entendue que celle à procéder dans la transparence au dépouillement des bulletins au scrutin législatif, qualifié de "honte" par l’Eglise.
Le régime Kabila, profondément déstabilisé par son absence de crédibilité électorale et par la mort de son homme fort, Augustin Katumba, dimanche dernier, ne s’appuie plus, aujourd’hui, que sur la force. S’il avait mis autant de moyens et d’efforts à soulager la profonde misère des Congolais (76 % d’entre eux sont sous-nourris) qu’il en a placés dans la constitution de son appareil policier, Joseph Kabila n’aurait pas eu besoin de recourir à la fraude pour se maintenir au pouvoir. Que devra-t-il faire, dorénavant, pour y rester ?
La marche des chrétiens étouffée
Marie-France Cros
Mis en ligne le 17/02/2012
Lacrymogènes, violence et déploiement policier ont eu raison des manifestants.
Chape de plomb, jeudi, sur Kinshasa, où un impressionnant déploiement policier, parfois violent, a étouffé la Marche des chrétiens qui avait été annoncée pour ce 20e anniversaire de celle qui, sous Mobutu, avait obtenu, dans le sang, le retour au processus de démocratisation qu’il tentait d’arrêter.
Comme celle d’il y a 20 ans, la marche annoncée depuis le 7 janvier pour ce jeudi avait été interdite. Mercredi, en effet, le gouverneur de la ville de Kinshasa, André Kimbuta, a indiqué au cardinal Monsengwo que la protestation contre les résultats officiels des élections présidentielle et législative du 28 novembre - jugés par l’Eglise (qui disposait de 30 000 observateurs électoraux) "conformes ni à la vérité ni à la justice" - était interdite parce que la notification avait été déposée tardivement et que "l’itinéraire à suivre n’était pas indiqué".
L’article 26 de la Constitution de 2006 dit que "la liberté de manifestation est garantie. Toute manifestation sur les voies publiques ou en plein air impose aux organisateurs d’informer par écrit l’autorité administrative compétente". Le texte dit bien "informer" et non "demander l’autorisation ".
Depuis mercredi matin, en outre, les autorités avaient coupé le signal de RTCE (Radio Télévision catholique Elikya), ainsi que deux émetteurs d’opposition, Canal Kin et CCTV. L’association de défense des droits de l’homme Asadho y voit une "violation de l’article 24 de la Constitution ", qui consacre la liberté de la presse.
L’Eglise a maintenu la marche, qui devait avoir lieu "sans signes politiques", mais avec "des rameaux, des chapelets, des croix, des Bibles " . Et c’est ainsi que les cortèges se sont formés dans différentes paroisses, tôt le matin. Mais les fidèles ont été dispersés à coups de gaz lacrymogènes et, parfois, de violences..
Dans certaines paroisses, des "kulunas" (voyous) avaient été recrutés pour tabasser les fidèles ; un collectif regroupant 11 organisations des droits de l’homme parmi les plus connues cite notamment le cas de St-Raphaël, à Limete, où "le judoka Munshi, alias Chaleur [...] de la Ligue des Jeunes du PPRD, le parti présidentiel, à la tête d’un groupe de jeunes armés de machettes, menaçait d’entrer dans l’enceinte pour s’attaquer aux chrétiens". Selon une de nos sources, des "kulunas" ont également envahi la parcelle de Saint-Augustin de Lemba munis d’armes blanches ; la police a ensuite empêché les chrétiens d’en sortir "pour leur sécurité".
Une centaine de policiers et des auto-pompes étaient regroupés autour du point de ralliement de la marche, l’église St-Joseph de Matonge. Selon ce collectif, des femmes y ont été frappées ; une de nos sources ajoute que les violents étaient des voyous que des femmes ont alors maudit par "masoko" (montrer ses fesses nues, ce qui est considéré comme très humiliant pour le maudit). En plusieurs paroisses, des fidèles, des abbés et des religieuses ont été arrêtés et certains frappés.
La police a fait une impressionnante démonstration de force en équipement anti-émeute sur les boulevards et dans quelques quartiers, nous rapporte-t-on encore. A certains carrefours, une trentaine de policiers montaient la garde, tandis que le stade était encerclé par les forces de l’ordre.
Limete, quartier de Tshisekedi, faisait l’objet d’une concentration policière - mais c’est le cas depuis que l’opposant a revendiqué la victoire à la présidentielle et est en résidence surveillée. Son parti, l’UDPS, signale l’arrestation, jeudi, de son secrétaire général adjoint, Raymond Kahungu. Le 7 février dernier, son secrétaire général, Jacquemain Shabani, avait été arrêté à l’aéroport puis"torturé ". Il a dû être hospitalisé, selon son parti.
Les 42 parlementaires de l’UDPS dont l’élection a été reconnue par la Commission électorale - accusée de fraudes massives et dont la démission du bureau était une des revendications de la Marche des chrétiens - ont boycotté, jeudi, l’installation de l’Assemblée nationale.
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