A la veille du Sommet Etats-Unis – Afrique qui se tiendra du 5 au 6 août 2014 à Washington, DESC tente, dans une analyse descriptive, de comprendre pourquoi cette attention particulière de l’administration américaine sur la RDC.
La présente analyse ne vise pas à défendre ni à justifier la politique américaine vis-à-vis de la RDC, mais bien à tenter de comprendre, de décrypter et d’expliquer la vision de Barack Obama pour l’Afrique en général et la RDC en singulier. Il arrive fréquemment que nos lecteurs, par déficit de compréhension de nos publications, confondent une analyse descriptive à une réflexion émettant une opinion ou un positionnement personnel subjectif. Le fait d’expliquer la position actuelle américaine ne veut nullement dire que nous partageons la politique africaine des Etats-Unis. Par nos analyses, DESC met à la disposition des acteurs politiques et autres, des éléments de compréhension des enjeux politiques, géopolitiques et sécuritaires devant leur permettre d’affiner leurs stratégies ou politiques. Cela mérite d’être clarifié au préalable.
Vu la longueur de cette réflexion, nous allons la publier en trois parties pour permettre sa lecture aisée.
Au commencement étaient les élections frauduleuses
Dans un pays en quête de stabilité politique, la tenue des élections libres, transparentes et crédibles constitue un pilier du système démocratique. Elles sont également un mécanisme de légitimation des autorités permettant de concilier l’expression de choix collectifs sur des thèmes sociétaux concrets, la viabilité et la continuité de l’Etat. En ce sens, les élections contribuent à consolider la cohésion nationale, la paix civile, la Démocratie et l’Etat de droit. En conséquence, il est fondamentalement indispensable qu’elles se déroulent dans un climat politique apaisé et de consensus national de sorte que les vainqueurs qui en sortiront soient réellement ceux qui représentent la volonté exprimée par les électeurs dans les urnes. Malheureusement, tel n’a pas été le cas lors des élections de 2006 et surtout de 2011. Pour ce qui est des plus récentes, c’est-à-dire des élections de 2011, elles ont manqué de crédibilité selon les différents rapports ‘MOE UE, Centre carter, Cong SADC, Eglise catholique…’ Et pouvait-on lire ici et là : « … Il y a lieu de conclure qu’ils [les résultats] ne sont pas conformes à la vérité ni à la justice… »
Mal élu mais légitimé par la communauté internationale (CI), Kabila devait s’amender
Après l’épisode de l’élection frauduleuse de Kabila, la communauté internationale (CI), mise mal à l’aise par la pression de la rue exprimée par la diaspora congolaise de partout, a compris que Kabila devait faire plus pour apaiser la situation politique en RDC. C’est ce qu’elle exprima notamment en ces termes dans le rapport de la mission d’observation du Centre Carter : « L’organisation et la gestion chaotiques des élections du 28 novembre 2011 par la CENI ont engendré une crise de légitimité sans précédent dans l’histoire de la RDC. La recherche de solution à celle-ci impose aux acteurs congolais un franc dialogue… et un réel consensus… Dans de telles circonstances tendues et compromises, ce n’est qu’à travers un dialogue politique inclusif… que les Congolais seront en mesure de revendiquer leurs droits »
La guerre contre le M23 étant passée par là, c’est cette même communauté internationale qui est venue au chevet de la RDC, avec une armée moribonde, à la suite de la spectaculaire prise de Goma par le M23 dont les revendications à caractère communautaire et corporatiste se sont politisées et radicalisées, dénonçant les dérives du régime de Joseph Kabila dont il visait le renversement. Placé dos au mur et avec une armée en débandade, Kabila fut contraint par cette même ‘communauté internationale’ à accepter de négocier au début de décembre 2012 avec le M23. Une attitude de profil bas mal accueillie par la majorité de l’opinion publique congolaise qui s’opposait à toute négociation avec un groupe négatif considéré comme la marionnette du Rwanda. Cette situation amplifia davantage l’impopularité d’un Kabila déjà victime d’un déficit de légitimité engendré des élections frauduleuses de 2011.
La thérapie diplomatique internationale exceptionnelle sur la RDC aboutit à la signature à Addis-Abeba, le 24 février 2013, par six chefs d’Etat africains de la région, d’un Accord-cadre sur la paix, la sécurité et la coopération pour la RDC dans la région des Grands-Lacs. Dans la foulée de la signature de l’Accord-cadre, le Conseil de sécurité de l’ONU vote le 28 mars 2013 la résolution 2098 renforçant le mandat de la MONUSCO par la création d’une brigade d’intervention qui a activement contribué à aider les FARDC à remporter une victoire historique sur le M23.
Pourtant, en apposant sa signature sur l’Accord-cadre, Kabila s’est engagé et a engagé le gouvernement congolais à souscrire aux six engagements imposés à la RDC. Ces engagements ont également été rappelés dans les dispositions de résolution 2098 du CS de l’ONU qui exigeait instamment au Gouvernement de la RDC à demeurer pleinement attaché à la mise en œuvre de l’Accord-cadre. L’ONU a exigé de la RDC : « la tenue, avec les bons offices de l’Envoyée Spéciale et du Représentant Spécial du Secrétaire Général des Nations Unies, d’un dialogue politique transparent et sans exclusive entre toutes les parties prenantes congolaises en vue de favoriser la réconciliation et la démocratisation et encourager l’organisation d’élections provinciales et locales crédibles et transparentes ». Il s’agit ici du même type de dialogue recommandé par les rapports des missions électorales susmentionnées dans le but de résoudre de manière inclusive la crise dé légitimité via un franc dialogue politique inclusif afin d’aboutir à un réel consensus.
Kabila est resté autiste au message de la CI, en tête de laquelle les Etats-Unis
Malheureusement, habitué à l’imposture, Kabila essayera de contourner ces exigences de ses « légitimateurs » internationaux en organisant ses propres concertations nationales, taillées sur mesure au niveau du choix des participants et non inclusives, en même temps qu’il mettra en place une CENI politisée, là où on entendait de lui une administration électorale neutre. Des concertations, qui selon son propre entendement, visent à consolider la cohésion nationale, mise à mal à cause de la guerre contre le M23. Une absurdité car ce mouvement rebelle nocif défend un groupe socio-ethnique minoritaire qui représente moins de 1% de la population. Dès ce moment, il était évident que les concertations allaient droit dans le mur et ne lui permettront pas de mettre en place un gouvernement reflétant la cohésion nationale.
Intervenant sur la Voix d’Amérique (VOA), le lobbyiste Herman Cohen, ancien sous-secrétaire d’Etat américain aux Affaires africaines, voyant le danger arriver, avait cependant invité Joseph Kabila à nettoyer sa cour et à réformer « le système » devant cet embarras des bailleurs de fonds. Le message lui a été clairement donné sur la position des Etats-Unis dès le début 2012. Mais Kabila n’a pas jugé bon de prendre au sérieux cette mise en garde faite par un connaisseur de l’Afrique. Autiste, Kabila, aveuglé par sa majorité parlementaire nommée par le pasteur Mulunda, politisa la nouvelle CENI présidée par une de ses éminences grises, l’abbé Apollinaire Malumalu. Le but ultime de la manœuvre est de s’octroyer un troisième mandat là où la CI exige de lui de résoudre la crise actuelle de légitimité qui plombe son action politique et le contraint à la clandestinité intérieure, en devenant un président-fantôme.
En effet, lorsque la Cour suprême de justice, faisant fonction de la Cour constitutionnelle encore inexistante en 2011, confirme à la virgule près les résultats de la CENI, Hormis la Belgique – dont certains dirigeants politiques sont en collusion d’intérêts privés avec le régime Kabila – qui s’est empressée à le reconnaitre, deux réactions des pays influents en Afrique méritent d’être éclairées, la France et les Etats-Unis. Le ministère français des Affaires étrangères, dans un langage diplomatique très réservé, a déclaré « prendre note des résultats définitifs de l’élection présidentielle en RDC » et appelle « tous les acteurs politiques congolais au calme et au dialogue« . Pour leur part, les Etats-Unis, sans adresser des félicitations officielles à Kabila, ont exprimé leurs réserves par la bouche de la Secrétaire d’Etat aux affaires étrangères de l’époque, Hillary Clinton, qui s’est dit « profondément déçue » de la validation des résultats par la CSJ qui n’a pas usé de ses prérogatives pour un examen plus approfondi, critique et indépendant des résultats.
En langage diplomatique, contrairement à l’expression « prendre acte » ou féliciter qui manifestent une certaine reconnaissance explicite d’un acte posé, l’expression « prendre note » revêt une sémantique très nuancée de l’acceptation de l’acte. En effet, « prendre note » revient à « retenir une information pour s’en souvenir». Féliciter un élu, c’est ni plus ni moins reconnaitre explicitement son élection, l’approuver, le complimenter et l’applaudir. Malheureusement, l’entourage de Kabila n’a pas pris la mesure d’analyser l pertinence de ces subtilités diplomatiques (prendre note pour la France et pas de félicitations pour les Etats-Unis) qui valent leur pesant d’or. deux attitudes éloquentes de la France ont traduit dans les mois qui ont suivi la teneur de leur message à l’égard de Kabila.
- 1°) L’attitude condescendante et humiliante de François Hollande envers son homologue congolais lors du sommet de la francophonie d’octobre 2012 à Kinshasa.
- 2°) L’accueil a minima réservé à Kabila lors de sa visite à l’Elyseé en mai 2014 où l’on voit Kabila mordant la poussière lors du passage en revue de la garde d’honneur de l’Elysée, sans tapis rouge.
Pourquoi Obama fait de la RDC et de Kabila son dossier personnel ?
Le fait d’avoir donné en vain du temps à Kabila pour s’amender afin d’éviter une polarisation de la tension politique en RDC pousse Obama en fin mandat de sortir de son silence diplomatique pour appliquer sa feuille de route contenue dans son discours d’Accra.
Livrant son impression sur les capacités de Kabila à gérer la situation sécuritaire en RDC, Obama a déclaré le 1er juillet 2013 en Tanzanie : « le président Kabila doit faire plus et mieux à l’intérieur du Congo lorsqu’il s’agit de traiter la capacité de la RDC de traiter les questions de sécurité et du fonctionnement des services de sécurité… Et c’est très important, parce que cela crée un vide et le pouvoir a horreur du vide. Ainsi, s’il y a persistance de ce vide sécuritaire, ce sont parfois d’autres acteurs animés de mauvais intérêts pour le cœur Congo qui comblent la faillite du pouvoir central ».
Emboitant le pas à son chef, Russ Feingold, pour justifier l’attention des Etats-Unis sur la RDC, avait déclaré : « Les Etats-Unis doivent s’intéresser à la RDC vu qu’il se prolifère aux quatre coins du monde des organisations en quête des espaces non gouvernés “failed states” comme la RDC pour s’y établir et en faire des viviers de leur operations et cela une menace sérieuse qui inquiète la sécurité des Etats-Unis ».
Pour un Congo gouverné par un dirigeant à légitimité quasi inexistante, avec un leadership déficitaire (Cf les propos de Hillary Clinton au sujet de Kabila le traitant d’un président distrait et dépassé par les événements) et de surcroit incapable de restaurer la paix et la sécurité nationale et régionale, cela fait un peu trop pour les Etats-Unis qui voient de plus en plus la RDC comme un Etat supra-stratégique à plus d’un aspect : La RDC est une « zone névralgique » qui se trouve au centre des enjeux géostratégiques considérables, grâce à ses innombrables ressources naturelles et énergétiques susceptibles de soutenir à la fois les économies des « Grandes puissances et des puissances émergentes ». La RDC présente également le risque de devenir une zone géostratégique chaotiquedont les ressources (uranium,…) peuvent soutenir le « terrorisme international (http://desc-wondo.org/dossier-special-sur-les-traces-du-djihad-islamique-en-rdc/). Ce sont ces deux aspects qui intéressent particulièrement les Etats-Unis au plus haut point.
Ainsi, Obama, dont le sang africain coule dans ses veines, semble, aux dires de ses proches, très préoccupé et gêné par le comportement de plusieurs présidents africains qui font la honte de l’humanité. Par ses origines,Barack Obama veut être l’incarnation du rêve de retrouvailles tant espérées entre l’Afrique et l’Amérique noire.Mais durant son premier mandat, il va légitimement dépenser son énergie aux questions de la politique intérieure américaine (crise financière de 2008, loi sur la sécurité sociale…) et à éteindre l’incendie de l’interventionnisme politico-spirituel hystérique de George Bush dans sa guerre contre l’axe du mal (Afghanistan, Irak…). Quoi de plus normal car Obama est et se considère avant tout comme étant le président des Etats-Unis malgré sa couleur de peau. (Nous y reviendrons plus en détail et l’expliquerons dans la troisième partie de cette analyse). Une situation à laquelle est venu s’ajouter brusquement le Printemps arabe avec l’arrivée à la tête des pays concernés des dirigeants de mouvance islamiste.
Toutefois, nous étions ceux des rares qui lui ont accordé le bénéfice du doute (dans notre ouvrage Les armées au Congo-Kinsaha) en prédisant qu’Obama ne quittera sans doute pas la Maison blanche sans mettre en application son discours-cadre de la politique africaine d’Accra. Un discours qui mérite d’être relu et analysé pour tenter d’en comprendre l’enjeu et sa portée actuelle. J’en reprends quelques extraits :
« Tenir des élections ne suffit pas…. La répression peut prendre plusieurs formes, et de nombreuses nations, y compris celles qui tiennent des élections, font face à des problèmes qui condamnent leurs peuples à la pauvreté… Personne ne veut vivre dans une société où la règle de droit cède la place à la règle de brutalité et au gangstérisme.Cela n’est pas de la démocratie, c’est de la tyrannie, y compris même si vous y mettez une élection. Et aujourd’hui, il est temps que ce style de gouvernance s’arrête. »
[size=12]« Au XXIe siècle, les institutions compétentes, sérieuses et transparentes sont les clés du succès – parlements forts, forces de police honnêtes, juges indépendants . . . presse indépendante, secteur privé dynamique, société civile. Ce sont des choses qui donnent vie à la démocratie… Il ne faut pas se méprendre : l’Histoire est du côté de ces braves Africains, et non pas du côté de ceux qui utilisent les coups d’Etat et les changements de constitution pour rester au pouvoir. L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, elle a besoin d’institutions fortes. »[/size]
«… Mais ce que l’Amérique fera, c’est augmenter l’assistance aux individus et aux institutions responsables, qui agissent pour la bonne gouvernance, pour des parlements qui signalent les abus de pouvoir et s’assurent que les voix de l’opposition sont entendues, pour la règle de droit… J’ai engagé mon administration à accorder plus d’attention à la corruption dans nos rapports sur les droits de l’Homme. . . Nous avons la responsabilité de soutenir ceux qui agissent de manière responsable et d’isoler ceux qui ne le font pas, et c’est exactement ce que l’Amérique fera. »
Une brève analyse de cet extrait de discours relève que tous les fléaux dénoncés par Obama sont actuellement cristallisés sur RDC et la paersonne de Kabila. De plus, il est frappant de constater que tous les discours et messages officiels adressés ces derniers temps par les officiels américains (Russ Feingold, Kerry, Linda Thomas Greenfield, James C. Swan…) sur la RDC et Kabila, notamment contre sa tentative de se maintenir au pouvoir au-delà de 2016, semblent inspirés par ce discours-référence d’Accra que le régime congolais feint d’ignorer.
Fin de la partie 1
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