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SACREBOPOL

lundi 3 mars 2014

Kabila... tel est pris qui croyait prendre?




Kabila... tel est pris qui croyait prendre?
Anicet Mobe


RD Congo : des assassinats impunis au coup d'état d'opérette et à l'imbroglio des concertations nationales... 

Joseph Kabila lors d'un sommet de la SADC à Pretoria, le Novembre 2013.
Reuters/Siphiwe Sibeko

Kabila craint d'être pris à son propre piège! Ainsi s'intitulait l'entretien que j'avais accordé à l'Express (30 nov.2011) lors de l'élection présidentielle en 2011. Trois ans après, Joseph Kabila se retrouve dans la nasse: les Congolais ont déjoué le piège qu'il leur a tendu lors des " concertations nationales". 

D'emblée, les esprits avisés ont flairé dans ces concertations une sordide manoeuvre pour détourner l'attention de noirs desseins du Chef de l'Etat, soucieux de consolider un pouvoir issu d'élections entachées de fraudes massives avérées. Aussi s'est-il évertué à appâter des politiciens retors avec des promesses de promotion politique pour élargir le cercle des courtisans qui soutiennent son projet de se cramponner au pouvoir en violation de la constitution. 

Laminées par la violence sociale qu'engendre la brutalité d'une prédation des ressources économiques dont tire profit la classe dirigeante. Brisées par la violence armée des seigneurs de guerre soutenus par le gouvernement rwandais (M23), des milices (Kulunas) agissant en toute impunité et des soldats de l'armée rwandaise dans laquelle a servi l'actuel chef de l'Etat, les masses populaires se trouvent anéanties. Rappelons qu'en 2009, il a accepté que les soldats ruandais se déploient au Congo. Le président de l'Assemblée nationale démissionna pour protester. L'amnistie accordée aux auteurs d'assassinats politiques scandalise le peuple.  

Outrés par la mollesse de réaction du chef de l'Etat face aux dénégations du président Kagame, en dépit de multiples rapports de l'Onu et à l'arrogance du commandant James Kabarere qui fut son chef hiérarchique dans l'armée rwandaise, les partis d'opposition et de larges secteurs de la société civile ont finalement accepté de participer aux concertations nationales. 

Quoique méfiants et sceptiques, ils étaient déterminés à s'approprier cet événement politique pour en faire un espace citoyen où ils peuvent exprimer leurs revendications, un lieu de réinvention du politique afin de reconstruire l'état. Rien n'y fit : les dés étaient déjà pipés. Joseph Kabila est embourbé dans les marécages de mécomptes de l'AFDL et de ses succédanés dont les effets pervers se trouvent aggravés par les encombrants héritages résultant du régime Mobutu et de la double crise de la colonisation et de la décolonisation.

De l'escroquerie politique de l'AFDL à la forfaiture.... 

La forfaiture que constituent la révision constitutionnelle de janvier 2011 et celle projetée pour contourner le prescrit constitutionnel limitant à deux le nombre de mandat présidentiel, ainsi que le holdup électoral de novembre 2011 n'est pas un simple incident de parcours. Elle illustre piteusement les multiples contradictions qui ont émaillé l'intrusion et l'ascension de Joseph Kabila dans le champ politique - grâce à l'armée rwandaise - et le renforcement de sa position dans l'appareil militaire, ainsi que sur l'échiquier politique. 

Il importe de tenir compte à la fois du contexte historique et politique dans lequel s'inscrivent ces contradictions, ainsi que son équation personnelle: en 2011, sa désignation à la tête de l'Etat - dans des conditions opaques - a ouvert le sinistre bal d' une lamentable régression intellectuelle et politique qui peu à peu transforme certains pays africains en satrapies gérées comme des fiefs claniques par des "seigneurs des guerres".

En 2006, en insistant sur la nationalité, clairement établie, de tout candidat à l'élection présidentielle; les Congolais voulaient briser un engrenage infernal: depuis 1960, les ingérences étrangères ont érigé un dogme selon lequel, nul ne peut accéder aux plus hautes fonctions de l'Etat s'il n'est soutenu - voire "fabriqué" - par les gouvernements belge, américain et français depuis 1977-1978. Appréciées à l'aune de l'histoire du Congo, les tutelles diplomatiques, militaires et politiques qu'exercent le Rwanda et l'Ouganda, avec l'aval américain, sur les "rébellions " depuis 1996-1998, ainsi que sur les composantes politiques qui en sont issues, s'analysent comme une double rupture. 

Rupture avec la clairvoyance politique des personnalités qui ont pensé et dirigé le mouvement d'émancipation politique - intellectuels de Conscience Africaine,de l'Abako ;leaders politiques du Mnc ,de l'Abako et du Psa en1956/1960 - ayant abouti à l'indépendance. Rupture aussi avec les engagements intellectuels du mouvement étudiant- Ugec et l'Agel- (1961-1991) résolument opposé à un régime inféodé aux parrains étrangers. 
Cette régression ne cesse de s'aggraver et de s'amplifier comme l'illustrent d'une part l'indignation suscitée par la révélation en 2012 de la présence des soldats rwandais sur le territoire national alors qu'ils étaient censés être rentrés chez eux depuis décembre 2009. D'autre part le curieux itinéraire électoral qu'emprunte l'abbé Malu-Malu s'inscrit dans une vaste escroquerie politique. 

Avant de débattre du calendrier électoral avec la représentations nationale, il est venu d'abord en Belgique s'assurer du soutien des parrains de Kabila pour les rassurer du sort de leur poulain. Il n'est donc pas étonnant que- fort des assurances des tuteurs - lors des discussions à l'Assemblée nationale chez nous qu'il ait envisagé -en des termes à peine voilés - l'hypothèse d'une révision constitutionnelle.

Par ailleurs, dès 2006, les Congolais voulaient éviter qu'un drame familial personnel ne se transforme en un facteur structurant de la tragédie d'un peuple. Ils n'ont pas oublié les immenses dégâts politiques et le gouffre financier occasionnés par l'esprit de lucre d'innombrables oncles maternels attitrés du Président Mobutu. Chacun d'eux gérait des multiples coteries regroupant des proches parents du Président et leurs alliés, ainsi que quelques personnalités originaires d'autres régions. 

Ces coteries servaient de lieux de cooptation des individus devant intégrer la clique présidentielle et la confrérie régnante, repaires de ceux qui bénéficiaient des dons personnels du Président, notamment les nominations à de hautes fonctions dans les organes du Parti unique et de l'appareil d'Etat. Aussi, il fallait sans cesse augmenter la "dotation présidentielle" pour entretenir ces écuries en compensation de l'adoption que le clan Ngbandi accorda à l'ancrage familial du Président. 

A la fin des années 1990, sur trente-sept officiers supérieurs de l'armée, la région de l'Equateur en comptait dix-huit, soit 46% ; tous les services de renseignements (civils et militaires) étaient dirigés par les Ngbandis ou, à défaut par un ressortissant de l'Equateur. Ces favoritismes ethniques n'ont guère accru l'efficacité de nos soldats comme le prouve la déroute devant l'armée rwandaise en 1996-1997. 

Le clan des Balubakat fait payer aux Congolais le prix le plus fort de la "reconnaissance parentale" accordée au Chef de l'Etat. Ils ont exigé et obtenu quasiment tous les ministères régaliens du gouvernement. Craignant d'être évincés par le "clan des Tutsis" - puissamment soutenus par le Rwanda - les Balubakat intensifient les surenchères, qui parasitent le jeu institutionnel. Le devenir du Congo et le sort des Congolais sont sacrifiés sur l'autel de sinistres desseins de véreux personnages. 

Ainsi le piège grossier qu'il tendait aux Congolais se retourne sur Kabila lui-même, soumis à la fois aux revendications de "ses parents" et aux exigences de ceux dont les soutiens militaires lui ont ouvert les voies du champ politique en 1996-1997; sans oublier les pressions de tuteurs qui l'ont adoubé en 2001, 2006 et 2011 et qui ne cessent de relayer les appétits insatiables des intérêts économiques qui pillent les ressources du Congo avec la complicité de la nomenklatura regroupée au tour de lui. 

Qu'il soit rappelé au Chef de l'Etat que tous ceux qui ont méprisé le peuple congolais en privatisant la gestion des ressources publiques à leur profit, à celui de leurs clientèles et de leurs tuteurs étrangers ont connu une fin lamentable. 

En 1908, le Roi Léopold II est contraint de "céder" le Congo à la Belgique, en dépit de nombreuses obstructions. Le 8 juillet 1960,le général Janssens, dernier commandant en chef de la Force Publique(" après l'indépendance = avant l'indépendance ") et le 16 mai 1997,le Maréchal Mobutu(" je ne dois rien aux Zaïrois,ils me doivent tout ") quittent furtivement Kinshasa, comme de quelconques quidams cherchant à échapper à une interpellation policière pour se soustraire à la justice. Ce piteux épilogue contraste avec les éblouissants fastes qu'ils déployaient du temps de leur splendeur. 

De nombreux signes annonciateurs indiquent que le Congo va bientôt revivre un scénario similaire. Plus tôt, il se produira, mieux ça vaudra. Pris dans son propre piège, paralysé par les impérities de son pouvoir et la concussion des prévaricateurs de sa cour, Joseph Kabila multiplie les chausse-trappes contre les Congolais comme cet engagement des partis politiques sous la houlette du président de la commission électorale. Le Président ne s'est pas publiquement engagé à respecter le prescrit constitutionnel qui lui interdit de briguer un 3° mandat. 

Les thuriféraires du pouvoir annoncent la formation imminente du gouvernement au moment où le paysage politique se recompose sous la férule d'anciens barons mobutistes. Un " deal " semble être conclu avec eux pour utiliser leurs réseaux nationaux et internationaux afin que le président brigue un 3° mandat sans l'emprise du clan " Lubakat " en s'appuyant sur l'opposition " républicaine " qui a parasité l'opposition radicale.

Peuple congolais...débout ! 

Le tableau dépeint ci -haut paraît si sombre qu'on serait tenté de croire que tout serait irrémédiablement perdu. Les apparences sont si trompeuses qu'elles n'offrent qu'une vision tronquée d'atouts dont peuvent disposer les Congolais. 
Ce pays reste un gisement inépuisable de richesses humaines; des ressources culturelles et économiques, des compétences scientifiques et d'excellences intellectuelles. L'intense mobilisation politique des diasporas congolaises, la créativité sociale des masses congolaises et la probité intellectuelle de nombreux universitaires sourds aux sirènes du pouvoir suggèrent que l'immense majorité des Congolais refusent que leur pays soit pris en otage par des analphabètes politiques tirant leur légitimité des appuis extérieurs. Expression d'un patriotisme éprouvé, ce refus ouvre des perspectives d'espoir qu'il appartient aux diasporas de concrétiser.

Il faut se féliciter que les diasporas congolaises aient pris conscience des enjeux ;de l'ampleur, du caractère récurrent et multiforme des interventions politiques, militaires étrangères - qu'elles soient publiques ou secrètes - et leur impact sur le sort du pays. Il faut aussi se réjouir que les Congolais - surtout les jeunes - aient compris et l'expriment parfois avec véhémence que la confiscation de l'expression électorale participe d'une stratégie bien rodée pour sans cesse recycler l'odieux Pacte néocolonial noué en 1960-1961 reposant sur l'assassinat du Premier Ministre Lumumba. Cette lucidité politique met en évidence l'échec des stratégies occidentales et elle commence à inquiéter leurs chancelleries et les "faiseurs de rois" ainsi que leurs séides au Congo.

Coup sur coup, les diasporas congolaises ont réussi à obtenir une audience avec le Président de la République française pour lui demander que la France use de son influence diplomatique afin que l'ONU crée un tribunal international pour juger les auteurs de crimes contre l'humanité commis au Congo; à rencontrer l'envoyé spécial de l'UE dans la région des Grands Lacs et à faire annuler le concert d'un artiste transformé en griot du pouvoir. Il importe d'amplifier et de rationaliser cette mobilisation politique pour mieux orienter l'indispensable travail de "lobbying" afin que les Congolais soient partie- prenante du ballet diplomatique déployé autour de la tragédie qui décime leur pays. 

Il faut se donner les moyens de se ménager un espace d'action dans les réseaux d'influence qui pèsent sur les décisions prises de l'étranger concernant notre pays. C'est aussi le moment de lancer une vaste opération "100 dollars pour le Congo" afin qu'à court terme, les citoyens congolais s'approprient le processus électoral en finançant les opérations de recensement obligatoire; l'achat du matériel ; les campagnes d'information et d'éducation civique pour faire respecter la constitution afin que le choix électoral s'accomplisse avec discernement. 

A moyen terme, il faut songer à constituer des fonds d'investissement pour que les Congolais soustraient les importants secteurs de l'économie de la prédation et des convoitises étrangères. Les flux financiers entre les diasporas et le pays se déclinent sur le mode micro-économique des solidarités familiales. Ils peuvent se décliner aussi sur un mode macro-économique.

Peuple congolais, Debout! Tel est l'intitulé de l'éditorial de Conscience Africaine (n° nov-déc. 1956) revue éditée par un collectif des intellectuels du groupe éponyme que fonda en 1951, l'abbé Joseph Malula. L'éditorial faisait le point sur les réactions qu'avait suscitées la publication de leur Manifeste le 30 juin 1956.

58 ans après, l'éditorial reste de brûlante actualité: dans un autre contexte historique, il reste à déterminer les fondements d'une nouvelle alliance de classe entre le peuple congolais et une fraction de son intelligentsia qui se défait d'une conception cléricale de l'université et mandarinale du rôle des intellectuels pour réinventer le politique afin qu'il prenne en charge les revendications des milieux populaires. 

Anicet MOBE 
Chercheur en Sciences Sociales 
Membre du Collectif des intellectuels congolais "DEFIS" - Paris 



° http://www.lexpress.fr/actualite/kabila-tel-est-pris-qui-croyait-prendre_1494911.html

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