Svp, svp, svp, chers Compatriotes, lisez et relisez cette lumineuse analyse de l'excellent Musavuli sur les enjeux de l'élection 2016 !
Lisez et relisez la surtout, elle indique davantage si besoin était à celles qui luttent pour le changement utile les véritables cibles à attaquer pour réussir ce combat !
Pour ces raisons et d'autres notamment celles en rapport avec les faiblesses des "contre" que les Congolais d'abord les forces politiques de "l'alternance/alternative" opposent au plan devant eux, je suis hélas pessimiste comme lui quant à l'issue de 2016, fort réservé que 2016 nous apporte enfin ce nouveau départ dont nous avons besoin !
(Ndo, correspondance particulière)
RD Congo – 2016 : Cette élection vaut-elle la peine ?
En République Démocratique du Congo, l’espoir d’une élection présidentielle sans effusion de sang s’est envolé le jeudi 20 février à Bukavu. L’histoire retiendra que dans cette ville, la« caravane de la paix » que menait l’opposant Vital Kamerhe, candidat annoncé pour la présidentielle de 2016, fut réprimée dans le sang. La pratique consistant à tirer sur la population à balles réelles, qu’on a déplorée à Bukavu, rappelait les scènes macabres de 2011. Les partisans d’un autre opposant, Etienne Tshisekedi, avaient été sauvagement massacrés près de l’aéroport de Ndjili par les forces de l’ordre durant la dernière présidentielle. Cinq ans avant Tshisekedi, un autre adversaire de Joseph Kabila, Jean-Pierre Bemba, assistait impuissant au massacre de ses sympathisants dans les rues de Kinshasa. Le leader du MLC avait même failli se faire tuer. Sa résidence avait été bombardée à l’arme lourde malgré la présence à ses côtés des diplomates occidentaux. On envisage difficilement 2016 en faisant abstraction d’une éventualité, voire de la certitude d’un bain de sang.
L’explication à cette forme de fatalité est à rechercher dans la complexité des enjeux autour de la présidence du Congo, un pays éminemment stratégique mais qui peine toujours à exister en tant qu’Etat régi par des lois opposables à tous. Ainsi le pays n’a-t-il jamais connu d’alternance à la présidence sans effusion de sang. Tous les quatre Présidents qui se sont succédé à la tête du Congo y sont parvenus au bout de tueries de masse.
On aimerait tellement que 2016 fasse exception, mais l’affaire est déjà mal engagée[1]. Trop de paramètres échappent au contrôle des électeurs.
Pas un seul Président sans bain de sang
L’arrivée de Joseph Kabila à la tête du Congo, en janvier 2001, s’est produite dans un climat de profond traumatisme à travers le pays. Son prédécesseur, Laurent-Désiré Kabila, venait d’être assassiné dans son palais tandis que dans l’Est du pays, les Congolais mourraient par milliers des conséquences directes et indirectes de la guerre d’occupation que menaient le Rwanda et l’Ouganda, avec le soutien des Etats-Unis et du Royaume-Uni. L’ancien Président avait été préalablement présenté dans les capitales occidentales comme l’« obstacle à la paix ». Son élimination physique, bien qu’elle fût traumatisante pour les Congolais, passa pour un mal nécessaire dans les milieux diplomatiques[2]. La question ici n’est pas celle du cynisme de la realpolitik, mais bien le constat que la dernière alternance politique au Congo s’est opérée dans le sang, et non seulement cette alternance-là.
Le Président assassiné, Laurent-Désiré Kabila, s’était lui-même emparé du pouvoir, en mai 1997, au bout d’une guerre atroce[3] menée par le Rwanda, l’Ouganda, le Burundi et l’Angola ; sous la supervision des« grandes puissances » (Etats-Unis, Royaume-Uni, Israël, Canada[4]). Son prédécesseur, le Maréchal Mobutu, s’était, à son tour, emparé du pouvoir en novembre 1965 grâce à un coup d’Etat orchestré par la CIA[5]. Le Président du Congo alors s’appelait Joseph Kasa-Vubu. Lui-même, hélas, n’est pas épargné par« la malédiction des bains de sang ». Premier Président, et le seul à avoir été élu démocratiquement[6], Kasa-Vubu avait vu mourir des centaines de ses partisans durant les luttes pour l’indépendance[7]. A l’accession du Congo à l’indépendance, le 30 juin 1960, Joseph Kasa-Vubu devient Président. Le prix à payer ?...
Le Congo peut-il s’épargner ces tragédies autour des alternances politiques ? L’année 2016, peut-elle être l’amorce d’une nouvelle ère ?
Cela est évidemment souhaitable, mais encore faut-il revenir sur le cas des leaders congolais qui, comme Kamerhe aujourd’hui, s’étaient persuadés qu’ils pouvaient accéder à la magistrature suprême en misant, comme dans une démocratie « normale », sur la confiance du peuple. Aborder 2016 signifie savoir tirer les leçons des mésaventures d’Etienne Tshisekedi et Jean-Pierre Bemba.
Ils gagnent mais ils perdent
En Afrique, dit un jour Herman Cohen, « pour qu’un Président perde une élection, il faut qu’il ait envie de la perdre »[8]. Joseph Kabila a-t-il vraiment envie de perdre une élection ? En tout cas, en 2011, les observateurs indépendants étaient unanimes : « les résultats officiels, donnant Kabila vainqueur, ne reflétaient pas la vérité des urnes »[9]. L’opposant Etienne Tshisekedi aura ainsi remporté l’élection en réalisant un incontestable raz-de-marée à travers le pays. Deux ans plus tard, Tshisekedi attend toujours l’impérium, c’est-à-dire les moyens juridiques et matériels pouvant lui permettre d’exercer ses fonctions de« Président élu ».
Avant Etienne Tshisekedi, un autre opposant, Jean-Pierre Bemba[10], connut la même mésaventure, avec, en plus, son arrestation et son incarcération à La Haye. Le leader du MLC avait consenti à s’associer au processus de pacification du pays et obtenu l’assurance que les élections seraient libres et transparentes. Tout au long de la campagne, il obtint l’assurance de l’emporter largement. Mais c’était sans compter les réels enjeux de cette élection. En effet, le Président élu avait déjà été choisi, longtemps avant le début du scrutin.
Collette Braeckman fait remarquer que pour la communauté internationale, l’élection de 2006 avait pour enjeu de « légitimer et stabiliser le pouvoir en place (…) »[11] « Légitimer le pouvoir en place ». Rien à voir avec « permettre aux Congolais de choisir librement leur Président ». Le journaliste d’investigation Charles Onana révèle que, dès février 2006, les Etats-Unis, la France et l’Allemagne s’étaient mis d’accord sur le fait que Joseph Kabila doit être maintenu au pouvoir[12] (quel que soit le vote des Congolais).Ce choix des « grandes puissances » avait été conforté par le commissaire européen Louis Michel[13].Autrement dit, longtemps avant que le premier électeur congolais ne dépose son bulletin dans l’urne, le« Président élu » avait déjà été choisi. On comprendra plus tard la motivation profonde des pays occidentaux. C’était le Rwanda.
En effet, aussi atroce que cela puisse paraître pour le peuple congolais meurtri par les agressions rwandaises, l’élection présidentielle de 2006 avait pour principal enjeu de conforter les intérêts de Paul Kagamé au Congo grâce au maintien de Joseph Kabila au pouvoir, ce que fait remarquer Pierre Péan[14] citant Helmut Strizek. Autrement dit, les Congolais qui croyaient voter pour la paix, avaient, en réalité, voté pour ouvrir un boulevard à l’armée de Kagamé, Kabila ayant consenti à laisser faire le régime de Kigali en échange du soutien que Bruxelles (Javier Solana[15]) s’était engagé à lui apporter.En janvier 2009, il autorise unilatéralement l’armée rwandaise à entrer sur le territoire congolais, prélude à la guerre du M23, ce qui provoque le départ de Vital Kamerhe de la présidence de l’Assemblée nationale.
2016 va-t-il différer de 2006 ? Difficile de se prononcer a priori. Tout ce qu’on sait est que le ciel a déjà commencé à s’assombrir.
Au-delà du peuple congolais
Un des éléments qu’il va falloir garder à l’esprit est l’insoutenable « tutelle » que les Présidents Museveni(Ouganda) et Kagamé (Rwanda) exercent sur Joseph Kabila. La surprenante relance des pourparlers de Kampala en vue de « sauver le M23 » (pourtant vaincu militairement) ; la signature des engagements de Nairobi et la loi d’amnistie promulguée par le Président Kabila[16] le 11 février dernier, sont autant d’éléments qui vont peser sur le scrutin de 2016. Il y a lieu de redouter que le sort du peuple congolais ne soit pas l’enjeu déterminant de ce scrutin. Avec l’aide des Occidentaux, Paul Kagamé pourrait tout à fait rééditer le coup de 2006 et s’octroyer un nouveau cycle de domination sur le pouvoir de Kinshasa.
Jean-Jacques Wondo fait remarquer qu’en dépit de la défaite militaire du M23, le Rwanda se retrouve renforcé dans les institutions de la RDC[17]. Kigali devrait continuer de se renforcer au Congo en profitant de l’application des engagements de Nairobi[18]. Ce renforcement du Rwanda dans l’appareil étatique congolais s’est confirmé avec la nomination du général Charles Bisengimana (ex-« RCD-Rwanda »)à la tête de la police nationale, au grand dam des « Katangais » qui lui préféraient le retour du général John Numbi[19].
Le problème, pour la présidentielle de 2016, est que le général Charles Bisengimana, avec la réputation qu’il traîne[20], se retrouve avec des pouvoirs objectivement trop importants. Selon le site apareco-rdc.com[21], Bisengimana, en plus de la police, est désormais le véritable patron de l’armée congolaise(FARDC). Le chef d’Etat-major des FARDC, le général Didier Etumba, aurait été « mis sous contrôle » par quatre officiers de l’armée rwandaise que Kigali a imposés dans son entourage, selon la même source. Du coup, Kagamé devient la véritable clé de voûte du dispositif sécuritaire autour du processus électoral congolais d’ici à 2016, ce qui n’est guère rassurant quand on pense à la façon dont se déroulent les élections au Rwanda[22]. Assuré d’avoir la haute main sur la violence d’Etat au Congo, Kagamé est maintenant certain que le prochain Président congolais lui fera allégeance (sinon ?…) ou que Kabila sera maintenu au pouvoir suivant le scenario brutal de 2011 (on ne change pas une recette qui marche).
En définitive, il va falloir modérer les aspirations à un changement démocratique dans un environnement comme celui-là. Il y a même lieu de se demander à quoi sert une élection lorsque tout est ainsi mis en œuvre pour passer outre le choix d’un peuple dont on sait qu'il est porté sur le changement.
Boniface MUSAVULI
[1] En plus du risque annoncé des violences, le processus pourrait être menacé par la contestation dont fait l’objet le président de la Commission électorale (CENI), l’Abbé Apollinaire Malu Malu. Une pétitionappelant à sa démission a été lancée par la plateforme politique « Sauvons le Congo ».
[2] « Le 16 janvier 2001, Laurent-Désiré Kabila est assassiné au palais présidentiel dans des circonstances encore non élucidées et la ‘’communauté internationale’’ n'éprouve aucun besoin de connaître la vérité sur cet acte criminel. Elle se précipite à encourager la désignation de Joseph Kabila à la tête du pays, sans respecter la Constitution ni aucune autre forme de légalité, afin qu’il assume l'intérim dans l'attente d'un scrutin présidentiel. Le nouveau ‘’président’’ sera immédiatement accueilli à Paris par le président français Jacques Chirac et à Washington par le président George Bush. (…) La désinvolture avec laquelle ce dossier a été traité donne plutôt l'impression que la disparition de Laurent-Désiré Kabila était souhaitée et planifiée par des commanditaires puissants. Elle semblait même réjouir certains responsables de pays influents de l'ONU et de l'Union Européenne. » Charles Onana, Europe, Crimes et Censure au Congo, les documents qui accusent, Ed. Duboiris, Paris 2012, pp. 12-13.
[3] Cette guerre coûta la vie à plusieurs centaines de milliers de gens, les réfugiés rwandais en particulier. Ces atrocités ont été documentées par les enquêteurs de l’ONU et présentées dans le Rapport du Projet Mapping en 2010. Cf. http://www.ohchr.org/Documents/Coun...
[4] Patrick Mbeko, Le Canada dans les guerres en Afrique centrale – Génocides & Pillages des ressources minières du Congo par Rwanda interposé, Le Nègre Editeur, 2012
[5] L’agence américaine avait, quatre ans auparavant, fait assassiner le leader de l’indépendance, Patrice–Emery Lumumba.
[6] Joseph Kasa-Vubu fut élu président par le Parlement issue des premières élections du Congo Indépendant.
[7] Le 04 janvier 1959, plusieurs centaines de Congolais, sous la bannière de l’ABAKO (le parti de Joseph Kasa-Vubu) périrent durant la répression menée par le pouvoir colonial belge. Depuis, le 04 janvier est un jour férié au Congo, dédié à la mémoire des Martyrs de l’indépendance.
[9] L’archevêque de Kinshasa, Mgr Laurent Monsengwo, avait affirmé que l’élection de Joseph Kabila « n’était conforme ni à la vérité ni à la justice des urnes ». L’Eglise catholique avait déployé plus de 30.000 observateurs sur l’ensemble du territoire national. Sur le même ton que l’Eglise catholique, la Fondation Carter et les observateurs mandatés par l’Union européenne avaient, eux aussi, rejeté les résultats officiels qui donnaient Joseph Kabila vainqueur.
[11] C. Braeckman, « le Congo transformé en libre-service minier », Le Monde diplomatique, 04 sept 2006.
[12] C. Onana, Op. cit., pp. 189-190.
[13] C. Onana, Op. cit., p. 181.
[14] « Après la mort de Laurent-Désiré Kabila, Kagame obtiendra de ses alliés américains et européens - l'intervention de l'Eufor au Congo est à situer dans ce contexte - que le Congo soit dirigé par ‘’un jeune Rwandais inoffensif’’, en la personne de Joseph Kabila. Ceci permettrait au Rwanda de faire main basse sur les richesses du Congo et à Kagame d'être sûr que le danger, dans la lutte contre son pouvoir dictatorial, ne viendrait pas de la République démocratique du Congo. » Cf. Pierre Péan, Carnages – Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Éditions Fayard, novembre 2010, p. 418.
[15] Eté 2004 : l’armée rwandaise occupe la ville de Bukavu dans l’Est du Congo et se livre à des exactions (plus de 200 femmes violées en plus d’assassinats et de pillages, notamment le pillage de la banque de Bukavu). « Le 22 juin 2004, en fin de journée, monsieur Javier Solana téléphone à Joseph Kabila. (…). Ce qui l'intéresse c'est le fait que Kabila doit rester passif devant les incursions rwandaises (…) le haut représentant de l'Union Européenne et l'ensemble des grandes puissances mettent désormais l'accent sur l'élection de Joseph Kabila en RDC. On lui recommande donc la pondération et presque l'immobilisme face à l'agression du Rwanda. Face aux exigences de la « communauté internationale » et de Javier Solana, Joseph Kabila se montre coopératif et donc rassurant. Le président congolais, désigné comme tel à la mort de Laurent-Désiré Kabila, s'aperçoit progressivement qu'il est soutenu par l'Union Européenne, que celle-ci mise déjà sur lui pour les élections présidentielles et qu'il n'est pas dans son intérêt de stigmatiser le Rwanda ou de s'opposer à Kigali. (…) Il affirme donc dans son entretien avec monsieur Solana qu'il va surmonter la crise de l'Est « avec sagesse », c'est-à-dire qu'il ne fera rien (…) »Cf. Charles ONANA, Europe, Crimes et Censure au Congo, les documents qui accusent, Ed. Duboiris, 2012, pp. 231-232.
[18] Ces engagements prévoient le retour au Congo des membres du M23 et la possibilité pour eux de former un parti politique qui, selon Vital Kamerhe, devrait rejoindre la majorité présidentielle de Joseph Kabila. L’ancêtre du M23, le CNDP, fait partie de la majorité présidentielle. Elle avait pris une part active dans les fraudes électorales, notamment au Kivu, pour assurer la réélection de Joseph Kabila en 2011.
[19] Durant les troubles du 30 décembre dernier, qui avaient causé la mort de 103 personnes, les partisans du Pasteur Gideon Mukungubila promettaient de « libérer les Congolais de l’esclavage rwandais ». Ils ont été soupçonnés d’agir sous l’influence du général John Numbi.
[20] Bisengimana était déjà le patron de la police à Kinshasa durant la répression des opposants en 2010(massacre des militants de l’UDPS près de l’aéroport de Ndjili). Il est, par ailleurs, impliqué dans les massacres des populations durant la Première Guerre du Congo, selon le rapport de la Commission internationale non-gouvernementale sur les violations massives des droits humains en République Démocratique du Congo (ex-Zaïre) 1996-1997.
[22] Le Rwanda n’est pas réputé pour être un modèle de démocratie. Le Président Kagamé y remporte les élections avec des scores dignes de Staline (95% en 2003, 93% en 2010) au terme des scrutins épouvantables pour les opposants et les journalistes indépendants (arrestations, assassinats). Cf. lettre de Human Rights Watch à la Banque Mondiale : http://www.hrw.org/fr/news/2012/09/...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire