« Panama papers » : Dan Gertler, roi du Congo et de l’offshore
Dan Gertler fait partie de ces clients dont même la sulfureuse société de domiciliation fiscale offshore Mossack Fonseca ne veut pas. L’homme d’affaires israélien de 42 ans, à la tête d’un empire minier aussi vaste qu’opaque en République démocratique du Congo (RDC), est dans le viseur du Fonds monétaire international depuis 2012. Des ONG et le think tank de Koffi Annan, Africa Progress Panel, l’accusent de « pillage » et de corruption. Mais si la firme panaméenne tique alors qu’elle compte parmi ses clients des personnalités politiques contestées et des sociétés visées par les sanctions de l’ONU, c’est qu’elle s’est sentie flouée par le milliardaire.
L’ire de Mossack Fonseca remonte à 2010. Un de ses bons clients, avocat à Gibraltar, lui a demandé de créer en urgence deux sociétés aux îles Vierges britanniques. Elle s’y prête de bonne grâce sansréaliser le contrôle habituel. Ce n’est qu’un an plus tard, après des dizaines de relance par courriel restées sans réponse, et à la suite d’une enquête des autorités financières des îles Vierges britanniques, que les Panaméens découvrent l’identité du bénéficiaire effectif de Foxwhelp Ltd et Caprikat Ltd : Dan Gertler.
Opacité bien ordonnée commence par soi-même. Les deux sociétés étaient dissimulées derrière un montage étourdissant qui a servi à masquer leur véritable propriétaire. Foxwhelp Ltd et Caprikat Ltd étaient détenues par un fonds d’investissement domicilié aux îles Caïmans, African Ressources Investment Fund, lui-même contrôlé par deux fondations au Liechtenstein, qui sont à leur tour possédées par deux trusts discrétionnaires à Gibraltar. Un système d’écluses presque impossible à remonter sans les documents des Panama papers. Seuls deux noms apparaissaient : l’avocat suisse Marc Bonnant et Khulubuse Clive Zuma, neveu affairiste du président sud-africain Jacob Zuma. Qui n’ont pas voulu commenter ce sujet.
Furieuse, Jennifer Mossack, la fille du fondateur de la société panaméenne, ordonne la fermeture de toute entité liée à Dan Gertler qu’elle qualifie le 2 juin 2011 de « marchand de diamants du sang » dans un message interne consulté par Le Monde. Le 11 juillet à 12 h 08, Marc Bonnant, impavide, transfère ces sociétés chez Morgan & Morgan, le principal concurrent de Mossack Fonseca, également établi à Panama City.
Les premiers pas d’un aventurier
Dan Gertler a bâti sa fortune, estimée à 1,26 milliard de dollars par le magazine Forbes en 2015, sur un coup de poker. Petit-fils d’un diamantaire, il a débarqué en 1997, à l’âge de 23 ans, à Kinshasa, capitale d’un pays alors en guerre et dirigé pour quelques mois encore par Mobutu Sese Seko. Le chef rebelle Laurent Désiré Kabila a besoin d’argent et d’armes pour lancer l’assaut sur la capitale. Le jeune Israélien lorgne les gisements de diamants de l’est du pays. Les deux hommes s’entendent. « Dan » lève 20 millions de dollars pour financer la rébellion. En échange, il obtient de Laurent Désiré Kabila, devenu président, un quasi-monopole sur les diamants.
A la mort du « Vieux », assassiné au janvier 2001 par l’un de ses gardes, c’est son fils, Joseph Kabila, alors âgé de 30 ans, qui prend le pouvoir. Dan Gertler courtise ce jeune président taiseux et inexpérimenté qu’il a croisé sur la ligne de front au Katanga lors de la seconde guerre en RDC (1998-2003). L’homme d’affaire israélien devient son émissaire spécial avec mission de lui négocier le soutien des Etats-Unis. Il lui aurait aussi mis à disposition son jet privé.
De fait, leur amitié semble perdurer au-delà de la rupture brutale du monopole sur le diamant cette année 2001. Dan Gertler est même invité au mariage de Joseph Kabila cinq ans plus tard. Il se rapproche surtout du plus proche conseiller du président : Augustin Katumba Mwanke. L’homme a la haute main sur la gestion des matières première congolais. Au début des années 2000, c’est lui qui remet à Dan Gertler les clés du coffre de la RDC.
Mines et pétrole
Selon les Nations unies, le pays recèle dans son sous-sol de ressources inexploitées estimées entre 18 000 milliards et 24 000 milliards de dollars. Au-delà du diamant, l’homme d’affaires israélien va se lancer dans le cobalt, le fer, l’or, le manganèse et surtout le cuivre. Il profite du démembrement de la Gécamines, la société publique d’exploitation minière et vache à lait du régime.
A l’époque de la brouille avec la firme panaméenne Mossack Fonseca, Dan Gertler franchit un nouveau cap en obtenant des permis d’exploitation pétrolière. Et non des moindres : après l’éviction des britanniques de Tullow Oil, le pouvoir lui octroie les blocs I et II de la partie congolaise du Lac Albert. Ses sociétés Foxwhelp Ltd et Caprikat Ltd sont intégrées dans Oil of DR Congo, une filiale de son groupe Fleurette constitué à Gibraltar et imposable aux Pays-Bas.
La région est instable. A la lisière du parc naturel des Virunga rodent des groupes armés. Dan Gertler n’en a cure. Cowboy rodé par ses aventures minières, il finance les forces de l’ordre et multiplie les investissements sociaux dans les villages. Après avoir claironné en 2014 la découverte d’une réserve de trois milliards de barils, il annonce le démarrage de l’exploitation de ces gisements pour 2016.
Sauf qu’à Kinshasa, nul n’y croit vraiment. Car Dan Gertler a la réputation d’acquérir les permis miniers et pétroliers mais de ne pas les exploiter. « Nous avons investi 100 millions de dollars dans ces projets du lac Albert depuis 2010, et 1,8 milliard de dollars pour exploiter des mines de cuivre dans le Katanga avec [le géant helvético-britannique du négoce de matières premières] Glencore », se défend un représentant de son groupe Fleurette.
Fraude au fisc congolais
Le nom de Dan Gertler est apparu sur des comptes en Suisse chez HSBC. Les domiciliations exotiques de ses sociétés, elles, lui permettent de ne payer qu’un minimum d’impôts en République démocratique du Congo, où les experts estiment que l’homme d’affaires israélien a fait perdre des milliards de dollars de revenus à l’Etat. En 2014, il a revendu au gouvernement les droits pétroliers détenus à travers une obscure société offshore, Nessergy, trois cent fois plus cher que leur prix d’achat.
« Dan Gertler fait partie des gens qui paralysent l’économie congolaise », constate un diplomate occidental à Kinshasa. « Les autorités congolaises n’ont pas la capacité d’enquêter sur les circuits financiers offshore, déplore de son côté le député congolais Samy Badibanga. La RDC est devenue une plateforme importante de blanchiment d’argent, de fraude fiscale et d’évasion illégale de capitaux ». Une fois encore, le groupe Fleurette conteste. « Nous employons 30 000 personnes (en RDC) nous sommes la plus grande source privée de recettes fiscales pour le gouvernement congolais », martèle Pieter Deboutte, le bras-droit de Dan Gertler à Kinshasa.
Pour la plupart des Congolais, Dan Gertler, notoirement proche de Joseph Kabila et du riche entrepreneur et ancien gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, reste une énigme. La RDC, pourtant, est sa« seconde patrie », dit-il. Naturalisé en 2003, il y débarque chaque semaine ou presque en jet privé, rend visite au rabbin de Kinshasa et reçoit ses interlocuteurs dans sa fastueuse villa du centre-ville, ou, plus rarement, dans celle qu’il loue au cœur des mines du Katanga.
Il a « tout compris à la politique des négros »
En plus des hôpitaux et des dispensaires, Dan Gertler le philanthrope a rénové le zoo de Lubumbashi mais aussi l’école française de cette ville, au plus grand embarras de Paris qui ne sait que penser de lui. Le vendredi, en général, il repart en Israël pour passer le shabat en famille dans sa demeure de Bnei Brak, cité connue pour abriter une communauté juive ultra-orthodoxe dans la banlieue de Tel-Aviv. Celui que ses partenaires décrivent comme « un joueur de poker agressif et prêt à tout pour gagner » se vante aussi d’avoir « tout compris à la politique des négros », selon un de ses anciens collaborateurs interrogé par la justice israélienne en 2010.
L’Israélien sait aussi se jouer de ses détracteurs. Chassé de Mossack Fonseca en 2011, il est réapparu quatre ans plus tard dans les fichiers de la firme panaméenne à travers un contrat passé avec la société Callery Ressources Ltd, domiciliée au Panama, qui fait valoir des prestations de conseil à hauteur de 10 millions de dollars sur le site minier de Mutanda. Ce gisement, situé non loin de Kolwezi, au Katanga, est opéré par Glencore en partenariat avec Dan Gertler. Là encore, les actifs et les revenus de la mine irriguent des sociétés établies dans des paradis fiscaux.
Des circuits offshore qui commencent à inquiéter Kinshasa. Pour des raisons politiques. Moïse Katumbi, l’ancien gouverneur du Katanga, a rallié la principale coalition de l’opposition qui l’a désigné, le 30 mars 2016, comme candidat à la présidence. Il apparaît comme la menace la plus sérieuse pour le chef de l’Etat, Joseph Kabila, qui se méfie désormais de son « ami » Dan Gertler. « Le président n’a pas d’amis, tranche un de ses conseillers. Dan [Gertler] est beaucoup trop proche de Moïse [Katumbi]. Le président sait bien qu’il peut trahir et le tient à distance. » Ce qui fait sourire l’entourage de M. Katumbi, qui nie tout lien financier avec Dan Gertler : « Dan doit tout à Kabila, qui lui doit une bonne partie de sa fortune ».
De fait, le chef de l’Etat redoute désormais que la fortune qu’il a autorisé Dan Gertler à accumuler s’en aille financer la campagne d’un adversaire pour l’élection présidentielle, prévue fin 2016.
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/04/07/panama-papers-dan-gertler-roi-du-congo-et-de-l-offshore_4898097_3212.html
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire